Maryline Desbiolles réduit la fracture

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L’écrivaine Marilyne Desbiolles, à Paris, en 2024. PHILIPPE MATSAS/SABINE WESPIESER

“L’Agrafe”, by Maryline Desbiolles, ed. Sabine Wespieser, 150 p., €18, digital €14.

Sélectionné pour le Prix Littéraire « Le Monde » 2024

Cela commence par une scène très visuelle L’agrafele nouveau roman de Maryline Desbiolles, consacré à une histoire folle et entravée. Dans un long plan séquence époustouflant de réalisme et de beauté, le lecteur découvre un personnage féminin qui n’a pas encore de nom, seulement un corps : c’est une jeune femme qui dévale à toute vitesse un chemin caillouteux de l’arrière-pays niçois et qui court d’un bout à l’autre de la ville. « manière saccadée et capricieuse ».

Les phrases palpitantes qui la décrivent n’expliquent pas les raisons de cette course. Est-ce une fuite ? Un entraînement d’athlète ? Est-ce qu’elle court pour habiter poétiquement le monde, celui du maquis enveloppé par la lumière du Sud ? Disons que le lecteur s’inquiète un peu pour elle. Et Maryline Desbiolles, née en 1959, auteure d’une trentaine de romans (lauréate du prix Femina pour AnchisesSeuil, 1999), lui confirme au bout de trois pages que quelque chose ne va pas.

Il y a effectivement un piège dans cette histoire. Au fil d’une phrase, un détail révèle la jambe gauche « massacré » de la jeune femme : son péroné, « agrafe » en latin, cet os appelé « péroné » dans l’ancienne nomenclature, est gravement fracturé.

Cette femme abîmée s’appelle Emma Fulconis. Son identité est révélée en même temps que sa blessure. Elle est la petite-fille d’une famille de harkis réfugiée en France en 1962 après la guerre d’Algérie, alors parquée dans un hameau forestier du sud de la France. Cette histoire, pleine de douleur et d’humiliation, la jeune femme la devine sans la ressentir intimement. Elle est proche d’elle et étrangère à la fois. Car, dans sa famille, « Rien n’est dit, mais rien n’est caché »Elle n’essaie pas de comprendre ce qui s’est passé, elle court, « de tout son cœur »jusqu’à ce qu’il soit rattrapé par la réalité.

Mordre

En visite chez une amie, Emma est soudainement attaquée par le chien de la maison (« un gros bâtard ») qui lui lacère la jambe, ne veut plus la lâcher, pulvérise son « agrafe ». Et ce n’est pas cette morsure qui lui fait le plus mal, mais la phrase du père de son amie, entendue avant de perdre connaissance : « Mon chien n’aime pas les Arabes. »

Évidemment, le lecteur brûle d’en savoir plus. Mais l’auteure ne dit pas tout. Pour Maryline Desbiolles, écrire c’est maintenir un état d’alerte le plus longtemps possible, jusqu’à l’éclatement d’un drame qui attaque le corps et atteint la mémoire.

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