« Archipels », le roman d’enquête d’Hélène Gaudy, nous emmène sur les rivages de l’île de Jean-Charles en Louisiane. L’histoire en grande partie autobiographique se poursuit avec la disparition de l’île, ramenant l’enfance et le souvenir du père du narrateur, également appelé Jean-Charles.
Dans « Archipels », Hélène Gaudy dresse le portrait de son père, de l’enfance à aujourd’hui. Par les mots, elle révèle un homme silencieux et fantaisiste, à la fois peintre et poète-écrivain, qui lui a toujours dit qu’il n’avait aucun souvenir de son enfance.
Pour ce projet d’écriture, ce père lui a généreusement confié les clés de son atelier d’artiste, les journaux qu’il a rédigés entre 16 et 22 ans, ainsi que la correspondance qu’il entretenait avec sa future épouse. Munie de ce matériel intime et précieux, Hélène Gaudy se lance dans un inventaire romancé de son père.
« Archipels » est en sélection finale du prix Goncourt, aux côtés des romans de Sandrine Collette, Kamel Daoud et Gaël Faye. “C’est une grande joie”, confiait l’auteur au podcast QWERTZ le 30 octobre. “J’écris des livres depuis vingt ans, c’est vraiment une joie de voir que celui-ci est lu et remarqué, et rien que ça, sans y penser.” sur ce qui va suivre, est très agréable. Le lauréat du célèbre Prix Goncourt sera dévoilé lundi 4 novembre.
L’île Jean-Charles
Au tout début, le thème des « Archipels » devait être un focus sur l’Île Jean-Charles. Car Hélène Gaudy est complètement captivée par l’histoire et la configuration géographique de cette localité.
Elle découvre que c’est sans doute la première île d’Amérique qui va disparaître à cause du réchauffement climatique. Puisqu’il est peuplé d’Indiens francophones, dont la culture et les coutumes l’intéressent particulièrement. Elle se rend alors compte qu’il existe déjà un livre sur l’île Jean-Charles, écrit par l’écrivain et poète Frank Smith. « Cela m’a donc amené à repenser mon projet et à me rendre compte qu’au final, cette coïncidence géographique avec le prénom de mon père me ramenait très directement à une forme d’urgence de le connaître autrement. Maintenant, tant que c’est encore possible, tant qu’il est là pour m’accompagner », confie-t-elle.
Le père du narrateur a acquis son atelier, au cœur de Paris, en 1988. C’est aujourd’hui une véritable mine d’or pour en percer les secrets. Pendant plus de vingt ans, ce lieu fut pour lui une résidence secondaire. En coulisses, l’arrière-pays des mots qu’il n’exprime pas.
En accumulant des centaines d’objets trouvés dans la rue, comme des lampes halogènes, des bibelots, des boîtes, des statuettes achetées en voyage et des livres, il devient un grand collectionneur. « Cette volonté de garder les choses, sans rien jeter, est une manière de ne pas les dire », estime l’auteur.
Il se déplaçait sous couverture. Et moi, qui ne l’ai pas vu vieillir, qui ne l’ai pas vu changer, qui ne l’ai jamais vu, sans doute, tel qu’il était, ici je le découvre, si tard, sous la forme d’un lieu.
La maison Muzainville
Au cours de son écriture, Hélène Gaudy a mis la main sur deux sources d’archives extrêmement riches : « La Boîte noire » et « La Valise de la Résistance » appartenant toutes deux à son grand-père paternel. Elle découvre un homme, leader du réseau de la Résistance, qui pendant la Seconde Guerre mondiale a permis à quarante-deux prisonniers politiques et militants communistes de s’évader d’un camp de détention dans la nuit du 5 mai 1944. Cet événement spectaculaire a également inspiré le film « Les Great Escape » réalisé par John Sturges et sorti en 1963.
Cette guerre hante le patrimoine familial. Alors que le père d’Hélène Gaudy était encore un enfant, ses parents l’obligent à apprendre le code Morse en vue du prochain conflit.
De peur d’être arrêtés, les grands-parents du narrateur inventent un nom de village, une localité imaginaire, qui ne figure sur aucune carte géographique : « Muzainville ». Et lorsque Jean-Charles, enfant, est interrogé sur sa maison, il donne le nom de ce village inventé.
Sa voix traîne, elle trébuche, s’échappe dans les aigus des fins de phrases, puis retourne vers son lit, rivière, obstacle, rocher.
La voix du père d’Hélène Gaudy, sinueuse, multiple et silencieuse, témoigne de cette enfance vécue dans la clandestinité, comme une manifestation de la persistance du secret.
Layla Shlonsky/sf
Hélène Gaudy, “Archipels”, Editions de l’Olivier, August 2024.
Aimez-vous lire? Abonnez-vous à QWERTZ et recevez chaque vendredi cette newsletter dédiée à l’actualité du livre préparée par RTS Culture.