Mais jusqu’où ira-t-il ? La dernière décennie a été particulièrement réussie pour Vincent Lindon. Tout d’abord, le triplé gagnant au Festival de Cannes : le prix d’interprétation masculine pour La loi du marchéde Stéphane Brizé, en 2015 (ce qui lui a permis de remporter au passage le César du meilleur acteur), la Palme d’or pour Titanede Julia Ducournau, en 2021, la présidence du jury en 2022. Et, en septembre dernier, la Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculine pour Jouer avec le feude Delphine et Muriel Coulin, qui sort en salles mercredi. Un drame poignant dans lequel il incarne avec une authenticité émouvante un père qui sent son fils lui échapper, sans qu’il puisse l’arrêter.
Un autre rôle fort pour la star, également à l’affiche du documentaire Coeur sanglantde Thierry Demaizière et Alban Teurlai (diffusé sur Arte le 5 février à 22h35), où il ouvre son cœur sans retenue. Une générosité et une sensibilité que l’on retrouve lors d’un entretien matinal dans son quartier de Saint-Germain-des-Prés.
Le JDD. Vous osez vous exposer très courageusement Coeur sanglant. Qu’est-ce qui vous a motivé ?
Vincent Lindon. Ça frappe, hein ? Plus on parle de soi profondément, plus on va dans l’intime et plus cela se rapporte aux autres, à l’universalité de la condition humaine. Tout fonctionne dans des vases communicants : plus on donne, plus on reçoit. Les spectateurs me disent en sortant de la projection qu’ils ont l’impression qu’il s’agit d’eux. Ils s’y retrouvent parce que nous sommes tous pareils, nous faisons partie de la même espèce avec des variations, des changements et des différences d’une personne à l’autre, mais la base est la même.
Nous avons des yeux, un nez, une bouche, un cœur, un cerveau, un ventre, des joies, des peines, des rêves, des cauchemars, des espoirs, des désillusions. Maintenant, je me tais, car je ne vais pas commenter quelque chose qui vient de moi, ni répéter sous une forme moins bonne et simplifiée ce qu’il m’a fallu quatre ans pour mettre en place avec des gens qui me suivaient au quotidien. Une longue période qui a été nécessaire pour avoir toutes les saisons dans l’image et le mouvement dans la narration, au gré de mes humeurs souvent contradictoires. (Rires.) J’ai parfaitement conscience que je joue avec le feu.
Le reste après cette annonce
Après cette avalanche d’honneurs et de récompenses, êtes-vous un homme épanoui ?
On m’aurait dit qu’au Cours Florent, je ne l’aurais pas cru… En 2015, c’était la première fois que je recevais un prix. J’ai été nominé de nombreuses fois aux César mais j’ai systématiquement perdu. Ce qui me convenait très bien car j’appartenais au club de ceux qui ne l’avaient jamais eu, comme Patrick Dewaere. Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve, mais je ne travaillerai jamais vers cet objectif, le meilleur moyen de garantir que rien ne se passe. Je me concentre sur le personnage, le film, le réalisateur. Je ne me crée aucun rêve, je ne veux pas penser aux désagréments que je subirai si cela ne se réalise pas. Je préfère donc être neutre, carte blanche. Et quand les choses arrivent, je me réjouis. Suis-je épanoui ? Je ne me suis pas posé la question comme ça. Je n’aurais été sans rien, et je suis avec tout.
J’essaie de me concentrer sur les choses que je peux influencer, pas sur celles que je ne peux pas changer. Par exemple, j’ai décidé de ne plus me soucier de la météo, car je ne peux rien y faire. Un problème en moins ! C’est pareil pour la forme physique, la vieillesse, les courbatures, c’est comme ça. Dans ma jeunesse, j’étais dans l’avant ou l’après. Je me concentre davantage sur maintenant, probablement parce qu’on mûrit, on vieillit, on se calme, on devient philosophe. J’ai gardé mon enthousiasme, je n’ai pas bougé depuis mes 16 ans, mais je fais ce que j’ai à faire. Je lutte contre mon fléau : le confort. Pour être éveillé, alerte et réactif, je dois sentir du gravier dans ma chaussure.
A Venise, vous avez encore battu des concurrents prestigieux : Adrien Brody, Daniel Craig, Joaquin Phoenix, Brad Pitt et George Clooney !
Je ne m’y attendais pas du tout. Autant vous dire que c’est l’équivalent de gagner le tennis sans raquette face à Novak Djokovic ! (Rires.)
Dans Jouer avec le Feu, vous êtes un père dont le fils lui échappe, un sentiment vertigineux.
Il y a la petite histoire et la grande histoire, on pense à la famille et à la radicalisation de cet enfant, dans cet ordre. Cependant, je crois que c’est le contraire. Ce sujet m’a interpellé en tant que père et en tant que fils. Parce qu’il s’agit d’amour inconditionnel, quelles que soient les directions que prend l’enfant, sa propre chair. Comment faire pour vivre quand on est impuissant, quand on ne sait pas quoi faire pour donner une direction à quelqu’un qu’on aime et qui ne vous écoute pas ? La souffrance est terrible car il affronte son père dans un esprit de contradiction et va droit dans le mur.
« Quand on ne peut rien y faire, c’est une tragédie. Nous devons être patients.
Si nous ne faisons rien et laissons cela passer, en pensant que si nous ne nous opposons pas à lui, les choses vont changer, nous risquons de nous résigner. Et si cela ne marche pas, nous nous reprocherons toute notre vie de ne pas avoir agi. C’est ce qui m’a plu et m’a touché. Le fait qu’il soit également veuf. On regarde ces trois hommes complètement perdus se débattre comme des lapins pris dans les phares. Si seulement la mère était là, elle calmerait évidemment tout ça. J’ai été touché par la relation entre les deux frères, il était impossible de glisser une feuille de papier à cigarette entre eux. Si le père fait une remarque à l’un, l’autre vient aussitôt le défendre. Alors qu’ils sont à l’opposé. Quand on ne peut rien y faire, c’est une tragédie. Nous devons être patients. Éduquer, c’est répéter. Mais quel est le pas en arrière ? Il ne va pas l’enfermer.
-Lorsque vos enfants étaient jeunes, surveilliez-vous leurs relations ?
Je détestais quand ma mère ou mon père parlait de moi à d’autres personnes, donc je ne vais pas les mettre au courant. Moi par contre, en tant que père, je pense que plus on discute, on communique, on fait confiance, et plus on obtient des résultats. Il y a un cadre à donner, à respecter. J’ai été élevé comme ça. Quand j’étais jeune, ma mère me disait toujours : « Je préfère vous donner la permission à 3 heures du matin, attention, pas à 3 h 01, plutôt qu’à minuit, car vous arriveriez avec une demi-heure de retard et je m’inquiéterais. Si vous avez un problème, parlez-moi pour que je puisse vous aider, ne me cachez rien. »
J’ai appris ceci à mes enfants : une promesse est une promesse, un mot est un mot, un secret est un secret. Ils font ce qu’ils veulent de leurs pensées, de leur vie amoureuse, de leur sexualité, ce ne sont pas mes affaires. D’un autre côté, ils disent « bonjour », « au revoir », « merci », « s’il vous plaît », « désolé », « je me trompe ». S’ils ont ce lexique, tout va bien, le reste ne m’importe pas. Ils peuvent vivre en Laponie s’ils le souhaitent. Je ne tolère pas de mal répondre à quelqu’un. Tous les hommes sont égaux, toutes les professions sont nobles.
Pensez-vous que le film capture de manière adéquate la violence de notre époque ?
Il y a une augmentation du manque de temps, la société va plus vite, ce qui oblige les gens à ne plus penser mais à réagir comme par réflexe, et cela est toujours dangereux selon l’humeur dans laquelle on se trouve. On voit une escalade sur les réseaux sociaux , qui développe l’ego disproportionné et déplacé de chacun. On tombe dans des a priori de mauvaise foi, des réactions futiles, rapides et stupides au lieu d’une réflexion calme, lente et intelligente. Qu’est-ce qui pousse les jeunes à se radicaliser ? Manque d’espoir. Ce film se déroule dans une région où plusieurs grandes usines ont fermé leurs portes. Les enfants n’ont pas commencé à travailler. Alors ils s’éloignent, ils traînent. Totalement à la merci des influences extérieures qu’ils absorbent comme une éponge. Le premier groupe qui vient vers vous, qui fait semblant de s’intéresser à vous et de vous rendre une certaine appréciation, vous emmène avec lui.
Vous souvenez-vous de l’adolescent que vous étiez ?
C’est avec les questions des journalistes qu’on se souvient de choses auxquelles on pensait peut-être inconsciemment pendant le tournage, mais heureusement je ne me suis pas posé tout ça avant, sinon je n’aurais pas pu monter sur le plateau. (Rires.) J’ai eu des moments dans ma jeunesse où je faisais des bêtises. Quand j’y pense, je me dis que mes parents étaient vraiment durs. Oui, je me suis probablement inspiré de mon expérience sans le savoir. On restreint le metteur en scène à des choses qui nous sont très spécifiques, sinon on jouerait tous de la même manière !
« C’est toujours plus facile d’abandonner que de commencer. Même si cela signifie recevoir une gifle, j’essaierai même si j’échoue. »
Etes-vous d’un caractère combatif ?
Je regarde tout, j’entends tout, tout me fascine, tout me fascine, tout m’intéresse. J’écoute ce que disent les gens à deux tables du restaurant. Comme Steve Austin, L’homme qui valait trois milliardsJ’aime tout capturer. Il est toujours plus facile d’abandonner que de commencer. Quitte à me prendre une gifle, j’essaie même si j’échoue. J’avoue aux gens que je les aime bien, je n’ai pas peur du rake. Cela ne m’importe pas : j’ai un immense potager, je peux en stocker plein ! Rien n’est pire ou frustrant que l’immobilité. Dès que je me retrouve dans une impasse, je déplace des montagnes pour m’en sortir. Mais j’ai toujours le trac…
Sur le plateau, Benjamin Voisin et Stefan Crépon étaient paralysés à l’idée de jouer avec moi. Ils ne savaient pas que leur angoisse ne représentait même pas le centième de la mienne. Ce sont des challengers, je mets mon titre en jeu. Rien n’est acquis dans la vie. Avant, j’étais insouciant, inconscient. Maintenant, avec mon expérience, je sais à quel point cela peut être ridicule si c’est faux ! Usain Bolt, lorsqu’il remporte les Jeux Olympiques, ne part pas la fois suivante avec 10 mètres d’avance sur les autres, mais sur la même ligne. Sa médaille d’or ne lui sert à rien, elle ne le fera pas avancer plus vite. Il gère juste mieux sa course. Mais cela ne lui donne pas de jambes de moteur. (Rires.)
Quels sont vos projets ?
Le tournage du nouveau film de Ruben Östlund, Le système de divertissement est en panneest prévu pour mars. Et il y aura celui de Misérables par Fred Cavayé fin juin. C’est génial, je suis comme un fou. Je vais enfin jouer Jean Valjean, le rôle dont je rêve depuis que je suis petite. Je vénère Victor Hugo. Et puis c’est un bon scénario : tu peux dire ce que tu veux, ça tient. (Rires.)
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