“Utiliser la magie m’a permis d’essayer de nouvelles choses”

“Utiliser la magie m’a permis d’essayer de nouvelles choses”
“Utiliser la magie m’a permis d’essayer de nouvelles choses”

UN COMMENTAIRE DE SON AUTEUR – Un Merlin en pleine crise explore un monde étrange où se mélangent les niveaux de réalité et de lecture. L’auteur de cette drôle d’épopée détaille ses intentions et les procédés utilisés.

Victor Hussenot a travaillé quatre ans sur « La Brigade ». Éd. La joie de lire

By Laurence Le Saux

Publié le 29 septembre 2024 à 12h30

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Cest une quête et une enquête. Un livre étrange, qui commence par le questionnement existentiel de Merlin (oui, le célèbre enchanteur, sérieusement en déclin). Commence alors un voyage sans fin avec d’étranges acolytes, dans des mondes tout aussi bizarres, mouvants, parsemés de pièges… La Brigade (éd. La joie de lire) est un livre espiègle, fougueux, dense et parfois lâche, passionnant, drôle, très très romantique. Victor Hussenot (Les Amoureux) joue avec délectation avec les codes du médium, jouant avec le cadre, la boîte, les bulles, les personnages, mêlant les niveaux de réalité et de lecture. Une épopée épaisse et délicieuse, que l’auteur commente sur trois planches.

Merlin ensorcelé ?

Éd. La joie de lire

« A l’origine de cet album, une envie d’un abécédaire pour enfants, où chaque lettre serait un monde en soi, où les personnages évolueraient. Avec le M est venue l’idée d’utiliser Merlin, et j’ai finalement développé l’histoire autour de lui. Il est présenté ici comme un héros du passé, une figure entre mythologie et légende. Je voulais qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas d’un Merlin tel qu’on l’imagine classiquement, mais bien du mien, un peu déprimé, un peu vieux. Il est assez exigeant, tourmenté, érudit, a une haute idée de lui-même. Mais il se sent oublié… Il s’adresse aux lecteurs comme s’il leur en voulait d’avoir été utilisé puis jeté, comme un produit de consommation. Il veut redevenir le glorieux Merlin, un grand magicien un peu intemporel, qu’il n’est plus – du moins dans mon histoire !

Graphiquement, je voulais parvenir à une esthétique proche de celle des dessins animés anciens, comme Le roi et l’oiseaude Paul Grimault. J’aime le procédé celluloïd où les personnages sont peints à la gouache et découpés sur le fond. Le vert me semblait la bonne couleur pour incarner la magie, et rendre Merlin étrange et fantastique. Je montre rarement ses yeux, cachés derrière ses lunettes, pour le rendre impalpable et ambigu. Cela lui donne aussi un certain charisme.

Le dessin est l’imagination qui sort du crayon. Il ne faut donc pas cantonner l’histoire dans des cases.

Je voulais que mes personnages évoluent d’univers en univers au fil des épreuves : j’adore les douze travaux d’Hercule et ceux d’Astérix depuis l’enfance. J’ai été bercé par les films de Miyazaki ou Dragon Ball Z, et aussi marqué par des quêtes comme celles deExcalibur, Les aventures du baron de Münchausen ou L’histoire sans fin. J’opère beaucoup à l’instinct, sans vraiment savoir pourquoi j’écris ou dessine certains éléments. Le recours à la magie m’a permis d’ouvrir des portes et d’essayer de nouvelles choses, loin de l’autobiographie métaphorique de mes albums précédents. »

Des rochers tombant du ciel

Éd. La joie de lire

« Merlin a trouvé des compagnons : un guerrier proche de Conan le Barbare, un fantôme enquêteur, et un oiseau au fusain capable de dessiner avec son bec et de modifier les pages du livre. Ensemble, ils cherchent à retrouver la gloire qu’ils ont connue autrefois, en trouvant un producteur de génie qui pourrait leur confier de nouveaux rôles au cinéma. Les voici dans un monde où les routes sont comme des rubans, où ils sont attaqués par plusieurs ennemis. L’une d’elles, « figuratrice », a le pouvoir de transformer ses mots en objets.

Il est important pour moi d’utiliser le maximum de possibilités qu’offre la bande dessinée. Parce que le dessin est l’imagination qui sort du crayon. Il ne faut donc pas enfermer l’histoire dans des cases. Parmi mes influences, outre François Ayroles, Saul Steinberg, René Magritte et Roland Topor – qui ont une incroyable capacité à questionner notre réalité à travers l’image – il y a Fred, le créateur de Philémon, dont j’ai découvert le travail aux Beaux-Arts. Son écriture m’a d’abord semblé dépassée et je n’ai pas été immédiatement émue par ce qu’il faisait. Mais j’ai compris petit à petit son impact : quelle poésie, quelle liberté dans sa façon de jouer avec les codes du médium ! »

Un combat contre un titan

Éd. La joie de lire

« Nos héros affrontent ici le dieu du temps. Dans la deuxième case, apparaît Pierrot, un ami de Merlin : c’est lui qui a écrit l’histoire dans laquelle évoluent les personnages, il est une extension de moi-même. Mais il ne sait pas qu’un auteur – moi ! – l’attire… Il est gêné par ses compagnons car il n’a pas de réel pouvoir. J’ai essayé ici de créer un effet de surprise, comme lorsqu’on arrive devant le boss final dans un jeu de plateforme. Le visage de Chronos apparaît un peu caché, et il sort de terre comme un bâtiment sortant de terre. C’est très angoissant pour Merlin et ses amis !

Je travaille au feutre avec plusieurs épaisseurs de mines, pour obtenir des traits pleins et fins ; puis je mets la couleur sur Photoshop, et j’ajoute des matières réalisées à l’aquarelle ou au feutre alcool sur de vrais papiers que je scanne. Cela permet un rendu plus pictural, un grain plus chaleureux. Le processus d’impression La Brigade est la multichromie, qui permet d’avoir sept tons directs, donc des couleurs plus intenses et plus précises qu’en quadrichromie. J’ai eu l’idée de ce livre en 2018, j’ai commencé à travailler sur ses pages en 2019 et je l’ai terminé début 2023. Mais la parution a été décalée d’un an, le temps de trouver le bon imprimeur, afin d’en faire un bel objet. C’était à la fois agréable et laborieux. J’ai pu mettre tout ce que j’aime dans la bande dessinée : les mangas, les films, la peinture ou encore les pensées philosophiques qui m’animent ! J’ai pu déployer ce que je cherchais depuis des années dans mes carnets de croquis. Mais quel défi de conserver mes personnages sur 324 pages tout en essayant de ne pas ennuyer les lecteurs ! »

La Brigade, par Victor Hussenot, éd. La joie de lire, 324 p., 32,90 €.

 
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