Les accusations continuent à affluer. Après deux premières révélations en juillet et septembre derniers, neuf nouveaux témoignages de violences sexuelles incriminant l’abbé Pierre ont été révélés lundi 13 janvier dans un rapport d’Egaé, cabinet indépendant mandaté par Emmaüs pour enquêter sur les agissements de cet homme. de l’Église. Ce reportage est révélé par « Envoyé spécial » qui consacre son numéro au sujet, jeudi 16 janvier, à 21 heures.
Les neuf nouvelles accusations de violences sexuelles, perpétrées entre les années 1960 et 2000, concernent essentiellement des agressions sexuelles sur des femmes. Mais l’un des témoignages fait état d’un viol d’un garçon mineur au moment des faits. Ces récits, reçus par Egaé entre septembre et décembre 2024, s’ajoutent aux 24 publiés dans les deux rapports précédents sur le sujet.
Parmi les nouveaux témoignages publiés lundi figure celui de Danièle, 73 ans. Rebaptisée « GG » dans le rapport, elle explique avoir subi des agressions sexuelles répétées de la part de l’abbé Pierre lors d’une mission humanitaire au Bangladesh en décembre 1972, à la suite d’un typhon et d’une guerre civile. Elle mentionne avoir touché ses seins et « sur les espaces intimes »mais aussi avoir été embrassé de force et avoir été contraint d’assister à une scène de masturbation. Des actes qui se sont répétés pendant plusieurs jours lors de ce déplacement, selon son témoignage.
«J’avais 21 ans, l’abbé Pierre, 60 ans»confie-t-elle à « Envoyé spécial ». « Chaque soir, il me demandait de le rejoindre dans sa suite pour faire le point sur la journée (…) Il m’expliquait à quel point il était seul et souffrait de manque affectif. C’est là qu’il a eu des gestes déplacés, des attouchements de sa part qui pouvaient aller assez loin”, » rapporte-t-elle modestement. La septuagénaire raconte avoir ressenti, lors de ces agressions, “une sorte de dégoût et de pitié pour l’homme.” Lorsqu’elle se croisa à nouveau dans les années 1990, elle rapporta avoir été témoin d’une scène de nudité obligatoire et avoir été témoin d’un contact à la cuisse de l’homme d’Église sur une de ses amies.
“Je n’ai pas consenti, j’étais sous une forme de contrôle.”
Danièle Moulinà « Envoyé spécial »
Parmi les huit autres témoignages, l’histoire d’un « acte sexuel avec pénétration » à propos d’un garçon mineur est mentionné. Bien qu’il comporte des éléments « nous permettant d’attester de la vérité » D’après ses propos, la victime ne souhaitait pas que son histoire soit détaillée dans le rapport.
Dans ce même document, le groupe Egaé rapporte avoir reçu un témoignage d’un membre de la famille de l’abbé Pierre, rebaptisé « HH ». Cette personne affirme avoir subi, à la fin des années 1990, des propos sexuels de la part de l’abbé Pierre, mais aussi « contact sexuel sur ses seins » et deux tentatives de baisers forcés. “Cette personne m’a demandé que ni son âge ni ses règles n’apparaissent, car cela aurait été des éléments qui auraient permis de la reconnaître”explique à « l’Envoyée spéciale » Caroline De Haas, co-fondatrice du groupe Egaé.
Le rapport souligne la vulnérabilité d’une grande partie des victimes au moment des faits. Beaucoup expliquent avoir parlé à leur entourage des agressions ou du harcèlement sexuel de l’époque sans qu’on les croit. “Il ressort de ces témoignages que l’abbé Pierre avait mis en place des mécanismes pour faire taire les victimes, notamment par des propos ou des comportements menaçants”, peut encore y être lu.
Ces témoignages « ne permettent absolument pas de dresser un état des lieux exhaustif du comportement de l’abbé Pierre », avertir les auteurs du rapport. D’autres témoignages, anonymes ou incomplets, ont été reçus. Le groupe Egaé a ainsi entendu plusieurs personnes ayant entendu des victimes de l’abbé Pierre et au moins neuf personnes supplémentaires ont été identifiées. “Certaines de ces victimes sont décédées aujourd’hui, d’autres n’ont pas souhaité témoigner ou n’ont pas pu être entendues”, détaille le rapport. Le groupe Egaé avait également connaissance de l’existence d’au moins une autre victime parmi les membres de la famille de l’abbé, qui n’a pu être entendue. “De témoignage en témoignage, le nombre de victimes augmente, la nature des faits s’élargit, les lieux s’élargissent, le profil des victimes s’élargit”, dévoile Caroline De Haas à « Envoyée spéciale », déplorant « un degré de violence qui dépasse l’entendement ».
« Nous sommes fermement convaincus que nous n’avons qu’une partie de la réalité de ce qu’a fait l’abbé Pierre. »
Caroline De Haas, co-fondatrice du groupe Egaéà « Envoyé spécial »
Lors de sa phase d’enquête, le groupe Egaé a systématiquement recoupé les faits. «Lorsque nous recevons un témoignage, nous avons parfois en pièce jointe des éléments qui permettent de faire le lien avec la vie de l’abbé Pierre», explique Caroline De Haas. Lorsque ce n’est pas le cas, l’association se rapproche d’Emmaüs qui « regarder dans les archives s’il y a des éléments qui permettent de relier le témoignage à la vie de l’abbé Pierre »continue-t-elle. Ces nouveaux témoignages portent à 33 le nombre d’accusations corroborées contre l’abbé Pierre, longtemps l’une des personnalités préférées des Français. Au total, 57 personnes accusant le prêtre se sont manifestées depuis le début de l’affaire, mais 24 accusations n’ont pu être vérifiées, rappelle « l’Envoyé spécial ».
La collecte de témoignages mise en place par Egaé se poursuit jusqu’au 31 janvier par mail : [email protected] et par téléphone : 01 89 96 01 53. Le dispositif laissera alors place à une structure « qui traitera les témoignages à l’avenir »» a déclaré l’organisation dans son rapport. Après la révélation de septembre, Emmaüs a également annoncé la création d’une commission indépendante chargée de “pour expliquer les dysfonctionnements” qui a permis à l’abbé Pierre “d’agir comme il le fait depuis plus de cinquante ans”, et la Conférence des évêques de France décide de rendre publiques les archives le concernant.
« Nous présentons nos excuses à la société, aux victimes par rapport à la gravité des actes commis par un homme qui nous était cher et en qui nous avions confiance. Nous sommes les premiers à nous sentir trahis. »a réagi Adrian Chaboche, délégué général d’Emmaüs International, à « l’Envoyé spécial ». Concernant une éventuelle indemnisation des victimes, il ajoute : « Nous sommes prêts à l’envisager. Il faut imaginer un système et proposer quelque chose d’adapté et de sérieux. Il faut un peu de temps pour construire. »
Retrouvez l’enquête exclusive de l’Envoyé spécial sur l’abbé Pierre en intégralité jeudi à 21h10 sur France 2, sur franceinfo.fr et sur france.tv.
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