Le modèle social français est-il trop cher ?

Le modèle français est-il trop généreux ? C’est une question qui animera certainement le débat budgétaire cet automne. Car les comptes de la Sécurité sociale sont dans le rouge.

En 2023, les différentes caisses de sécurité sociale ont versé 10,3 milliards d’euros de plus qu’elles n’en ont perçu. Un déficit qui n’est pas un accident conjoncturel puisque les soldes sont régulièrement négatifs.

La conclusion qui se dégage de la lecture de ces chiffres peut paraître évidente : oui, il faut rendre le modèle social moins généreux puisqu’il est en partie financé par la dette. Mais la question est beaucoup plus complexe.

La crise du Covid-19 a poussé les comptes dans le rouge en raison des dépenses médicales liées à la pandémie et de la baisse des revenus provoquée par la crise économique de 2020.

Le premier élément à souligner est la crise sanitaire du Covid-19. Elle a fait plonger les comptes dans le rouge en raison des dépenses médicales liées à la pandémie et de la baisse des recettes provoquée par la crise économique de 2020. Avant l’apparition du virus, le « trou de la sécurité sociale » se résorbait année après année et se rapprochait de l’équilibre.

On pourrait bien sûr rétorquer que ce genre de crise est probable, et qu’il y en aura d’autres. Mais, d’une part, un tel choc n’arrive pas tous les cinq ans, et d’autre part, il est logique que les comptes plongent lors d’une catastrophe : c’est le principe de l’assurance, et la Sécurité sociale est une assurance contre les risques de la vie.

« D’accord, mais il faut ensuite que l’assurance soit excédentaire quand tout va bien, justement pour financer les coups durs quand ils arrivent ! »rétorqueront les partisans d’une baisse des dépenses de sécurité sociale. Le raisonnement est bon, et la France a tenté de le respecter, mais Emmanuel Macron a rompu l’équilibre qui était en train de se construire. Explications.

Face aux déficits répétés du système de sécurité sociale, les dépenses qui lui sont liées ont été étroitement maîtrisées ces dernières années. Réforme des retraites, durcissement de l’assurance chômage, médicaments moins remboursés, hôpitaux publics au régime strict, congés parentaux maintenus à un niveau maigre… le modèle social français est devenu, sous certains aspects, moins généreux.

Ces sacrifices ont été financièrement payants, comme le montre l’amélioration des comptes entre 2010 et 2019. Plus récemment, la France a rapidement réduit les déficits sociaux post-Covid malgré les conséquences à moyen terme de la pandémie (retards de prise en charge, dépression post-confinement…) et le vieillissement accéléré de sa population.

Dans son rapport 2023, le Haut Conseil du financement de la protection sociale rappelle ainsi que la seule réforme des retraites de janvier 2023, si elle est maintenue, améliorera les comptes de 5,6 milliards d’euros par an à partir de 2027. Bref, impossible de dire que les Français n’ont pas fait d’effort.

Un trou dans les recettes

En fait, l’inquiétude vient moins des dépenses que des recettes. Et c’est là qu’entre en jeu le président de la République. Pour rappel, en 2022, la Sécurité sociale était financée à 54 % par les cotisations sociales assises sur les salaires, à 31 % par les impôts affectés (CSG, CRDS, fraction de TVA…) et à 13 % par les contributions publiques de l’État et des collectivités locales. Or, ces dernières années, Emmanuel Macron a fragilisé le principal pilier, celui des cotisations sociales.

Pour soutenir le pouvoir d’achat des ménages, l’exécutif a en effet misé sur des primes ponctuelles plutôt que sur des augmentations salariales durables. Prime de partage de la valeur (plus connue sous le nom de prime Macron), fin des cotisations sur les heures supplémentaires, intéressement, participation… toutes ces exonérations d’augmentations salariales ont été encouragées. Depuis 2019, ces incitations fiscales et réglementaires ont fonctionné : les primes ont augmenté nettement plus vite que les salaires.

Le problème est que la plupart de ces systèmes sont exonérés de cotisations sociales. Certes, en théorie, l’Etat est censé prévoir des systèmes compensatoires depuis la loi Veil du 25 juillet 1994. Mais dans son dernier rapport sur les comptes de la Sécurité sociale, la Cour des comptes constate que le gouvernement n’en a prévu aucun pour la prime de partage de la valeur.

Sans les primes exceptionnelles, les comptes sociaux auraient généré un excédent de 11,5 milliards en 2023 !

Plus généralement, la Cour constate que les taxes compensatoires imposées aux entreprises lorsqu’elles ont recours à des bonus deviennent de moins en moins strictes et que, de ce fait, « La Sécurité sociale ne récupère qu’à peine plus d’un tiers du manque à gagner qu’elle subit du fait des exonérations sur les compléments de salaire ».

Résultat, la facture est désormais très salée. Le manque à gagner pour la Sécurité sociale lié à ces mesures s’élève ainsi à 19,3 milliards d’euros en 2023, selon la Cour des comptes. Sans elles, les comptes sociaux auraient donc dégagé un excédent de 11,5 milliards l’an dernier !

La situation en 2023 n’a rien d’exceptionnel : depuis 2018, les comptes de la Sécurité sociale sont dans le vert tous les ans, sauf en 2020, année du Covid-19. Bref, sans les prélèvements encouragés par Emmanuel Macron, l’assurance collective contre les risques de vie qu’est la Sécurité sociale serait parfaitement fonctionnelle, les années normales finançant des sinistres ponctuels.

La baisse des cotisations sociales sur les bas salaires et le budget consacré à la prime d’activité privent la Sécurité sociale de 100 milliards d’euros de recettes chaque année.

Et ce n’est pas tout. Depuis le début des années 1990, la France a réduit les cotisations sociales sur les bas salaires pour lutter contre le chômage des personnes peu qualifiées. Une politique qui a plutôt porté ses fruits en termes d’emploi, mais qui a asséché les comptes de la sécurité sociale.

En 2022, le montant des réductions générales de cotisations sociales patronales pour le secteur privé s’élève ainsi à 69,8 milliards d’euros. A cette somme s’ajoute le budget dédié à la prime d’activité (9,8 milliards d’euros en 2021). Bref, au total, la Sécurité sociale bénéficierait d’environ 100 milliards d’euros de recettes supplémentaires chaque année sans l’existence des nombreux dispositifs exceptionnels.

Politique des caisses vides

Pour certains économistes hétérodoxes, cette évolution n’est pas le résultat du hasard mais constitue un cas d’école de politique du type « affamer la bête » (en français, « affamer la bête »). Cette stratégie des caisses vides, mise en œuvre par Ronald Reagan aux États-Unis au début des années 1980, consiste à réduire volontairement les recettes des caisses publiques, avant de dénoncer le déficit, et à réduire les dépenses en conséquence. De quoi réduire la sphère sociale et la sphère publique, et laisser plus de place au secteur privé.

Comme le rappelait récemment l’économiste Michaël Zemmour dans nos colonnes, « Le gouvernement crée les conditions pour qu’un déficit apparaisse, puis il le dramatise pour imposer un programme de réformes, connu depuis le début, qui vise à réduire les dépenses publiques ». Une orientation qui devrait faire l’objet d’une intense guerre des mots dans quelques semaines à l’Assemblée nationale.

Retrouvez notre série « 10 questions pour comprendre le débat sur le budget 2025 »

 
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