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Entretien avec l’écrivain Paul-Serge Forest pour son roman « Porter le masque »

Paul-Serge Forest s’est inspiré de sa propre expérience de médecin en première ligne pendant la pandémie pour imaginer le contexte de son deuxième roman, Portez le masque. Dans un hôtel transformé pour l’occasion en dispensaire, où il travaillait en première ligne, il a rencontré la mort, la peur, la colère et le manque flagrant de ressources, mais aussi la résilience, l’abnégation, la sagesse et l’espoir.

L’écrivain en a tiré une histoire profondément humaine, à la fois drôle et tragique, éminemment politique, qui n’est absolument pas celle à laquelle on aurait spontanément pensé. C’eût été sous-estimer l’auteur de Tout est ori (VLB, 2021) ; roman parmi les plus indescriptibles offerts par le monde littéraire québécois de la dernière décennie.

Dans son univers fou, le COVID-19 devient le virus du Tennessee ; une fièvre qui évince la ponctuation des phrases et rend les patients inexpressifs et aphasiques. Dans un motel transformé en hôpital où s’entassent des victimes de plus en plus malades, une délicieuse galerie de personnages – Thomas, un jeune médecin, Joe Bassin, Tristan Tabarnac, cinq Marie-Èves, quatre Claude, un architecte et une poignée d’infirmières aux méthodes inventives. — se donner corps et âme pour apporter soins et dignité aux malades. Mais c’est sans compter une troupe d’espions qui infiltre le groupe des joyeux lurons, et une famille de voyous qui gagnent leur argent grâce au trafic de signes de ponctuation.

« Au plus fort de la première vague, j’ai appris que mon premier roman avait remporté le prix Robert-Cliche, et qu’il serait publié », se souvient l’auteur, rencontré sur sa terrasse à Montréal. La particularité de ce prix, c’est qu’il faut le garder secret pendant un an. J’ai donc vécu avec ce secret, qui m’a permis, en quelque sorte, de me lancer dans d’autres projets inédits. Dans l’hôtel-hôpital, j’ai eu accès à une multitude d’histoires. J’avais vraiment l’impression d’être un espion. C’est ce qui m’a donné l’idée d’écrire un roman d’espionnage qui se déroulerait en période de pandémie, et qui me permettrait d’aborder sous un angle nouveau certains clichés que l’on a ressassés. à satiétécomme la théorie du complot, le chaos dans les environnements de soins de santé ou la pénurie de papier toilette. »

Paul-Serge Forest a également trouvé l’inspiration pour ce bizarre marché noir de signes de ponctuation lors du fastidieux travail d’édition de Tout est ori. « À la fin, quand on s’occupait des détails de dernière minute, j’avais presque l’impression d’abuser des signes de ponctuation. Je pensais que ce serait drôle, une sorte de SPCA, mais pour la ponctuation. Ne me demandez pas pourquoi j’ai des idées si bizarres. »

Espion littéraire

Le résultat est le roman de toutes les autorisations. Celles de se concentrer sur une douzaine de personnages différents, d’écrire plus de 500 pages, de citer textuellement et à plusieurs reprises les plus grands succès de Joe Dassin, de mêler espionnage, étude sociologique et romance. Le tout est explosif, drôle et profondément sensoriel et érotique, même si les relations sexuelles se déroulent à travers des caméras, et les ingrédients nécessaires pour faire voyager un bébé par des canaux hétérogènes.

La forme épouse cette narration multidirectionnelle, mettant en place un jeu entre l’auteur, le lecteur et les personnages. Ici, les identités sont multiples, tout comme les manières de s’inscrire dans une histoire – espions obligent – ​​et les protagonistes eux-mêmes dialoguent avec d’autres œuvres de fiction.

Même si la proposition paraît vertigineuse, l’auteur prend soin d’ancrer son récit dans la vérité : celle d’un lieu, et celle des sentiments. Ainsi, comme dans son précédent roman, Paul-Serge Forest a choisi de situer son action sur la Côte-Nord, à Baie-Comeau, dans le même univers un peu décalé que Tout est ori. «C’est ce que j’appelle ma Côte-Nord mentale», dit en riant le natif de la région. C’est un endroit qui m’inspire car il reste encore à créer de nombreuses façons. Elle reste assez pittoresque et reculée dans les esprits. Je voulais décrire une réalité plus actuelle ; ces médecins qui viennent de partout, ces gens obligés de faire tous leurs courses en ligne, ces gens qui ont une vie aussi riche et fertile qu’ailleurs. »

Le courage de l’amour

Riche de digressions et de références cachées, Portez le masque freelance entre autres dans l’univers créatif de Paul Thomas Anderson, Alain Souchon, Fernando Pessoa et surtout, le frère Marie-Victorin et son Flore laurentienne.

Paul-Serge Forest cite le botaniste de mémoire, sur le cannabis sativa, ou chanvre cultivé. « « On en fait même du haschisch que l’on fume pour obtenir une sorte d’ivresse peuplée de rêves délicieux. » Ce livre n’est pas seulement rigoureux sur le plan scientifique, il ouvre également la porte à l’esthétique et à la poésie. Plongez-y Flore laurentienne me permet de nommer des pans de la réalité qu’on oublie de voir, les asters, les verges d’or qui poussent partout de nos jours. Cela me rappelle l’importance d’être conscient du monde qui m’entoure. »

Le romancier déplore qu’il n’y ait plus de place pour la beauté – pour le cœur, autrement dit – en médecine ; un manque qui aurait pu réparer certaines erreurs ou combler certaines lacunes dans notre traitement collectif et politique de la pandémie, erreurs et lacunes qu’il ne manque pas de souligner de manière détournée à travers son récit.

« Il y a des décisions qui ont été prises par peur, mais elles nous ont été vendues comme des décisions prises par amour. Cependant, l’amour et la peur sont deux choses complètement différentes. Le soin est l’un des thèmes de mon livre. Prendre soin demande du courage, et le courage se trouve dans l’amour. Or, dans le système de santé actuel, on empêche la créativité indispensable aux soins. Nous sommes prisonniers de méthodes et de pratiques successivement mises en place par les gouvernements dans un style de gestion qui vise avant tout l’efficacité. Mais la science ne suffit pas à remplir le cœur ni à donner un sens à ce que nous avons vécu collectivement. C’est pourquoi j’ai voulu que mon roman soit aussi un roman d’amour. »

Portez le masque

Paul-Serge Forest, éditeur VLB, Montréal, 2024, 536 pages

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