TToutes les réputations sont fausses, y compris celle des premiers ministres. La cote de popularité désastreuse de François Bayrou n’est pas qu’un record Ve République. C’est un symptôme qui révèle l’épuisement d’un régime qui passe plus de temps à préserver les équilibres politiques d’il y a trente ans qu’à satisfaire l’opinion publique ou à prendre soin de l’État. Habituellement, et contrairement à la croyance populaire, les premiers ministres ne sont pas impopulaires.
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Charles de Gaulle était plus populaire que ses Premiers ministres, mais il est vrai qu’en matière de comparaison, le Général n’est pas un étalon fiable. Georges Pompidou n’était pas impopulaire, mais son Premier ministre, Jacques Chaban-Delmas, était adoré. L’incroyable pouvoir de séduction du maire de Bordeaux et sa qualité d’héritier du gaullisme dans sa version la plus pure en faisaient le candidat idéal.
Ce ne fut pas suffisant puisqu’il finit finalement bon troisième à l’élection présidentielle de 1974 avec un peu plus de 15 % des voix. C’était le début de la malédiction. Quand un Premier ministre tente de transformer Matignon en calèche, il finit toujours avec une citrouille.
Réduit à « l’intendance »
Valéry Giscard d’Estaing était apprécié des Français, au moins jusqu’en 1980, mais ses Premiers ministres, Jacques Chirac et Raymond Barre, n’avaient pas à rougir. Contrairement aux apparences, Laurent Fabius n’a pas toujours été vieux. Lorsqu’il est nommé à Matignon par François Mitterrand en 1984, il est le plus jeune à occuper ce poste depuis la création du Ve République. Il a de l’énergie, des idées, des compétences. Et pourtant, rien n’y fera.
Michel Rocard et Édouard Balladur étaient considérés comme les meilleurs de leur génération, ils étaient appréciés, et eux aussi étaient touchés par la malédiction de la rue de Varennes. François Fillon avait une cote de popularité plus élevée que Nicolas Sarkozy, de même que Manuel Valls lorsqu’il dirigeait le gouvernement de François Hollande.
A LIRE AUSSI Les pires ennemis de François Bayrou ne sont pas là où on le croitBref, Monsieur le Premier ministre, c’est une bonne situation. Si nous ne voulons pas devenir président. Comment l’expliquer ? La configuration du Ve La République leur est défavorable. La légitimité supérieure du chef de l’État les réduit à ce que les communicateurs appellent « l’horizontalité », à savoir ce que dédaignait de Gaulle : « l’intendance ».
Y compris en situation de cohabitation. Lionel Jospin a peut-être eu des ministres exceptionnels et des résultats remarquables, mais il n’a surpassé ni l’ampleur ni la hauteur d’un Jacques Chirac vieillissant. Incroyablement, François Bayrou parvient même à accroître la cote de popularité d’Emmanuel Macron. Cela montre le poids de la légitimité dans le tempérament de la France.
La France croit moins aux idées qu’aux individus
Les constitutions organisent, mais elles n’expliquent rien. L’impuissance des Premiers ministres révèle d’abord que la supériorité du chef de l’Etat n’est pas due aux institutions, mais aux Français. Qu’on le veuille ou non, leur faveur revient au prince, à qui il pardonne infiniment plus qu’à n’importe quel chef de gouvernement.
Si aucun des locataires de Matignon, même les plus talentueux et parfois les plus aimés, n’a pu renverser le président aux urnes, c’est qu’une sorte de glaçure protectrice recouvre la personne du premier magistrat. de la République. Nous aimons détester nos présidents, mais jamais au point de les voir vaincus par un Premier ministre.
A LIRE AUSSI Éric Lombard, le nouvel homme fort de BercyTout se passe comme s’il s’agissait de mauvaises manières que nous refusions de leur faire. Preuve qu’en France, l’égalité s’applique à tous, sauf au président. C’est à la fois inexplicable et irrationnel, mais après tout, la politique est aussi faite de cela. Il ne s’agit pas de cultiver une nostalgie ridicule de la figure du roi ni, par ailleurs, de placer la France dans une histoire où la Révolution et la modernité n’auraient pas leur part. La réaction n’a rien à voir avec cette volonté de souveraineté. La France croit moins aux idées qu’aux individus. C’est tout.
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Ce raisonnement débouche sur un autre sujet, également d’actualité, celui de la démission, voire du limogeage, d’Emmanuel Macron. Si ce dernier était poussé vers l’une ou l’autre éventualité, on ne nuirait pas à sa personne, ni même au prestige de la fonction, mais à la fonction elle-même.
Le Ve La République ne peut pas se permettre le luxe d’éliminer ce qui justifie son existence. Le précédent serait désastreux. Le sort de François Bayrou n’a d’importance que relativement à celui du chef de l’Etat. Le Premier ministre doit survivre pour que le président vive. Non par amour pour Emmanuel Macron, la question n’est pas là, mais parce que c’est son devoir de Français.
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