L’art de prendre sans entreprendre

La fortune des milliardaires a augmenté de 2 000 milliards de dollars en 2024, soit trois fois plus vite qu’en 2023. En moyenne, près de quatre nouveaux milliardaires émergent chaque semaine. Dans le même temps, il faudrait plus d’un siècle pour éradiquer la pauvreté en raison de la multiplication des crises économiques, climatiques et géopolitiques.

À l’heure où les élites économiques se réunissent à Davos en Suisse et où Donald Trump, largement soutenu par le milliardaire Elon Musk, est investi, Oxfam publie son nouveau rapport sur les inégalités mondiales : L’art de prendre sans entreprendre.

Milliardaires, pauvreté : un monde à deux vitesses

En 2024, la richesse des milliardaires a augmenté trois fois plus vite qu’en 2023. Leur fortune totale a augmenté de 2 000 milliards de dollars.

Si l’année dernière, Oxfam estimait qu’on verrait pour la première fois la fortune d’un multimilliardaire franchir la barre des 1 000 milliards de dollars en dix ans, ce sont finalement cinq personnes qui pourraient atteindre ce niveau de richesse sur la même période si les tendances actuelles se poursuivent. . Dans le même temps, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a à peine diminué depuis 1990, selon les données de la Banque mondiale. Les femmes sont parmi les personnes les plus touchées par la pauvreté et les inégalités. À l’échelle mondiale, une femme sur dix vit dans une pauvreté extrême (moins de 2,15 dollars PPA par jour).

Les fortunes des milliardaires s’acquièrent plutôt que se construisent

Les liens entre méritocratie et fortunes colossales apparaissent de plus en plus comme un mythe qu’un véritable ancrage dans la réalité. Aujourd’hui, l’extrême richesse vient principalement de l’héritage, des situations de monopole et de la collusion.

Selon les calculs d’Oxfam, 36 % de la richesse des milliardaires provient à l’origine d’héritages. Pour la première fois, en 2024, davantage de personnes devenues milliardaires doivent ce statut à des héritages qu’à leur esprit d’entreprise. Tous les milliardaires de moins de 30 ans ont hérité de leur fortune selon une étude Forbes. Un système qui conduit à la reproduction des inégalités à l’infini, comme nous l’avons montré dans notre rapport sur les super-héritages.

Des fortunes colossales au goût de colonialisme

Pour comprendre les inégalités actuelles et ces niveaux d’extrême richesse, il est impératif d’étudier le lourd héritage de notre passé colonial.

De nombreux très riches doivent une partie de leur richesse au colonialisme historique et à l’exploitation des pays les plus pauvres. La dynamique d’extraction de richesses perdure aujourd’hui grâce au système financier et avec l’aide d’institutions comme le FMI et la Banque mondiale qui imposent des conditions drastiques aux pays du Sud. Ainsi, des milliards de dollars continuent d’affluer des pays du Sud vers les pays du Nord et leurs citoyens les plus riches. Ainsi, selon le rapport d’Oxfam, les 1% les plus riches du Nord auront pris 30 millions de dollars par heure aux pays du Sud en 2023.

En France, la réduction des inégalités patine

En France, et alors que la crise du coût de la vie continue d’avoir des conséquences, la fortune des milliardaires français reste à des niveaux stratosphériques. Depuis 2019, la richesse des milliardaires français a augmenté en moyenne de 13 millions d’euros par jour quand, dans le même temps, les associations ne cessent d’alerter sur les situations critiques dans lesquelles se trouvent des millions de Français.

Oxfam a calculé que seulement 10 % de la fortune cumulée des milliardaires français suffiraient à atteindre l’objectif de 50 milliards d’économies actuellement recherché par le gouvernement pour le budget 2025.

Comme dans le reste du monde, les inégalités françaises sont façonnées par notre histoire coloniale. L’enrichissement des plus riches se fait aux dépens des pays du Sud. Selon les calculs d’Oxfam, en France en 2023, les 1% les plus riches auront reçu près de 20 milliards d’euros du Sud à travers un système financier international à caractère postcolonial favorable aux pays riches du Nord.

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Vincent Bolloré : entre capitalisme colonial et empire médiatique

Le milliardaire Vincent Bolloré est l’exemple emblématique d’une fortune bâtie sur l’exploitation des ressources et des infrastructures du Sud. Le milliardaire français est présent depuis près de 40 ans sur le continent africain, à travers ses activités de transport et de logistique. Dans les pays africains dont il exploitait les ressources, Vincent Bolloré pourrait, avec sa fortune, financer la moitié de l’aide humanitaire nécessaire en 2025, et ainsi sauver 40 millions de vies.

Cette fortune, en partie issue des entreprises coloniales en Afrique, lui a permis de financer son empire médiatique actuel. Aujourd’hui propriétaire de nombreux médias véhiculant l’idéologie d’extrême droite, comme CNews, Vincent Bolloré illustre parfaitement le danger croissant d’une concentration médiatique entre les mains de quelques milliardaires. Un danger illustré également par l’investiture de Donald Trump, dont l’élection a été largement favorisée par Elon Musk, l’homme le plus riche du monde.

Les recommandations d’Oxfam

Oxfam appelle les gouvernements à agir sans délai pour réduire les inégalités et mettre fin à l’extrême richesse en adoptant les mesures suivantes :

• Réduire radicalement les inégalités : les gouvernements doivent s’engager à garantir que, au niveau international et au sein des pays, les revenus des 10 % les plus riches ne dépassent pas ceux des 40 % les plus pauvres.
• Taxer les plus riches pour mettre fin à l’extrême richesse, en mettant fin aux paradis fiscaux, en taxant les super-héritages et en veillant à ce que la politique fiscale mondiale soit encadrée par une nouvelle convention fiscale régie par les Nations Unies.
• Mettre fin au transfert de richesses des pays du Sud vers ceux du Nord : il est urgent d’annuler les dettes des pays du Sud et de mettre fin à la domination des pays riches et des multinationales sur les marchés financiers et les règles commerciales.

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