Cet automne, le grimpeur Laurent Thévenot a échappé à la grisaille à coups de pédales. Direction : Espagne. Sur un support surchargé de cordes, brouilleurs, sacs de couchage et autres ustensiles indispensables pour une aventure en autonomie, on a le temps de réfléchir. En l’occurrence, ce voyage lent et doux a fait naître chez Laurent quelques réflexions sur la notion de décroissance. Et si l’avenir était la promesse de « vivre mieux » sans forcément « vivre moins » ? Narratif.
ARTICLE RECOMMANDÉ : Escalade à vélo en Espagne (1/2) : Montserrat, option soleil, « fou »
Déclin. Un terme souvent mal utilisé, mal compris, utilisé à tort pour cristalliser les débats. A l’heure où il est essentiel de réduire notre dépendance et notre consommation d’énergie et de matières premières, voici une définition [proposée dans la Charte de la décroissance, ndlr]: « La décroissance ne signifie pas vivre moins, mais mieux, avec moins de biens et plus de connexions. ». Il s’agit avant tout de reconsidérer nos liens avec le vivant et de rendre les activités humaines compatibles avec ce que notre belle planète est capable de supporter. Et pour cela nous devrons réduire notre consommation d’énergie, de matières premières, et nos impacts négatifs sur la nature.
Changer de paradigme permet de prendre du recul. On dit souvent que les êtres humains sont confrontés à une crise environnementale. Or, c’est l’environnement qui est confronté à une crise humaine ! Parce que nous (une certaine proportion de la population française et mondiale) vivons au-delà de ce que la planète est capable de régénérer. Dans le monde de l’escalade et de la montagne, les débats sur l’environnement tournent souvent autour des avions, qui émettent beaucoup de CO₂. C’est un débat facile et réducteur. En réalité, il n’y a pas de débat. En prendre moins ou pas est nécessaire, mais ce n’est qu’un élément d’un problème systémique et complexe qui englobe finalement bien plus qu’une « simple » empreinte carbone. Les frontières planétaires, ça vous dit quelque chose ?
« L’écologie est souvent perçue comme une contrainte, c’est l’un des problèmes majeurs ! »
Sans être exhaustif, nos pratiques ont un impact via nos équipements, nos matériels, nos déplacements, notre présence sur les sites de pratique (aménagements, déchets, nuisances environnementales, bruit…). Une empreinte systémique donc, affectant directement et indirectement les émissions de CO₂, les ressources, la biodiversité, l’eau, les sols… A notre petite échelle, amorcer une décroissance énergétique et matérielle dans la pratique de nos activités outdoor est nécessaire pour réduire la pression sur l’environnement. Mais pour le faire, il faut le désirer et ne pas le subir. L’écologie est souvent perçue comme une contrainte, c’est l’un des problèmes majeurs !
La bonne nouvelle est qu’il existe de nombreuses raisons pour lesquelles ces changements sont souhaités : idéologiques, écologiques, philosophiques, sociales, économiques. Alors on arrête tout ? Non ! L’idée est de changer. Changer nos pratiques est souhaitable ! Voici quelques pistes concrètes pour démarrer.
Le matériel
Partagez les équipements, entretenez et prenez soin de ce que nous possédons, prolongez la durée de vie, recyclez, réutilisez. Achetez moins, de première main et d’occasion, ou auprès de marques qui réfléchissent et travaillent sur ces problématiques. A toutes les échelles, dans tous les domaines, en tant que consommateur et utilisateur, il est possible d’agir sur les biens.
Prêt de matériel spécifique, vélos : c’est possible. Qui (moi en premier lieu) n’a pas dans son placard ou son garage des objets qui sont si rarement utilisés ? Pourquoi ne pas les donner ? Bref, l’objectif est de posséder moins. Emprunter et partager. Tout cela nécessite bien sûr des interactions : moins de biens pour plus de connexions ?
«J’espère que vous ferez l’expérience du ski sur neige croustillante à côté de la maison et que vous en profiterez!» »
Voyage
Si l’on se concentre sur l’empreinte carbone (sans oublier que le problème est systémique !), c’est lors de nos voyages que l’empreinte de nos pratiques est la plus forte. Certes, ne pas avoir d’impact signifierait ne pas bouger. Peut-être pouvons-nous trouver un juste milieu entre restriction et évasion ? Voyagez moins loin, moins souvent, plus longtemps. La question du rapport au temps est centrale. J’ai la ferme conviction que s’éloigner de la logique du travail à temps plein telle qu’elle est majoritairement imposée dans nos sociétés est un virage indispensable pour avoir le temps, entre autres, de pratiquer autrement.
Plutôt que de parcourir des centaines de kilomètres pour grimper au soleil quand il pleut chez nous, profitons d’un beau week-end en profitant de la pluie et en découvrant les champignons ! Lorsqu’il neige dans la région voisine, laissons la voiture de côté pour profiter de la neige dure à côté de la maison ou lire un livre. Cela me semble essentiel et souhaitable de s’éloigner de la logique volumétrique des pratiques. Prendre goût à ne pas faire, à savourer quand on le fait.
“Nous avons tous nos contradictions, un passé, des incohérences”
Nos pratiques ont un impact, notamment sur la faune ©Flore Beaudelin
Partir du bon pied
Il est tentant de considérer que les choses sont pires ailleurs et que tous ces efforts ne sauveront pas le monde. Ça tombe bien : ce n’est pas l’objectif premier ! À mon avis, il faut le faire pour l’environnement et pour soi avant tout. De plus, nous avons tous nos contradictions, notre passé, nos incohérences. Considérant que c’est important, limiter les débats à cela est réducteur. Mes réflexions personnelles vont dans le sens d’un monde qui a besoin que nous avancions plus lentement, que nous consommons moins par choix plutôt que par obligation.
« Le vélo n’est pas qu’un mode de déplacement, il ouvre un nouveau rapport au monde »
Pour en revenir au vélo, ce voyage nous a permis de rencontrer des gens que nous n’aurions pas rencontrés dans notre voiture. Cela m’a permis d’écrire cet article sur le train du retour. Permet d’admirer les paysages, de sentir les odeurs, d’entendre la nature environnante, d’apprécier la température. Prendre le temps. Utiliser 20 litres d’eau par semaine plutôt qu’en une seule chasse. Le vélo n’est pas seulement un moyen de se déplacer, il ouvre un nouveau rapport au monde.
Alors que l’hiver arrive, j’espère que vous ne traverserez pas des régions entières pour trouver de la bonne neige, mais que vous skierez sur la neige croustillante à côté de chez vous et que vous en profiterez tout autant ! J’espère que vous pensez au partage plutôt qu’au volume, au tri, à la vente ou au don de vos affaires qui ne vous sont pas d’une grande utilité. Je vous souhaite enfin de nouveaux imaginaires, décroissants et désirables.
Merci à PETZL pour la qualité et la légèreté de tout le matériel nécessaire à nos aventures.
Related News :