“Asbestos”, by Sébastien Dulude, La Peuplade, 214 p., €20.
Sélectionné pour le Prix Littéraire
« Le Monde » 2024
Une amitié comme une cabane. Un endroit pour être soi-même : un garçon de 10 ans qui lit Tintin sur la chaîne, joue à se faire peur en enregistrant les drames du monde dans un « Cahier de catastrophes » et se réjouit quand il a assez pour acheter « gommes à la cerise » (nous sommes au Québec). Qui se retrouve très gêné lorsqu’une revue pornographique lui tombe entre les mains pour la première fois, mais devine les gestes de l’éveil sexuel dans le demi-sommeil d’un après-midi dans la chaleur écrasante.
Perché dans leur pin, pendant l’été 1986, Steve, le narrateur deAmiante, premier roman de Sébastien Dulude, et Charlélie, dite « Petit Poulin »fils “inséparable”échapper à la surveillance déjà laxiste des adultes. Le premier cherche à échapper à la violence de son père et aux codes d’une virilité aussi toxique que l’amiante dont vit et meurt la ville de Thetford Mines. Cette virilité que son père, « mineur-camionneur »veut lui inculquer à tout prix. La joyeuse tranquillité qui règne dans la famille du « petit Poulin » est une raison supplémentaire de l’aimer.
Les journées d’été que les deux garçons passent à courir entre les « dompter » (les terrils) et leur abri dans les arbres semblent pouvoir durer éternellement. Cette impression est renforcée par le récit qu’en fait Steve tout au long de la première partie du roman, dans un imparfait qui semble une éternité et dans une succession d’allers-retours temporels au fil des deux années qu’a duré cette amitié miraculeuse. Ce mouvement constant du texte cherche à restituer toutes les dimensions de leur lien, à faire revivre dans un langage vibrant chaque sensation éprouvée ensemble ou en attendant de se retrouver, une fois les cornflakes du matin avalés. Textures, odeurs, sons, températures, goûts… Tout doit être convoqué, comme pour repousser le moment d’arriver au 31 août 1986, jour où la cabane est démontée et où leur amitié connaît une explosion plus forte que celle qui, chaque jour, à 16 heures, résonne depuis la mine.
Dichotomie
Cinq ans plus tard, à l’été 1991, l’histoire de Steve reprend, au présent, pour signaler une autre détonation. Amiante se construit dans le contraste entre ces deux parties, séparées par une photo lunaire en noir et blanc des « dompes ».
Le Québécois Sébastien Dulude, poète et éditeur né en 1976 et élevé à Thetford Mines, semble avoir fait de la dichotomie le principe même de son roman, qui repose sur l’opposition entre l’aridité des paysages miniers et la beauté sylvestre des environs, entre la douceur du lien que les enfants ont noué et la violence dans laquelle Steve est plongé (« « La mienne, c’est la violence envers certains parents, puis envers certains enfants ; la mienne, c’est l’isolement des enfants, et l’isolement, c’est l’ennui, et l’ennui, c’est la violence qui m’a enlevé mon ami. Et la violence, c’est mon nouvel ami. »(rabâche le Steve de 15 ans en colère du deuxième volet). Entre la précision de ce qui est restitué et les gouffres recouverts par les ellipses du texte. Entre la brutalité de la réalité sociale décrite en filigrane, avec la fermeture annoncée des mines et la disparition prochaine de ce monde ouvrier, et la sensibilité du regard d’enfant sur les choses. Ces tensions opposées nourrissent l’écriture de Sébastien Dulude et ce premier roman à la beauté poignante sur les souvenirs d’enfance, ce qu’ils nous font et ce que nous en faisons.