« L’amour des villes, ou comment s’y retrouver ? »

« L’amour des villes, ou comment s’y retrouver ? »
« L’amour des villes, ou comment s’y retrouver ? »
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Dans le quartier des Halles, à Paris, en juillet 2022. BENJAMIN GIRETTE POUR « LE MONDE »

J.Je ne peux pas dire ce qui me rend plus heureux : marcher dans une ville que je ne connais pas, ou marcher dans une ville que je connais bien. Plaisirs jumeaux, sans doute : dans les deux cas, on cherche à se retrouver tout en se laissant surprendre. Retrouvez-vous les yeux fermés, faisant confiance au souvenir des pas perdus pour retrouver votre chemin, ou au contraire offrez-vous corps et âme à ce plaisir suprêmement civilisé dont parlait Walter Benjamin : l’art de se perdre dans une ville.

Les poètes de l’errance urbaine le savent bien, captifs amoureux de ce cœur de ville qui ne bat que pour nous, et dont nous cherchons pourtant à échapper à son influence. Comment y parvenir, sinon en se laissant conquérir par ce que Jacques Réda, immense écrivain de cet enchantement que créent la déambulation urbaine et l’improvisation dans le jazz, appelait « liberté de la rue » ? Car si je ne trouve pas ma voie, ou si c’est le chemin qui me trouve malgré moi, c’est peut-être parce que les rues sont libres de se promener pour nous réserver des surprises.

Jacques Réda vient de nous quitter. « J’ai arrêté de croire que je me déplaçais selon mon fantasme. Je ne pense pas non plus obéir, en voyage, à un plan préétabli pour me guider ou me perdre.il écrit dans Liberté de rue (Gallimard, 1997). Cette phrase accompagne ceux qui réfléchissent à la manière d’écrire l’histoire urbaine aujourd’hui. Car ce qui les y amène, c’est, le plus souvent, et très banalement, l’amour des villes.

Maintenant, qu’est-ce qui les rend si adorables ? Pour le savoir, encore faut-il comprendre de quoi il s’agit. Les géographes urbains admettent aujourd’hui qu’une ville ne se définit pas plus par un seuil démographique qu’elle ne se distingue par la forme de son gouvernement ou son cadre monumental. Ce qui le caractérise serait plutôt un certain rapport spatial entre la densité de l’habitat et la diversité de ceux qui le façonnent en l’habitant. Une telle définition nous permet à son tour de mieux comprendre ce que nous détestons lorsque nous prétendons – et c’est une pose littéraire la plus traditionnelle, depuis Pétrarque au moins – de haïr la ville.

Engagement citoyen

Pour rejeter la foule, on dira : « il y a trop de monde » – et ce qu’il faut alors reconnaître, c’est un dégoût pour “tout le monde” au sens d’Edouard Glissant (1928-2011), ou le refus de cette pluralité discontinue des singularités où « le tout vit de ses propres détails ». Cependant, ce ressentiment envers une scène urbaine où les différences se conjuguent porte un programme politique de séparation. Et c’est aussi un thème classique de la sociologie urbaine depuis un siècle, en particulier de ce qu’on a appelé l’école de Chicago, de comprendre comment l’étalement urbain, parce qu’il étire les solidarités et provoque des ruptures de ségrégation, nuit à l’idée même d’urbanité. .

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