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« Il ne faut pas augmenter les prélèvements sur les entreprises, même les plus grandes »

Janvier 2025 : la n’a toujours pas de budget. Mais au moins, elle a toujours un Premier ministre. Après son discours de politique générale, il obtient un sursis en échappant à la censure. Le Parti socialiste n’a pas voté la motion déposée par la France Insoumise, estimant que les changements de François Bayrou allaient dans le bon sens, notamment la relance de la réforme des retraites. Le locataire de Matignon a obtenu un répit, mais la discussion budgétaire approche. Avec son lot de renoncements et de nouveautés pour contenir un déficit abyssal. François Ecalle, ancien magistrat à la Cour des comptes, fait le point sur les premières pistes dévoilées par le Premier ministre.

MATCH PARISIEN. Dans son discours de politique générale, François Bayrou s’est montré vague sur le budget 2025. Ce que l’on sait, c’est que les économies espérées seront inférieures à celles promises par Michel Barnier. Comment traduire ce changement ?

FRANCIS ÉCALLE. Il convient tout d’abord de noter que les estimations des économies budgétaires sont souvent hypothétiques et fragiles. Le Haut Conseil des finances publiques, chargé d’émettre un avis sur les prévisions budgétaires, a estimé celles annoncées par Michel Barnier pour 2025 à seulement 12 milliards d’euros et non à 30 milliards. Quoi qu’il en soit, les économies affichées par le gouvernement actuel semblent moins importantes. Il est en effet encore très difficile en France de faire des économies sur les dépenses publiques. Les partis politiques ne souhaitent le faire que sur des postes budgétaires dont les montants sont relativement faibles. Pour les très grosses dépenses, il y a beaucoup de « lignes jaunes ». Pour éviter le vote d’une motion de censure, François Bayrou doit donc faire plus de concessions que son prédécesseur sur l’échelle des économies, d’où ce changement.

Dans une tribune que j’ai signée avec Olivier Blanchard, ancien économiste en chef du FMI, nous évaluions à 120 milliards d’euros l’effort nécessaire pour juste stabiliser la dette publique à son niveau actuel en pourcentage du produit intérieur brut (PIB). ), ce qui est énorme même si on le fait sur plusieurs années. Si l’on considère qu’il faut augmenter les dépenses militaires et la lutte contre le changement climatique, l’effort s’apparente encore plus à 150 milliards d’euros sous forme d’économies sur d’autres dépenses ou d’augmentation des cotisations obligatoires (impôts et cotisations sociales). L’estimation de 12 milliards d’économies annoncée par Michel Barnier est conforme à notre calcul, elle représente donc moins de 10 % de l’effort nécessaire. Les économies envisagées par François Bayrou ne sont pas encore connues avec précision mais en réalité elles seront moindres.

Que pensez-vous des premières pistes pour augmenter les impôts, notamment sur les entreprises, les transactions financières et les plus riches ?

La suite après cette annonce

Cet effort de 150 milliards d’euros nécessiterait une réduction de 4 à 5 points des dépenses publiques en pourcentage du PIB. C’est économiquement possible et justifié, d’autres pays l’ont fait et ne sont pas dans une situation économique et sociale pire que la nôtre, mais c’est irréaliste dans le contexte politique et social français. Il faut donc se résigner à augmenter les cotisations obligatoires même si nous sommes souvent sur le podium de l’OCDE pour leur poids.

Il ne faut cependant pas augmenter les prélèvements sur les entreprises, même les plus grandes, car leur compétitivité est déjà insuffisante, ce qui se traduit par un déficit chronique de notre commerce extérieur et la désindustrialisation de la France. Je suis donc réservé sur les mesures qui vont dans ce sens comme l’augmentation, même temporaire, du taux de l’impôt sur les sociétés. Il est préférable d’augmenter la fiscalité des actionnaires individuels des sociétés, par exemple le taux de retenue forfaitaire sur les dividendes qu’ils perçoivent. On peut plus généralement augmenter la fiscalité des ménages les plus riches, mais ils sont déjà lourdement imposés en France et on ne peut pas aller beaucoup plus loin dans ce sens. Rappelons que la fortune des ménages les plus riches sont des actions d’entreprises françaises dont ils ont réellement besoin. Il faudra un jour envisager d’augmenter des taxes à haut rendement comme la CSG ou la TVA qui sont efficaces sinon équitables.

Les hausses d’impôts provisoires tendent à devenir durables en France.

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Ce recours aux impôts reflète-t-il une « facilité » de la part du gouvernement alors que les grandes économies semblent oubliées, ou impossible compte tenu de la situation politique ?

Il est techniquement et politiquement plus facile d’augmenter le taux de l’impôt sur les sociétés que d’entreprendre une réforme majeure de l’État pour réduire ses dépenses. Compte tenu du temps très limité de préparation de ce nouveau budget, comme aussi de celui de Michel Barnier, on peut donc comprendre que le gouvernement maintienne à titre provisoire des mesures fiscales de ce type, mais les hausses d’impôts provisoires ont tendance à devenir soutenables en France. .

Quel impact cette instabilité politique et ce budget baroque ont-ils sur l’attractivité de la France ?

Les investisseurs, français ou étrangers, n’aiment pas l’incertitude et gèlent souvent leurs projets lorsque l’horizon est flou. Cette instabilité politique et ces incertitudes budgétaires et fiscales ne peuvent qu’avoir un effet négatif sur l’attractivité de la France et, plus généralement, sur l’activité économique.

La croissance pourrait donc être très faible en 2025 et, comme les mesures de redressement des comptes publics seront limitées, le déficit public diminuera peu et la dette publique augmentera. Pour l’instant, l’État emprunte assez facilement car ses créanciers ne sont pas trop inquiets, mais cela ne durera pas éternellement. Certes, on peut penser que la Banque centrale européenne prêtera toujours suffisamment d’argent à la France pour éviter un défaut de paiement, et les acteurs des marchés financiers comptent sur elle. Mais elle ne peut le faire sans exiger des compensations comme celles qui ont été imposées aux pays du sud de l’Europe en 2011-2012 : en pratique des mesures d’austérité sans commune mesure avec ce que les Français ont connu jusqu’à présent (mais ces pays s’en sortent bien mieux aujourd’hui).

En fin de compte, le budget le plus important n’est-il pas celui de 2026 où il faudra faire de « vraies » économies et de vrais choix ?

Sauf nouvelle censure, le gouvernement aura en effet plus de temps pour préparer le budget 2026 et pour y inclure de réelles économies basées sur une évaluation sérieuse des dépenses publiques, mais je n’y crois pas. Je suis convaincu qu’il tentera sérieusement de réduire les dépenses publiques mais il n’obtiendra pas le vote du Parlement et surtout il n’aura pas le soutien des Français s’il propose des économies substantielles. Beaucoup de nos concitoyens s’inquiètent de la situation des finances publiques, mais il n’existe pas de consensus parmi eux sur les mesures nécessaires pour redresser nos comptes. La dette publique va donc continuer à augmenter jusqu’à ce qu’une crise et une contrainte extérieure nous obligent à mener péniblement les réformes nécessaires. Personne ne sait quand cela se produira, mais il faut s’y attendre.

 
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