“J’ai tellement galéré sur mon vélo”

Le Tour de féminin 2024, remporté par Katarzyna Niewiadoma avec 4 secondes d’avance sur Demi Vollering, était un sommet de dramaturgie. Comment avez-vous vécu son épilogue ?

Marion Rousse : C’était fabuleux. J’étais au meilleur endroit, dans la voiture, juste derrière Demi Vollering qui essayait de renverser la situation du Tour. Lorsqu’elle attaque à un peu plus de 50 kilomètres de l’arrivée de la dernière étape, on se dit que c’est fini. Mais Niewiadoma reprend des forces et, surtout, est soutenu par quelques concurrents. Puis Vollering craque un peu à l’Alpe d’Huez… et cela se résume à seulement quatre secondes.

Incroyable. J’ai encore des frissons quand j’en parle. j’étais avec Christian [Prudhomme] ce jour-là. Nous changions d’avis toutes les deux minutes sur l’identité du gagnant. C’était fantastique. Je ne me souviens pas avoir vécu un moment aussi intense dans toute ma carrière.

Avant cela, il y a eu la 5ème étape et Lorena Wiebes, notamment, qui n’attend pas Demi Vollering après sa chute. Ne devons-nous pas ce dernier acte épique en partie à un dysfonctionnement chez SD Worx ?

M : Malheureusement pour Vollering, oui. Déjà, elle a mis un peu de temps à se relever après sa chute. Elle a été très touchée. Et derrière… son équipe ne l’attend pas (même si elle portait le maillot jaune, ndlr). Clairement. On se posait un peu la question en se disant qu’il y avait peut-être moyen de faire mieux. Elle a perdu le Tour de France Femmes lors de cette étape.

Vollering saura peut-être le reconquérir sous ses nouvelles couleurs, avec FDJ-Suez…

M : Maintenant c’est bien, on parle des champions. Parce que la première année, on m’a demandé si ça allait marcher, si c’était cohérent, si le cyclisme féminin était prêt, etc. Mon travail, c’était de dire : « ça va être génial », et puis les champions ont fait le travail. eux-mêmes. J’ai tellement galéré sur mon vélo, j’ai vu que je ne pouvais pas en vivre, j’ai dû arrêter ma carrière très tôt… contribuer à cet essor, par ce « travail de passion » en tant que directrice du Tour de France Femmes avec Zwift et en faisant passer le bon message auprès des médias, c’est une fierté.

Vollering y a cru, Niewiadoma s’est battu : le final irrespirable en vidéo

Crédit vidéo : Eurosport

C’est un peu comme si le Tour de France était notre grand frère

Une étape du Tour de France Femmes s’est terminée au Markstein en 2022. Il en était de même un an plus tard lors de l’épreuve masculine. Dans quelle mesure est-il important pour vous d’établir un lien entre les deux émanations du Tour de France ?

M : Nous aimons construire des ponts, évoluer main dans la main. C’est agréable d’écrire une histoire qui s’étend d’une course à l’autre. C’est un peu comme si le Tour de France était notre grand frère. Nous nous soucions de ces clins d’œil qui ont parfois une dimension historique. Si l’on a choisi de partir des Pays-Bas en 2024, c’est en partie parce que le premier grand départ du Tour de France masculin organisé à l’étranger avait déjà lieu aux Pays-Bas (en 1954, ndlr).

Une dernière étape à Paris, avec un parcours similaire à celui de la course en ligne des JO 2024, est-ce dans vos projets à moyen terme ?

M : Pourquoi ne pas finir à Paris, mais il faudrait que le Tour soit plus long. Sur neuf jours, c’est un format de course qui demande de maintenir le suspense jusqu’au bout, et arriver en montagne me semble important. Quant à Montmartre… c’était magnifique. C’est dans un coin de nos têtes, mais cela implique beaucoup de contraintes que les gens n’imaginent pas. Je ne les ai pas imaginés moi-même (sourire). J’ai été le premier, devant ma télévision, à dire : « Pourquoi on y va ? Je connais une belle route là-bas, etc. Depuis, j’ai pris très conscience de ce que crée le côté unique du Tour de France.

Prudhomme : « Montmartre ? C’était génial… »

Crédit vidéo : Eurosport

Comment avez-vous planifié le parcours de l’édition 2025 ?

M : Ce qui façonne le parcours, c’est le grand départ – en l’occurrence en Bretagne (le 26 juillet, ndlr) – et l’arrivée finale, qui aura lieu à Châtel cette année (le 3 août). A partir de ce postulat, avec mon associé Franck Perque, nous nous asseyons et réfléchissons au parcours. Nous essayons de trouver un juste milieu, pour que le parcours soit attractif, sans tuer le suspense après trois jours de course. La première édition était un peu compliquée. Nous n’étions pas connus. Nous avons dû frapper aux portes des communautés en disant : « Ce serait bien de nous accueillir ». Dès la deuxième édition, ce sont eux qui nous ont fait des demandes. Désormais, dès qu’une communauté postule pour le Tour masculin, elle fait passer le message pour le Tour féminin. Elle postule pour les deux. C’est une excellente nouvelle.

Combien les collectivités sont-elles prêtes à payer pour être ville étape ? Dans quelle mesure le montant varie-t-il entre les TDF masculins et féminins ?

M : ASO ne communique jamais sur les prix. Ce sont les partenaires et les communautés qui en parlent, s’ils le décident. Depuis trois ans, les prix ont évolué et nous avons de plus en plus de candidats.

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De Vannes à Châtel : le parcours du Tour de France 2025 en vidéo

Crédit vidéo : Eurosport

Les bonus ? “Ce n’est pas le vrai combat”

M : C’est important mais, à mon avis, ce n’est pas le vrai combat. J’ai fait l’expérience du cyclisme féminin à une époque où je ne gagnais pas d’argent. On m’appelait « professionnel », mais je n’avais que le nom. Je devais aller travailler pour gagner un salaire minimum. Mon souhait, quand nous avons créé le Tour de France Femmes avec Zwift, c’était qu’il en résulte, que les filles puissent avoir un salaire, vivre de leur sport. Le défi était d’obtenir de la visibilité, grâce à la course la plus célèbre du monde. Avec le Tour de France, on s’adresse à un public de connaisseurs, d’initiés… mais aussi à ceux qui ne regardent pas le cyclisme toute l’année. Cette vedette manquait au cyclisme féminin. Nous ne connaissions pas les champions avant de profiter de cette fantastique vitrine. Maintenant, il y a beaucoup plus d’argent dans les équipes, ça s’est structuré. L’équilibre financier reste précaire, mais cela n’a plus rien à voir.

Ce montant de 250 000 euros est-il toujours d’actualité ?

M : Oui, on en est toujours à 250 000 euros de bonus au total. Nous n’avons pas voulu lésiner sur tout ce qui fait la beauté du Tour. Le Tour de France est une course cycliste, mais aussi toutes les infrastructures qui vont avec : la caravane, qui nous est indispensable, le village de départ, qui n’existe pas dans les autres compétitions cyclistes féminines, etc. Nous avons voulu – et nous voulons toujours Nous voulons avoir un standing digne de celui du Tour de France masculin et, pour cela, nous avons adopté les codes. Toute augmentation des primes ne se fera pas au détriment de ce système. Maintenant que la course prend de l’ampleur, je vais m’y pencher. J’aimerais que cela évolue, mais on ne peut pas aller plus vite, il faut être durable.

En termes de croissance, que représente l’ajout d’une marche par rapport aux éditions précédentes ?

M : Passer de huit à neuf étapes envoie un message important concernant le développement du cyclisme féminin. La course fonctionne, on a l’impression que nous existons depuis longtemps, même si ce ne sera que la quatrième édition. Lorsque nous avons pris cette décision de relancer un Tour de France Femmes, notre priorité était qu’il soit encore là dans cent ans. Nous nous dirigeons vers cela. Il faut procéder étape par étape.

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Crédit vidéo : Eurosport

Objectif trois semaines ? “Ce n’est pas un problème physique”

Et à très long terme, pensez-vous que le Tour de France Femmes pourrait durer deux, voire trois semaines ?

M : J’aurais aimé que la course soit plus longue et que nous ne fermions aucune porte. Nous avons construit de bonnes bases. Cela fonctionne si bien qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. C’est une satisfaction. Mais il faut avancer au même rythme que le cyclisme féminin, avec des équipes qui ne disposent pas d’autant d’effectifs que leurs homologues masculins. Prendre trop de place dans le calendrier risque de tuer d’autres races, qui existent depuis plus longtemps que nous. Nous ne sommes pas là pour ça.

Au-delà de cette réflexion qui concerne votre écosystème, qu’en est-il du facteur physiologique ? ​Voyez-vous en lui un obstacle, même minime ?

M : Ce n’est pas un problème physique. Les femmes en sont capables. Elles s’entraînent autant que les hommes, continuent à s’entraîner en altitude…

Lauréate de l’édition 2022, Annemiek van Vleuten en était l’illustration.

M : Donc. Elle partageait sa formation avec des garçons. Je ne vois donc aucune limite physiologique. En revanche, là où se situe le problème, c’est au niveau de l’homogénéité. Il y a encore une trop grande différence de niveau entre le 10 et le 30 pour qu’on passe à trois semaines d’un coup. C’est de plus en plus homogène – on l’a vu lors de l’édition 2023 par exemple, avec un vainqueur différent à chaque étape – mais pas encore autant que dans le peloton masculin.

M : On savait que ça allait être compliqué pour les coureurs dans cette structure. Ce n’était pas un cadeau de les envoyer au Tour de France Femmes. Quand on n’a pas le niveau, on perd très vite le fil et on ne progresse pas. C’était un problème qui ne pouvait pas être résolu car il relevait de la responsabilité de l’UCI.

Entretien réalisé le 9 janvier 2025.

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