Richard, est-ce positif de dire que c’est vous qui choisirez l’heure et le moment de votre retraite ? Que ce ne soit pas votre corps qui décide…
Richard Gasquet : Oui, c’est clair que c’est très important, on sait que la fin est difficile. Sinon, nous ne nous arrêterions pas. Déjà, évidemment, on se sent moins bien à s’arrêter… Andy Murray, ça n’a pas été facile à Wimbledon, Rafa, c’est clair que ce n’était certainement pas son plus beau match… Mais on décide rarement de l’arrêter. On ne sait jamais ce qui va se passer, c’est quand même une compétition, il y a un adversaire en face, donc c’est toujours compliqué.
Est-ce important pour vous de faire comprendre que tant qu’on éprouve du plaisir, tant que le corps subit encore le choc, qu’il n’y a aucune raison de s’arrêter ?
RG : Chacun est libre de faire ce qu’il veut. Personne ne devrait parler au nom de Rafael Nadal ou de qui que ce soit, je pense que personne ne peut lui donner de conseils. S’il veut jouer, il continue. Il a choisi son arrêt, c’est un peu pareil pour tous les joueurs, chacun fait ce qu’il veut et de toute façon, il n’y a pas de limite. La vraie question est : « Comment vous sentez-vous ? Vous sentez-vous capable de gagner des matchs ? Là, je me sens un peu moins capable de remonter au classement. Et jouer des matchs énormes pour faire ce retour. Alors je décide tout simplement d’arrêter, ce qui est naturel pour moi.
« Quand on voit les sorties de Federer et Nadal, Djokovic provoquera-t-il les mêmes émotions ?
Crédit vidéo : Eurosport
Une fois Roland-Garros 2025 passé, comment envisagez-vous l’avenir ?
RG : On verra la suite… Évidemment, ce sera au Tennis. Après où, comment, quand, on verra mais ce qui me fascine c’est le court, c’est le tennis, ce sont les joueurs, c’est cette vibration que j’ai en moi. Je vais déjà essayer de bien finir ces six mois, prendre quelques mois et après on verra où ça me mène.
Y a-t-il une activité où vous pouvez vous imaginer ?
RG : Jeunes joueurs. Ceux qui arrivent sur le circuit à leur tour, les soutiennent pour être forts. Plutôt des joueurs français dans l’idée. Qu’ils progressent, que tout le monde monte haut dans le classement… C’est le genre de choses qui pourraient m’intéresser un jour. Entraîneur? Honnêtement, je ne sais pas exactement.
Y a-t-il cependant une activité que vous ne souhaitez absolument pas faire ?
RG : Non, franchement, je n’ai aucune réserve sur quoi que ce soit. Je reste ouvert. Mais ce que je sais, c’est que ce sera côté court, c’est ce que j’aime plus que tout dans le monde du tennis, c’est clair.
Richard Gasquet au Rolex Paris Masters 2024
Crédit : Getty Images
Le terrain, justement. Est-ce toujours un plaisir pour vous de vous entraîner, de frapper la balle ?
RG : C’est principalement le jeu. Pas d’entraînement ni de match, pas seulement frapper la balle mais réaliser de beaux coups, des coups gagnants, sentir que la balle part… Il y a des jours, c’est la magie du tennis, certains jours ça s’en va, il y en a d’autres, c’est plus difficile. Ce qui fait qu’un jour ça s’en va, l’autre un peu moins, c’est toujours difficile à expliquer. Mais quand on passe une bonne journée, le tennis est un sport merveilleux.
Dans tout ce que vous avez pu accomplir au cours de votre carrière, qu’est-ce qui vous rend le plus fier ?
RG : Avoir pu faire carrière, tout simplement. Moi, j’étais jeune, j’étais dans le sud, j’étais avec mes parents, avec mes amis, si j’avais su… J’aurais signé à deux mains pour faire une carrière comme je l’ai fait, bien sûr. avoir pu vivre ces moments, avoir pu être sur les courts centraux, avoir pu jouer des matchs incroyables, avoir tout simplement vibré. Et surtout d’avoir vécu des émotions énormes. Tout cela grâce au tennis.
Quand vous êtes-vous senti le plus fort dans votre carrière ?
RG : Quand vous atteignez la demi-finale du Grand Chelem. C’est là qu’on se sent le plus fort car ce sont quand même les tournois les plus importants. Les autres derrière sont des tournois importants certes, mais cela n’a rien à voir. Le « vrai » tennis est dans ces tournois. Il y avait aussi la Coupe Davis. Ce sont des moments au-dessus des autres. Alors oui, les demi-finales, les matchs un peu historiques où on sent le poids du tennis, c’est là qu’on se sent le plus fort. Parce que c’est autre chose.
La joie de Richard Gasquet et Lucas Pouille après le sacre de la Coupe Davis en 2017
Crédit : Getty Images
Y a-t-il un objectif que vous vous êtes fixé, auquel vous croyiez vraiment mais qui n’a jamais été atteint ?
RG : Gagner un Grand Chelem, évidemment. Mais j’ai vite compris que ça allait être difficile. J’ai vu que c’était compliqué, la génération était très forte. J’ai atteint trois fois les demi-finales, j’y ai cru. J’y ai cru mais à chaque fois, ça n’est pas arrivé. Étant également septième, je voulais être dans le Top 5. Mais cela va avec : je voulais battre ces joueurs mais cela n’a pas toujours été le cas.
Jo-Wilfried Tsonga et Gaël Monfils ont récemment parlé du Grand Chelem sur YouTube. Ils se demandent ce qu’ils ont manqué pour remporter ces tournois. Selon vous, qu’est-ce qui manquait ? Pour vous mais aussi pour cette génération de très bons joueurs français ?
RG : Au fond, le tennis, c’est facile. Ce n’est pas compliqué, il faut être le meilleur. Qu’est-ce qu’il a manqué ? Certainement des choses. Alors, quoi exactement ? Cela peut prendre beaucoup de temps à expliquer. Je pense que j’ai eu du mal à gérer les choses, il y avait beaucoup de pression sur mes épaules. De temps en temps je perdais un peu de temps car c’était dur à transporter. Après, qu’est-ce qui lui manquait quand nous étions plus grands ? Des coups de tennis certes, un peu plus de physique de temps en temps, une meilleure récupération sur certains matches, un meilleur service pour moi. Beaucoup de choses au final.
RG : Ce qui est bien avec le tennis, c’est qu’il n’y a pas de matchs nuls. Il y a un classement en fin d’année. C’est un sport extrêmement équitable et il n’y a pas de triche. Soit vous gagnez, soit vous perdez. On ne ment pas au tennis. Il y a le numéro 1, le numéro 2, le 3, le 4, le 5ème mondial. Il n’est donc pas nécessaire de se mentir. Il y en a qui étaient tout simplement meilleurs. Après, on a fait de très belles carrières. Nous n’étions pas si loin non plus. Mais en n’étant pas loin, vous n’y êtes pas encore.
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Crédit vidéo : Eurosport
Croyez-vous au hasard, à la chance qui aurait pu, peut-être, vous donner un coup de main ?
RG : Je crois à la chance d’être dans une génération ou une autre. Je pense qu’il peut y avoir des générations plus fortes que d’autres. Là, quand même, cette génération contre laquelle j’ai joué, contre laquelle on a joué, c’était quand même monstrueux. Il y avait quand même quatre joueurs extraordinaires, presque les meilleurs joueurs de l’histoire, surtout les trois premiers. Derrière, il y avait des joueurs très très forts. Honnêtement, quand je suis arrivé sur le circuit, c’était moins fort. En 2004, j’ai vu la finale. Entre 2000 et 2005, je me dis que ce n’est quand même pas le même tennis. C’est peut-être difficile à dire, mais c’est ce que je crois. Cela ne veut pas dire que j’aurais gagné un Grand Chelem à une autre époque. Mais ce que je sais, c’est que la génération dans laquelle j’ai joué est la plus forte de l’histoire du tennis. C’était beau, mais toujours pas de chance.
Vous êtes souvent décrit comme étant humble, réfléchi, logique, tactique, possédant une réelle connaissance du jeu, de vos adversaires, du monde qui vous entoure. Pensez-vous qu’avec une forme d’insouciance, presque d’inconscience, cela vous aurait permis de franchir des étapes, de briser un plafond de verre ou…
RG : (Il coupe) Oui, mais je ne pouvais pas y faire attention, c’est impossible. Avec l’histoire que j’ai eu, avec tout ce que j’ai eu sur les épaules, ma précocité, ce genre de choses, l’insouciance ne peut pas exister. Je pense que j’étais le gars le plus suivi de l’histoire entre 10 et 20 ans. Donc vous ne pouvez pas être négligent, ce n’est pas possible. J’en ai eu un peu quand j’étais jeune, évidemment, j’ai très bien joué, tout allait bien. Mais j’ai quand même dû lutter avec ça. Quand on est jeune, quand on est adolescent… C’est peut-être spécifique à la France mais Roland-Garros, les médias… Alors je ne pouvais pas vivre dans l’insouciance. S’il y a un gars qui n’y arrive vraiment pas, c’est bien moi. Et je trouve effectivement que je ne m’en suis pas trop mal sorti par rapport à ça. Après, de l’humilité, oui, je pense que j’aurais pu avoir un peu plus, peut-être, une certaine forme de confiance naturelle, un peu à l’américaine. Cela m’aurait certainement aidé…
La Une de Tennis Magazine quand Richard Gasquet avait 9 ans (édition Eurosport)
Credit: Quentin Guichard
Cette insouciance ne pourrait-elle pas revenir plus tard ? Lorsque vous affrontez à nouveau Rafael Nadal ou Novak Djokovic, trouvez-vous une forme d’insouciance pour vous convaincre que ‘oui, aujourd’hui, je peux les battre’ ?
RG : Mais nous avons essayé. J’ai perdu du temps, mais j’ai fini par rattraper ce retard. J’étais encore septième mondial, j’ai joué les demi-finales du Grand Chelem. Mais après, j’étais moins fort. Vous ne devriez pas non plus rechercher des trucs mentaux. C’est bien français. Honnêtement, ce n’était pas un problème mental quand nous avons perdu. C’est parce qu’ils ont mieux joué que nous. En termes d’intensité, sur le plan physique, ils ont été énormes. Ils étaient plus forts. Donc comme je le disais, il faut quand même être assez cartésien au tennis et ne pas toujours chercher midi à 14h.
Et si ce n’était pas mental ?
RG : Quand nous avons perdu, c’était parce qu’ils jouaient un meilleur tennis. Et on pourrait aussi progresser de ce côté-là. Sur le plan technique, je pense qu’il y a des choses à regarder. Là aussi, on joue beaucoup au tennis. Ce n’est pas seulement l’esprit. C’est toujours la réponse facile à donner. C’est très solidaire, mais il ne faut jamais oublier la technique aussi. Je pense que c’est toujours le plus important.
Cette idée de « mentalité faible » est-elle impossible quand on est top 10 mondial ?
RG : Oui, c’est impossible. Après, c’est la méconnaissance des gens sur le tennis. C’est facile, le parallèle est facile tout de suite, mais ce n’est pas là que ça se fait. Je le répète : nous aurions pu progresser davantage sur le plan tennistique. Moi, mon service, les autres joueurs français avaient aussi leurs faiblesses. Et quand on a vu le meilleur… Eh bien, Djokovic, je ne vois aucune faiblesse. Nadal, je n’en vois pas non plus. Federer, n’en parlons pas. Il faut parfois être un peu plus cartésien et connaître un peu mieux le tennis.
Richard Gasquet à Roland Garros en 2024
Crédit : Getty Images
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