Une étude récente compare les différentes stratégies de lutte contre la pandémie de Covid-19 mises en œuvre dans 13 pays d’Europe occidentale, ainsi que les résultats qu’elles ont obtenus. Ses conclusions indiquent notamment que les États qui ont restreint très tôt les contacts sociaux ont réussi à sauver plus de vies que les autres, tout en préservant mieux leur économie.
Durant la pandémie de Covid-19, les stratégies de contrôle mises en place pour contenir la propagation du coronavirus SARS-CoV-2 à l’origine de la maladie ont varié d’un État à l’autre, y compris dans des pays présentant des similitudes en termes de populations, de niveaux de vie. , systèmes de santé, modes de gouvernement, saisonnalité des maladies respiratoires, etc.
En septembre 2023, des représentants de 13 pays d’Europe occidentale impliqués dans la gestion de la pandémie de Covid-19 (dont l’auteur de ces lignes) ont choisi de comparer les stratégies utilisées dans chaque pays pour contrer la pandémie. Cinq ans après le début de la pandémie, voici ce que donnent ces travaux, publiés dans la revue BMC Santé mondiale et publique.
Choisissez un indicateur pertinent
Dans le cadre de ces travaux, il a été décidé que le principal indicateur d’évaluation des stratégies utilisées serait la surmortalité toutes causes confondues durant la période du 27 janvier 2020 au 3 juillet 2022.
Certes, l’impact de la pandémie sur nos sociétés s’étend bien au-delà de la simple mortalité associée au virus. On peut par exemple citer la morbidité due aux formes longues du Covid-19, la détérioration de la santé mentale de la population provoquée par la pandémie, ses effets sur l’éducation, l’économie, etc. Chacun de ces aspects mérite une analyse à part entière. droite.
Cet indicateur présente cependant de nombreux avantages pour évaluer la pertinence des stratégies mises en œuvre. Il permet :
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utiliser les données disponibles dans tous les pays par sexe, groupe d’âge et semaine (sauf en Irlande où elles étaient disponibles par mois) ;
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se libérer de la discussion : mort « du » Covid-19 ou mort « avec » Covid-19 ;
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ne pas avoir à se soucier de l’exhaustivité du dépistage du Covid-19 chez les sujets décédés qui aurait pu être différent selon les pays ;
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prendre en compte la mortalité différée liée aux séquelles du Covid-19, comme celle liée aux atteintes cardiovasculaires ;
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inclure la mortalité indirecte liée à la désorganisation du système de santé pendant la pandémie ;
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prendre en compte la baisse de la mortalité liée à l’absence d’épidémie de grippe depuis deux ans, et la réduction de certaines autres causes de mortalité (comme les accidents de la route pendant le confinement) ;
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utiliser des méthodes déjà développées pour calculer la surmortalité lors d’épidémies de grippe saisonnière, ou de pandémies de grippe.
Nous avons limité nos travaux à la période comprise entre janvier 2020 et juillet 2022, car la survenue, au cours de l’été de la même année, d’un épisode caniculaire, puis le retour de la grippe au cours de l’hiver 2022-2023, empêchent alors d’attribuer la une surmortalité observée uniquement aux effets du Covid-19.
Enfin, par rapport à la plupart des articles publiés précédemment, nous avons apporté deux changements méthodologiques : nous avons allongé la période de référence utilisée pour calculer la tendance à partir de laquelle serait estimée la surmortalité (2010-2019 au lieu de 2015-2019) et nous avons standardisé la surmortalité par l’âge et le sexe, afin de prendre en compte les différences de répartition par âge des populations des pays choisis, qui peuvent être très importantes. Par exemple, l’Italie compte la plus forte proportion de personnes âgées de plus de 80 ans en Europe (elle était de 7,5 % en 2020), tandis qu’en Irlande, elle était deux fois plus faible (3,5 %). Or, on sait que les catégories les plus âgées de la population ont été particulièrement vulnérables au coronavirus SARS-CoV-2.
Les mesures prises tôt sont plus efficaces
Sur toute la période d’étude, soit du 27 janvier 2020 au 3 juillet 2022, on constate que les pays scandinaves (Norvège, Danemark et Suède) et l’Irlande sont ceux qui ont le mieux résisté : l’excès de mortalité cumulée y était de 0,5 à 1 pour 1000 habitants. Les trois pays suivants sont l’Allemagne, la Suisse et la France, avec une surmortalité cumulée comprise entre 1,4 et 1,5. Viennent ensuite l’Espagne, le Portugal, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Belgique (entre 1,7 et 2,0). Enfin, l’Italie ferme la marche, avec une surmortalité cumulée de 2,7.
La période la plus intéressante est sans doute celle de la première vague (qui s’étend de fin janvier à fin juin 2020), car elle nous donne des enseignements sur la stratégie à suivre si une nouvelle pandémie d’ampleur survenait.
Adapté de Galmiche S., et al. (2024) « Modèles et facteurs de surmortalité pendant la pandémie de Covid-19 dans 13 pays d’Europe occidentale », BMC Global and Public Health, CC BY-SA
Pour juger de la précocité des mesures de restriction des contacts sociaux (confinement, couvre-feu, fermetures, etc.), nous avons regardé quel était le taux d’hospitalisation hebdomadaire des patients atteints du Covid-19 au moment où lesdites mesures ont été prises. avait été prise. Plus ce taux était faible, plus tôt nous considérions que les mesures avaient été prises.
Nous avons constaté que la surmortalité au cours de cette période était la plus faible dans les pays qui ont pris des mesures le plus tôt possible. C’est même négatif pour des pays comme l’Allemagne, le Danemark et la Norvège, en raison d’une épidémie de grippe écourtée.
La France, qui a confiné alors que seulement trois régions étaient touchées (Grand Est, Île-de-France et Hauts-de-France), ne s’en sort pas si mal. En fait, le confinement a permis de « geler » l’épidémie naissante à l’ouest et au sud du pays.
Les pays où la surmortalité était la plus élevée lors de la première vague étaient l’Espagne et le Royaume-Uni. Tous deux ont été immédiatement victimes d’épidémies généralisées dans tout le pays, et le Royaume-Uni a été le dernier pays d’Europe occidentale à décider de prendre des mesures fortes pour contrôler l’épidémie. (24 mars 2020).
Suède : un premier choix qui n’a pas été couronné de succès
La Suède est le seul pays à avoir choisi dans un premier - des mesures intermédiaires, basées sur des recommandations appelant au civisme de ses citoyens (notamment invités à s’isoler volontairement en cas de symptômes, à privilégier le télétravail et à limiter leurs interactions sociales), sans, cependant, mettre en œuvre un confinement ou fermer des écoles, des bars, des restaurants ou des entreprises. Les seuls à qui il a été expressément demandé de s’isoler étaient les plus âgés, en raison de leur vulnérabilité aux formes graves de la maladie.
Cette stratégie s’expliquait par la crainte de l’apparition d’une « fatigue pandémique » dans la population si les mesures devaient perdurer, et par le bénéfice secondaire attendu de la construction de l’immunité de la population si le virus circulait tranquillement parmi les gens. plus jeune.
Rétrospectivement, il apparaît que la surmortalité était très élevée en Suède durant la première période, sans comparaison avec ses voisins scandinaves, et supérieure de 80 % à celle de la France. Cela s’explique par le fait que le virus a fini par se frayer un chemin jusqu’aux EHPAD suédois, dans lesquels la mortalité était très élevée. Les autorités ont reconnu fin 2020 l’échec de leur stratégie, et ont préconisé un renforcement des mesures pour l’hiver 2020-2021. La Suède connaîtra par la suite une évolution similaire à celle des autres pays scandinaves.
Les premières mesures ont mieux préservé l’économie
La deuxième leçon de notre travail est que les pays qui ont agi tôt ont non seulement mieux préservé les vies humaines, mais aussi mieux préservé leurs économies. La baisse du PIB en 2020 y a en effet été moins importante que dans les pays qui ont tardé à réagir. Et ce, même si l’une des raisons invoquées par certains dirigeants de ce dernier pour retarder la mise en place des mesures restrictives était justement la préservation de l’économie.
Cela peut s’expliquer en partie par le fait que les pays qui ont pris des mesures précocement ont pu les assouplir plus tôt, grâce à une situation sanitaire maîtrisée. Ainsi, le Danemark, qui a réagi le 13 mars 2020, alors qu’il n’y avait qu’une dizaine de personnes hospitalisées dans le pays, a pu assouplir les restrictions le 15 avril (en France, il a fallu attendre le 11 mai).
La leçon à retenir est claire : dès lors que l’on sait que la vague épidémique arrive et qu’elle sera sévère, il n’y a aucune raison d’attendre que les hôpitaux se remplissent pour prendre les mesures de restriction qui s’imposent. Au contraire, ils doivent être mis en place dans les plus brefs délais. Ainsi, des vies seront sauvées et l’impact sur l’économie sera moindre.
La confiance dans les institutions, clé du succès
Un autre avantage associé aux mesures précoces est qu’il est possible de les calibrer. Lorsqu’une première série de mesures est prise tôt, il est possible d’évaluer leur impact sur la dynamique de l’épidémie.
Dans le cas de virus respiratoires comme le virus de la grippe ou les coronavirus, si les mesures prises ont un effet, celui-ci sera perceptible dans les dix jours lors des hospitalisations. Si, passé ce délai, ces dernières ne diminuent pas, cela signifie que les mesures sont insuffisantes et qu’il faut les renforcer.
Cette marge de manœuvre n’existe pas si on attend que les hôpitaux soient saturés avant de prendre des mesures restrictives. Dans un tel scénario, il n’y a pas d’autre choix que d’adopter immédiatement des mesures très fortes pour tenter de protéger les hôpitaux.
Il faut cependant souligner que pour qu’une population accepte la mise en œuvre de mesures restrictives même lorsque les hôpitaux sont encore vides, sa confiance dans son gouvernement et ses institutions doit être élevée. C’est le troisième enseignement de ces travaux : les pays qui ont pu prendre des mesures précoces sont ceux où lesdits niveaux de confiance du public étaient les plus élevés.
Malheureusement, la circulation intense des « fausses nouvelles » ainsi que l’impact massif de la désinformation sur le débat public et la prise de décision n’incitent pas à l’optimisme, dans le cas où nous serions confrontés à une nouvelle pandémie. Espérons que nous saurons encore retenir les leçons apprises, parfois durement, lors de la pandémie de Covid-19.