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quatre ans après le Covid-19, pourquoi les patrons veulent-ils serrer la vis ?

Cadresse dans une société de services bancaires parisienne, Jérôme (1) est « mécontent ». Depuis 2021, ce natif de Bordeaux bénéficie de deux jours de télétravail par semaine. Une bouffée d’air frais pour le quadragénaire qui, chaque jour, passe plus d’une heure dans les transports en commun pour se rendre à son travail. Hélas, ces derniers mois, sa direction a décidé de ne lui accorder qu’une journée de travail à distance par semaine.

« Pour moi, une telle décision n’est ni cohérente, ni progressiste ! Pendant le Covid, on s’est rendu compte que le télétravail fonctionnait. Alors pourquoi essayer de le limiter ? »

« Chez moi, je fais le même travail, j’ai le même accès aux données, je suis plus concentré car je suis moins dispersé dans les discussions avec les collègues, je peux prolonger mes journées sans avoir à me dire qu’il est temps que je revienne. rejoindre ma famille, énumère-t-il. Pour moi, une telle décision n’est ni cohérente, ni progressiste ! Pendant le Covid, on s’est rendu compte que le télétravail fonctionnait. Alors pourquoi essayer de le limiter ? »

Renégociation des accords

Cette incompréhension est partagée par des dizaines de milliers de salariés, et sans doute quelques autres, en et dans le monde. Quatre ans après la crise sanitaire liée au Covid-19 qui a conduit les entreprises qui le pouvaient à instaurer, contraintes et forcées, des mesures de télétravail, un vaste mouvement mondial, initié par les géants américains de la tech, tend à limiter drastiquement la pratique, voire à la supprimer.

Mi-septembre, Amazon a annoncé la fin totale du télétravail pour ses équipes. La société de jeux vidéo Ubisoft exigera désormais au moins trois jours de présentiel par semaine. Depuis 2023, Google, Apple, X (anciennement Twitter), Tesla, Disney, OpenAI et Meta ont, à des degrés divers, serré la vis à leurs salariés. Et la France n’est pas en reste : des entreprises ont déjà fait marche arrière – Publicis, Superproof… – et bien d’autres envisageraient de faire de même, que ce soit chez L’Oréal, Safran, Vinci, Orange ou Bouygues…

« En 2020, le télétravail s’est imposé de manière un peu sauvage. Nous avons eu une phase d’expérimentation assez longue et aujourd’hui, les entreprises veulent établir des règles »

Pourquoi un mouvement aussi fondamental ? La première raison est avant tout réglementaire. En 2021, après l’épreuve du Covid, « de nombreuses entreprises ont choisi de conclure des accords de télétravail avec les syndicats », rappelle Benoît Serre, vice-président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH). Toutefois, ces accords sont d’une durée de trois ans et des renégociations sont prévues cette année. « En 2020, le télétravail s’est imposé un peu sauvagement, poursuit Benoît Serre. Nous avons eu une phase d’expérimentation assez longue et, aujourd’hui, les entreprises veulent établir des règles. Il ne s’agit pas d’un retour en arrière mais d’une structuration, et c’est le meilleur moyen pour que cela perdure sur le long terme. »

« [Avec le télétravail] l’attachement à l’entreprise et la culture d’entreprise sont mis à mal parce que les gens ne se connaissent pas, ne se voient pas. Une entreprise sans personnes n’existe pas. »

“Culture d’entreprise”

Alors que reprochent les patrons à la pratique du télétravail ? Le problème ne vient évidemment pas d’une éventuelle baisse de performance du travailleur à domicile : « La productivité individuelle en télétravail a été étudiée et on s’est rendu compte qu’elle n’est pas différente de celle en présentiel », reconnaît Benoît Tight. Selon lui, la « productivité collective » souffre en revanche de la distance entre les membres d’une équipe : « Quand les gens ne se voient pas, ne travaillent pas ensemble, ils échangent moins, cela nuit à la cohérence, à l’efficacité… Aussi l’attachement à l’entreprise et la culture d’entreprise sont mis à mal parce que les gens ne se connaissent pas, ne se voient pas. Une entreprise sans personnel n’existe pas. »

Claire Estagnasié, doctorante spécialisée dans les nouvelles formes d’organisation et de pratiques de travail au laboratoire Gredeg-CNRS de l’Université Côte-d’Azur, à Nice, avance une autre explication : « Le véritable argument pour expliquer ce déclin du télétravail, c’est que d’une perte de contrôle de la part de la direction, qui veut avoir le contrôle sur ce qui est fait, assure-t-elle. Cela peut être un peu effrayant pour un chef de ne pas voir ce qui se passe au sens physique du terme. »

Si le télétravail ne fait pas l’unanimité auprès des salariés, certains souffrent d’un sentiment d’isolement lorsqu’ils sont coupés de la vie de bureau, tandis que ceux qui y ont pris goût regrettent ce retour au passé : « Une majorité de salariés apprécient le télétravail, observe Claire. Estagnasie. Les gens recherchent de la flexibilité. « Cinq jours par semaine au bureau » est dépassé. » Selon l’institut de sondage Statista, « 33 % des salariés français pratiquaient le télétravail au moins une fois par semaine en 2023 », et « environ 80 % » d’entre eux estimaient que « le télétravail a un impact positif sur leur vie professionnelle et personnelle.

(1) Le prénom a été modifié.

 
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