Le néophyte | La presse

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C’est en 1991 qu’arrive l’appel téléphonique qui va changer la vie de Luc Dionne. L’homme a 31 ans. Ex-étudiant en musique, ex-attaché politique, il n’a ni métier défini ni but précis dans la vie. Un jour, un ami auteur lui remet le résumé d’un rapport du FBI sur une affaire datant du milieu des années 1970 : l’opération Fountain Pen. Elle n’y comprend pas grand chose. Dionne dévore le rapport et se passionne pour l’affaire. Il finit par appeler le FBI. À Washington.

Dans un anglais très imparfait, il se présente comme un auteur – ce qu’il n’est pas – et indique qu’il compte écrire un livre sur Fountain Pen. il n’a pas le moindre contrat d’édition en poche. Il demande à parler aux deux agents doubles qui furent les héros de cette première opération d’infiltration du FBI depuis deux ans.

Incroyablement, il a réussi.

Dans une chambre d’hôtel à Sacramento, en Californie, Jack Brennan et Jim Wedick lui racontent la mission dans laquelle ils ont pris des risques sans précédent pour infiltrer le crime organisé. Leur histoire est époustouflante. «Je suis vraiment excitée», déclare Dionne, toujours enthousiaste 30 ans plus tard. C’est exactement de là que ça vient Silence. Je me suis dit : on devrait faire une série sur les agents doubles. »

Dionne – qui n’a jamais écrit une ligne de sa vie – se met au travail. Il écrit les deux premiers épisodes de sa future série. Son scénario sous le bras, il se rend chez l’auteur Jean-Pierre Plante.

[L’auteur Jean-Pierre Plante] m’a dit : « Je ne sais pas si c’est vraiment toi qui as écrit ça, mais si c’est toi, ne t’inquiète pas de ce que tu vas faire dans la vie. Vous allez devenir scénariste. »

Luc Dionne

Dionne confiera ses deux épisodes à un producteur intéressé par le projet. L’auteur se met au travail, la série s’écrit, le casting est fait. Difficile de trouver un acteur d’origine italienne pour incarner le parrain montréalais de la mafia : c’est le restaurateur Dino Tavarone qui en hérite. « C’était le miracle de la Madone ! », dit Tavarone en riant.

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PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE ARCHIVES

Le comédien Dino Tavarone, en 2015

Trois semaines après le début du tournage, il restait un os. Le réalisateur, Michel Poulette, ne s’entend pas avec l’auteur. Incroyablement (encore une fois !), l’auteur totalement néophyte obtient le clin d’œil du réalisateur expérimenté. On recommence la série à zéro. Un million de dollars jetés à la poubelle. «C’était une bombe nucléaire dans l’industrie», se souvient Dionne.

La quasi-totalité des 34 acteurs sont licenciés. L’acteur Gildor Roy était de ceux-là. « Dans la première version de la série, j’étais Luc Picard ! » Dino Tavarone s’en souvient également très bien. « Ils ont tout changé. Tous les acteurs ! Restaient moi, Claude Blanchard et Castel. »

Entre-temps, le nouveau réalisateur, Pierre Houle, a lu le scénario. «Je me souviens avoir passé la majeure partie de la nuit à lire ça. C’était un tourne-page. Le problème c’est qu’il n’y avait pas de personnages ! Nous sommes donc repartis de zéro. »

Il y avait évidemment des personnages, mais ils manquaient cruellement de profondeur, avoue Dionne. « J’ai appris mon métier avec ces deux-là, dit-il. Il s’agit du réalisateur Pierre Houle et de la productrice Francine Forest.

Ne rien laisser derrière

Le réalisateur et l’auteur se mettent en mode recherche. « Nous sommes allés dans les cafés italiens, les petites salles du fond où l’on joue aux cartes. Des cafés où personne ne prend de café, où se trouvent dehors trois Lamborghini, Ferrari et Maserati. Les gars avec les chaînes coincées dans les cheveux, on les a vu ! », dit Houle.

Dionne entraîne son directeur dans un restaurant de hot-dogs à Laval semblable à celui tenu par Claude Blanchard dans la série, où tous les « cuisiniers » sont armés de téléavertisseurs et sortent régulièrement de leurs plaques chauffantes pour livrer bien autre chose que des frites.

Nous sommes allés à leur rencontre, les agents doubles de la SQ. Les Hell’s Angels nous ont prêté leurs motos. The Rock Machine nous a prêté ses locaux. Il n’y a rien que nous n’ayons fait en termes de recherche.

Pierre Houle, directeur deSilence

Avant d’être filmé, le scénario a également été relu par des policiers… mais aussi par des membres du crime organisé.

Luc Dionne écrivait au rythme d’une mitrailleuse, se souvient Pierre Houle. «C’était une machine à écrire. Phénoménal. En une semaine, il pourrait réécrire une nouvelle version du scénario. »

Le personnage de l’agent double François Pelletier revient à l’acteur Luc Picard. « C’est le genre de rôle qu’on rêve d’avoir. Mon premier grand rôle dans une grande série télévisée. Luc et moi avons en quelque sorte commencé ensemble. »

Dans une ambiance fébrile, les modifications du scénario se poursuivaient jusque dans la salle de montage, se souvient Francine Forest. Nous avons fait le choix – audacieux, à l’époque – de nous concentrer sur une bande-son très présente avec le jazzman Michel Cusson. « Nous ne voulions pas ressembler à Parrain. Nous voulions faire une série moderne”, illustre le producteur.

Dès sa sortie, Silence triomphe. “Lundi 20 heures arrive, et chez moi tout s’arrête”, écrit le tout-puissant critique de La presse Louise Cousineau. Comme elle, deux millions de personnes sont scotchées devant leur télévision chaque lundi. Dino Tavarone, inconnu auparavant Silencemaintenant il est arrêté dans la rue pour des autographes. Les bus s’arrêtent devant son restaurant. « Regardez, c’est Scarfo ! »

Cinq ans après son coup de fil au FBI, la carrière de scénariste de Luc Dionne est définitivement lancée.

 
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