Seize ans d’absence, c’est long, voire très long quand on est un groupe sectaire. Ils ont donc fait appel à The Cure, groupe leader de la new wave anglaise fondé en pleine vague punk par l’inébranlable Robert Smith, pour publier “Songs of A Lost World”, leur nouvel et quatorzième album. Une absence relative étant donné que The Cure a continué à offrir de beaux concerts à travers le monde – où sont sortis certains morceaux de cet album – qui ont réuni une communauté de fans soudée et renouvelée.
C’est que le rock introspectif de The Cure, son lyrisme décadent et son romantisme pop, incarné par un Smith qui, la soixantaine, a conservé son apparence de corbeau queer ou de Beetlejuice gothique à la coiffure de poulpe, est resté dans l’air du temps : violemment intime et délicatement exubérant.
Quelques semaines avant la sortie de l’album, le chanteur s’est prononcé contre le Dynamic pricing, cette pratique usuraire à la mode dans l’industrie musicale qui consiste à adapter le prix des billets de concert en fonction de la demande. Une colère saine qui rappelle que le silencieux Smith est un homme engagé, contre le règne de l’argent, contre le racisme, pour la défense des libertés, voire contre la monarchie héréditaire…
Ne dites rien sur « Chansons d’un monde perdu » qui est un album politique, mais qui, à y regarder de près, transmet les thèmes chers au groupe : la solitude, le vacarme d’un monde qui ne sait plus que faire de sa modernité, la guerre ou encore la difficulté d’être. Il y a une chanson pour ça, « All I Ever Am », peut-être le tube de l’album, un morceau exalté et sombre. « Je sais, dans ma tête, que je suis la somme d’une multitude d’autres versions plus jeunes de moi-même, mais il y a des moments où je n’arrive pas à y croire, et je ne peux m’empêcher de l’accepter ! » Robert Smith dit de lui. On vous l’avait dit : introspectif.
Etat de guerre permanent
Tout au long de leur carrière, les Cure ont réussi à alterner entre minimalisme pop et envolées morbides. Le public ne semble pas avoir attribué ces grandes déviations stylistiques au groupe, mais si l’on devait trouver un antécédent à “Songs of A Lost World”, on le chercherait dans les brumes de “Faith”, publié en 1981, et surtout “Désintégration”, un grand cru millésimé de 1989.
On retrouve également le claviériste Roger O’Donnell et l’indéboulonnable bassiste Simon Gallup qui ont tous deux contribué à colorer cet album qui a beaucoup fait pour la renommée internationale du groupe. “Alone”, le morceau inaugural et single déjà sorti, donne le ton : rythme lourd, guitares cassées et nappes de synthés qui mesurent la mélancolie.
Puis il y a “Warsong”, la chanson la plus sombre de l’album, évocation de l’état de guerre permanent dans lequel prospère l’humanité, narrée sur fond de distorsions. Pour « Drone : Nodrone », Smith, dont le chant reste toujours aussi touchant, frisant souvent l’indicible, comme des gémissements de douleur, avoue : « C’est difficile pour moi de laisser tomber le chaos. » En effet, « Songs of A Lost Word » n’est pas un album joyeux ou véritablement optimiste, mais très smithien.
Chansons d’un monde perdu, The Cure, Polydor
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