partez à la rencontre des fantômes de Montluc

-
>>

Dans l'ancienne prison Montluc à Lyon en 2009, juste avant sa transformation en Mémorial national. PHILIPPE MERLE/AFP

« La nuit s'ajoute à la nuit », par Ananda Devi, Stock, « ​​Ma nuit au musée », 294 p., 19,90 €, numérique 15 €.

Au moment où elle pénètre dans le Mémorial national de la prison Montluc, par une nuit venteuse et sous des trombes d’eau, Ananda Devi hésite. Qu’est-elle venue faire à Lyon, dans ce lieu de détention militaire construit en 1921, où furent incarcérés Jean Moulin et les enfants d’Izieu sous l’Occupation, où furent exécutés les indépendantistes algériens condamnés à mort entre 1959 et 1961, et où Klaus Barbie passa une semaine en 1983, après son expulsion de La Paz et avant son procès ? Au lieu d’affronter ce ballet changeant de traîtres et de héros, de coupables et d’innocents, l’auteure de La nuit s'ajoute à la nuitelle aurait tout aussi bien pu proposer à la collection « Ma nuit au musée » des éditions Stockle le château de Voltaire à Ferney, où elle vit, dans l'Ain. Aucune crainte à avoir en attendant l'aube dans la chambre du philosophe des Lumières.

Mais quiconque s’est penché sur l’œuvre de l’écrivain, qui a reçu cette année le Prix international de littérature Neustadt, devinera que cela aurait été impossible. Pagli (Gallimard, 2001) à Journée du caméléon (Grasset, 2023), en passant par Eve de ses ruines (Gallimard, 2006), Ananda Devi n'a de cesse de questionner les origines du mal, l'oppression des femmes, des pauvres et des fous, l'indifférence qu'elle suscite. Cela depuis l'île Maurice où elle est née, l'Inde d'où viennent ses ancêtres, la littérature où elle vit.

Alors pourquoi ce mal de dos et ces jambes tremblantes alors qu'elle installe son lit de camp entre les murs de la prison, dont l'aile réservée aux femmes n'a été fermée qu'en 2009 ? « La peur du choix et de soi-même »répond-elle. Pour la première fois de sa carrière, l'auteur « vis ton livre » avant de l'écrire. Elle pense ne rien risquer, tout en prenant un risque quand même. Celui de ne pas pouvoir traduire ce que les murs « absorber la matière des êtres et des événements ». Celle de ne pas savoir exprimer l'anéantissement, la monstruosité. Celle, enfin, de ne pas être ici à sa place.

Archives et images

Elle, la“pègre”OMS « n’a pas d’identité parce qu’elle n’en a pas choisi une »Elle se distingue dans ce lieu où l'identité a dicté les destins. Elle, dont l'existence trouve sa Source dans la colonisation et le travail forcé dans les plantations de canne à sucre, n'a rien à voir, estime-t-elle, avec celle des prisonniers de Montluc. Pourtant, l'ordre de déportation des enfants juifs de la colonie d'Izieu, signé par Klaus Barbie, est clair : « Dix têtes, dont cinq femmes. » « Les esclaves, comme les Juifs, étaient comptés par tête. Eux aussi vivront ou mourront selon un implacable critère d’utilité. »elle dit.

Il vous reste 40.16% de cet article à lire. Le reste est réservé aux abonnés.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV partez à la rencontre des fantômes de Montluc
NEXT Joshua Weilerstein nommé à la tête de l'Orchestre National de Lille