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l’incroyable histoire de la création du slogan « Je suis Charlie » par Joachim Roncin

Entretien avec Joachim Roncin, créateur du slogan « Je suis Charlie », auteur du livre « Une histoire folle, comment j’ai créé Je suis Charlie et le voyage dans l’absurde qui a suivi » (Grasset).

Comment est né ce slogan « Je suis Charlie », « Une histoire folle », pour reprendre le titre de votre ouvrage publié chez Grasset ?

A l’époque, j’avais un magazine qui s’appelait Stylist et le 7 janvier 2015, nous étions en conférence de rédaction lorsque le rédacteur en chef adjoint a reçu un appel sur son téléphone, j’ai essayé dans les premières minutes de minimiser car il y avait déjà Il y a eu un attentat à la bombe incendiaire contre Charlie Hebdo peu avant.

Mais au fil des minutes, on s’est tous rendu compte que c’était sérieux, on était derrière le fil Twitter, on voyait tomber beaucoup de messages.

Je suis directeur artistique, donc je m’exprime avec des images, j’ai créé « Je suis Charlie » en prenant le logo de Charlie Hebdo et en me demandant ce qu’il m’a inspiré. C’est mon enfance, toute une période d’insouciance avec mon père qui lisait Hara-Kiri, Charlie Hebdo, Le Canard Enchaîné, tous ces titres un peu contestataires.

J’ai dit « Je suis Charlie » parce que j’avais l’impression de faire partie de tout cet univers. En attaquant Charlie, j’avais l’impression que j’étais moi aussi touché d’une certaine manière. C’est aussi simple que cela.

Je l’ai mis sur Twitter sans aucune intention de devenir viral, sachant que j’avais à l’époque 400 abonnés sur Twitter. C’est ainsi qu’il est né.

Vous ne vous attendiez pas à ce que cela devienne un cri de ralliement mondial.

Non, je voulais juste m’exprimer. À aucun moment je n’ai voulu que cela devienne un slogan et fasse quatre fois le tour de la planète.

À quel moment réalisez-vous la dimension que prend ce slogan ?

Quand des médias comme l’AFP commencent à m’appeler. Et quand je me suis rendu au rassemblement le soir même, place de la République, j’ai vu que les gens l’avaient déjà imprimé sur des feuilles de papier et le brandissaient, à mon grand étonnement. Confirmation donc, le 11 janvier, je vois des gens défiler dans les rues de Paris avec ce slogan en pin’s, en t-shirt, en casquette, en pancarte…

C’est là que je réalise que ce truc ne m’appartient plus, qu’il est devenu complètement viral. Et que c’est le message qui exprime le mieux la douleur, nos pensées pour les victimes et le fait que nous n’avons pas peur face aux attentats, que nous voulons défendre l’un de nos fondements de notre pays, à savoir la liberté d’expression, la liberté de la presse, de la caricature.

C’est devenu un cri de ralliement, un phénomène, et dans les jours qui ont suivi, de nombreuses personnes se sont approprié le slogan. Il s’est retrouvé au centre de nombreux débats. Être ou ne pas être Charlie, telle est devenue la grande question.

Ce slogan a été repris par de nombreuses personnalités à travers le monde, parfois de manière assez inattendue…

Il y a quelques jours à peine, j’étais derrière mon ordinateur et j’ai vu George Clooney répéter quelque chose que je viens de faire, aux Golden Globes, c’est improbable ! A la fin du générique des Simpsons, il y a aussi ce « Je suis Charlie » qui apparaît tel que je l’ai dessiné.

Lorsque le président ukrainien de l’époque, Petro Porochenko, m’a invité à discuter avec lui, j’ai été soudain propulsé dans un univers bizarre.

Comment s’est organisée cette rencontre avec Porochenko ?

La veille de la marche du 11 janvier, j’ai reçu un appel téléphonique du chef de cabinet du président ukrainien qui m’a demandé de le rencontrer. Au début, je pensais que c’était une blague. Je suis complètement incrédule. Je ne suis personne, un petit graphiste parisien. Quand un président ukrainien souhaite-t-il me rencontrer ? Il insiste et je vais aller le voir à l’ambassade d’Ukraine après la marche.

Il me dira des choses très touchantes, je suis à moitié ukrainien, il me dit que je suis un vrai cosaque, cela touche la fibre ukrainienne en moi. Il me donnera les clés de la ville de Kyiv. Ce sera la seule distinction que j’aurai suite à toute cette histoire. C’est assez drôle que ça ne vienne pas du pays où je l’ai fait mais d’Ukraine. Je suis citoyen d’honneur de la ville de Kyiv.

Vous parlez dans votre œuvre d’une forme de « voyage dans l’absurde ».

Rencontrer le président ukrainien et lui demander ensuite de devenir communicateur pour tenter d’améliorer l’image de l’Ukraine en Europe est complètement absurde. Je reçois aussi chaque jour des messages de toutes parts, des remerciements, des félicitations mais aussi des menaces.

Des gens m’appellent aussi pour me dire qu’il y a eu plus de 120 dépôts de marques autour du slogan pour en faire un business. Je me retrouve à demander au ministre de l’Économie de l’époque, qui n’était autre qu’Emmanuel Macron, de bloquer ces dépôts de marques de l’INPI, ce qu’il a fait.

Ce livre « Une histoire folle » témoigne aussi de cette absurdité du monde dans lequel nous vivons dû aux réseaux sociaux et à la course à l’information.

Tout est disproportionné et tout s’accélère. Je suis l’un des tweets les plus importants de l’histoire de la plateforme. Je me retrouve alors le visage entre le pape et Obama dans les bureaux de Twitter. Tout simplement parce que j’ai écrit « Je suis Charlie » pour une cause qui me tient à cœur.

Cela reste l’un des slogans les plus utilisés dans l’histoire de Twitter. Est-ce une fierté pour vous aujourd’hui ?

Certainement pas. Il serait extrêmement cynique de s’enorgueillir d’un slogan qui trouve son origine dans un acte aussi odieux et terrible. Mais je suis heureux que des gens se soient retrouvés derrière une seule phrase pour défendre un certain nombre de valeurs.

La situation a alors dégénéré en quelque chose que vous n’aimiez pas.

Oui, c’est aussi pour ça que j’ai fait ce livre, j’ai vu que ces trois mots devenaient quelque chose qui ne répondait pas complètement aux valeurs initiales, à savoir la liberté d’expression, la fraternité.

A l’époque, certains voyaient dans « Je suis Charlie » une défense de la ligne éditoriale, ce qui n’est pas le cas, c’était juste une expression du droit au blasphème. Mais il y a eu des « Je ne suis pas Charlie » proclamés par des musulmans, je suis tout à fait d’accord avec ça, sinon l’essence même de « Je suis Charlie » n’existerait pas. La liberté d’expression va dans les deux sens.

Mais depuis quelques temps, l’extrême droite utilise « Je suis Charlie » pour affirmer son côté français. Lors des élections européennes, Jordan Bardella a repris mon slogan : « Je suis agriculteur, donc je vote Bardella », « Je suis policier, donc je vote Bardella ». Et pour la première fois, j’ai porté plainte.

L’action est en cours et je souhaite désormais engager une action en justice chaque fois qu’un usage ne répond pas, à mon sens, aux valeurs du slogan.

Votre slogan est-il protégé aujourd’hui d’une manière ou d’une autre ?

Non, mais cela risque de l’être par la jurisprudence. Car si l’on mène à bien cette action en justice contre le RN, le mot d’ordre sera de facto protégé. La procédure est en cours. Et j’ai cédé mes droits moraux à Reporters sans frontières, qui peut les utiliser pour financer ses actions.

« Une histoire folle, comment j’ai créé Je suis Charlie et le voyage dans l’absurde qui a suivi » (Grasset, 19 €, 198 pages).
 
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