- Le 17 mars 2020, la France est entrée en confinement pour faire face au coronavirus. Cette période hors du commun a été l’occasion de questionner nos modes de vie et de réfléchir à une nouvelle société post-confinement.
- Trois ans plus tard, et alors que le trafic aérien est en passe de retrouver son niveau d’avant la pandémie, 20 minutes fait le point sur les promesses d’un monde plus juste, plus vert et simplement plus agréable à vivre.
- Dans ce deuxième épisode, la bouffe et les Français. Le « mieux manger », qui consistait à remplacer les aliments industriels et malsains par des aliments plus sains, bio, locaux et respectueux, peine à s’intégrer dans nos menus.
Quand le 16 mars 2020 au soir, Emmanuel Macron annonce la mise en place d’un premier confinement contre le Covid-19, de nombreux Français voient dans cette parenthèse une opportunité de passer à un “monde d’après”. Pour beaucoup, cela devait passer par une cuisine plus locale, plus bio, plus saine, plus « maison », tout en se faisant plus plaisir… Trois ans plus tard, les Français ont retrouvé le cours de leur vie, et leurs vieilles habitudes, à quelques points.
Premier constat, sans doute, les Français restent français : « Le plaisir a toujours été leur première préoccupation associée à l’alimentation, que ce soit avant ou après le Covid-19 », explique à 20 minutes Laurence David, Déléguée Générale de la Fondation Nestlé, qui a publié en février la troisième édition de l’Observatoire Alimentation & Famille de la Fondation. Pourtant, l’importance du plaisir a légèrement diminué depuis l’arrivée du coronavirus : “58% des Français le citent comme leur première préoccupation en 2019, contre 50% en 2022”, note Laurence David. En revanche, la question de la santé occupe beaucoup plus les esprits et les estomacs. Une “conséquence directe de la crise sanitaire”.
Le “fait maison” parait gris
Pourtant, quoi de mieux pour la santé que du « fait maison ». Malheureusement, selon un webinaire de l’Institut Nielsen consacré à l’analyse de la consommation française en 2022, malgré un boom pendant le Covid-19, le “fait maison” est aujourd’hui en déclin. Ainsi les Français “mangent plus de fruits et légumes transformés qu’avant, comme des compotes ou des soupes”, constate Florence Thorez, diététicienne nutritionniste à Paris et membre de l’Association française des diététiciens nutritionnistes (AFDN). “C’est mieux que de manger un gâteau, bien sûr, mais une compote contient moins de fibres qu’une vraie pomme”, regrette la nutritionniste.
L’Institut Nielsen observe ce phénomène dans les types d’achats effectués par les consommateurs dans les supermarchés : plus de plats déjà préparés et moins d’ingrédients pour cuisiner. Face au retour des plats cuisinés, certains évoquent un manque de temps pour cuisiner. “En 2022, la notion de facilité et de rapidité revient dans le top 3 des préoccupations des Français associées à l’alimentation en semaine”, ajoute Laurence David. Et, justement, la rapidité et la facilité sont les arguments de vente des plateformes de livraison, qui ont aussi profité du développement du télétravail.
Le boom de la livraison
« D’un côté, il y a des télétravailleurs qui sont contents et qui cuisinent. D’autre part, il y a ceux qui commandent ou mangent rapidement des plats préparés. Et ils sont nombreux dans ce deuxième scénario », commente Florence Thorez. Et malheureusement, les repas livrés ou préparés ne sont généralement pas synonymes de saine alimentation. “Les livraisons de repas sont en plein essor, avec d’énormes parts d’amidon et de très faibles parts de protéines. C’est juste des pâtes, du riz et des glucides », explique la diététiste.
De facto, comme le précise Bastien Pahus, directeur général d’Uber Eats France, Suisse et Belgique, « le top 3 national des plats les plus commandés sont les burgers, les pizzas et les sushis. Dans le top 10 national, on retrouve le poke bowl, la cuisine asiatique, le poulet frit/grillé, la cuisine libanaise, la cuisine mexicaine ». Une cuisine riche en nutriments. Et cette augmentation du recours aux livraisons décrite par Florence Thorez s’observe aussi du côté d’Uber Eats : “Notre activité en France a triplé entre le premier trimestre 2020 et le quatrième trimestre 2021, soit en deux ans”, souligne Bastien Pahus . Et la livraison ne concerne pas que les ouvriers, mais aussi les familles : un tiers des plats livrés à domicile ont été commandés par des familles, indique début 2022 le cabinet d’études NPD.
---L’insécurité alimentaire est plus présente que jamais
Mais si les Français ont tendance à avoir plus de livraison et moins de fait maison, lorsqu’ils cuisinent, ils veulent utiliser des produits locaux. En 2022, selon une étude Bienvenue à la ferme et Ipsos, “80% des consommateurs déclarent acheter désormais des produits locaux”, “une tendance croissante (69% des acheteurs de produits locaux déclarent acheter actuellement plus qu’avant) et qui devrait continuer à se renforcer (59% disent qu’ils achèteront plus dans les 6 prochains mois) »
Cependant, cette augmentation des achats alimentaires locaux n’est malheureusement pas synonyme d’attractivité du bio. En réalité, les ventes du secteur sont en baisse depuis deux ans, dont une baisse de 7,4 % des ventes en volume dans la grande distribution sur la seule année 2022, selon le cabinet d’études NielsenIQ. Les produits bio sont aussi « en moyenne 30 % plus chers », note la firme. « Je choisis le bio pour certains produits, mais je n’ai pas les moyens pour tout », confirme Cécile, lectrice de 20 minutes.
Car oui, en trois ans, un autre élément est également venu bouleverser le quotidien des ménages français : la hausse des prix. Pourtant, “c’est difficile d’inciter les gens qui ont peu d’argent à manger plus équilibré”, explique Florence Thorez.
Car, la priorité pour certains n’est pas « mieux manger » mais « manger ». En novembre dernier, les associations d’aide alimentaire ont tiré la sonnette d’alarme. Entre avril et novembre seulement, le nombre de bénéficiaires des Restos du Cœur avait bondi de 12% et 60% d’entre eux vivent dans “l’extrême pauvreté”, contre 50% un an plus tôt.
Par ailleurs, plus d’un tiers des bénéficiaires de la Banque Alimentaire en 2022 “utilisent l’aide alimentaire depuis moins de 6 mois” et près de six bénéficiaires sur dix viennent solliciter cette aide une à deux fois par semaine, soit une augmentation de 6% par rapport à 2020, apprend-on dans une étude rendue publique le 27 février, réalisée par l’institut CSA. Et, selon la même étude, en raison d’une succession de crises (dont celle du Covid-19), les Banques Alimentaires, qui ont accueilli 820 000 bénéficiaires en 2011, doivent désormais prendre en charge 2,4 millions de personnes, soit trois fois plus de personnes dans dix ans.
Nathan Tacchi