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Après le procès Mazan, « une nouvelle manière de juger le viol » ?

Qquatre mois d’une audience extraordinaire, suivie avec passion partout dans le monde. 51 accusés, tous reconnus coupables par le tribunal correctionnel du Vaucluse et condamnés à des peines allant de 3 à 20 ans de prison. Partie civile avant tout, Gisèle Pelicot, qui a choisi d’ouvrir les portes de l’audience au public et a pris la dimension d’une icône…

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Magistrat Denis Dalas, professeur agrégé à l’École nationale de la magistrature, président de l’Association française pour l’histoire de la justice et auteur de Déni du viol (Michalon, 2023), tire pour Le point les leçons du procès.

Le point : Que pensez-vous du verdict du procès pour viol de Mazan ?

Denis Dalas : La peine maximale imposée à Dominique Pelicot n’est pas surprenante ; sont plus des deux tiers de sécurité, sans modification de la peine, dont il était accompagné. La facture est lourde. Le tribunal envoie un message en rejoignant le parquet dans ses réquisitions : il a vu en Dominique Pélicot un personnage ancré dans la perversion sexuelle (selon les experts psychiatres) et ne s’est pas laissé tromper par les gages qu’il a parfois tenté de donner : sa reconnaissance des faits, sa excuses même dans ses déclarations finales. Nous avons ici, à travers la décision du tribunal, une réponse véritablement rétributive de la société : elle punit un homme qui, comme beaucoup de pervers, se joue de la loi et ne s’attribue pas le mérite des fautes qu’il décide de reconnaître.

Face à lui, il y a ces 50 accusés, dont un en fuite…

Globalement, le verdict est intelligible car il existe une sorte de hiérarchie des peines. Ceux qui fréquentaient le plus souvent Dominique Pelicot, venu plusieurs fois à Mazan, ont écopé des peines les plus lourdes, avec ensuite un decrescendo en fonction des faits commis, du casier judiciaire de chacun, de la reconnaissance des faits… Reste à savoir le motivations du tribunal : de nombreux avocats, je suppose, les attendent avant d’éventuellement décider de faire appel.

Un procès en appel se tiendrait cette fois devant une cour d’assises, avec jurés.

En effet, et cela changerait considérablement la nature des débats… sans qu’il soit possible de prédire si cela jouerait en faveur d’une aggravation ou d’une réduction des peines. Un jury peut être plus réceptif à l’opinion publique et être plus sévère, mais le passage du -, l’évolution possible du système de défense de l’accusé peuvent conduire à une réduction des peines.

Celles qui ont été prononcées à Mazan sont également nettement moins sévères que ce que réclamait l’accusation.

Oui, et ce n’est pas surprenant. Le parquet réclame au nom de la société, il a une posture à l’audience bien différente de celle du tribunal, qui juge les hommes, les actes, les circonstances, profile, et individualise finement ses décisions. La position du parquet s’explique ici par une politique pénale plus ferme à l’égard des violences sexuelles et par l’importance de l’affaire à l’échelle nationale et internationale. Ce fut une audience mondialement reconnue et suivie, quelque 350 journalistes étaient présents le jour du verdict. Il s’agit d’un défi pour la justice, qui l’a relevé avec un professionnalisme qui mérite d’être salué.

Avez-vous été surpris par le statut d’icône acquis par Gisèle Pelicot ?

L’envergure qu’elle a prise est une des grandes différences avec le procès d’Aix-en-Provence : en 1978, c’est essentiellement Gisèle Halimi qui parlait pour les victimes. A Avignon, nous avons eu affaire à une partie civile qui était elle-même singulièrement présente. En brisant le huis clos, Gisèle Pelicot répondait à une attente collective, qui existait depuis l’émergence de #MeToo. Ce qu’elle a subi s’est produit en secret, dans l’invisible, dans l’inconscience d’un sommeil sédatif : en brisant ce silence par un appel à la publicité, Gisèle Pelicot a projeté dans l’espace public une scène jusqu’alors invisible. Il s’agit évidemment d’une approche extrêmement forte et il serait intéressant d’en connaître les motivations initiales. Peut-être n’a-t-elle pas voulu être seule à subir le choc de cette audience et de ces images meurtrières, peut-être a-t-elle voulu le partager, et le transformer en un message politique adressé à toutes ces femmes violées dont elle se sent unie.

Qu’elle soit devenue une icône n’était pas tout à fait prévisible, à mon avis, mais il me semble qu’elle l’a accueilli comme une forme de justice réparatrice. L’audience fut certes difficile, mais toute la troupe, et le public avignonnais, lui rendirent en quelque sorte son honneur perdu. Les éloges étaient encore plus forts que les expressions d’émotions punitives du public. C’est l’un des effets inattendus d’un procès pénal lorsqu’une société entière s’en charge. Il est exceptionnel de voir une institution aussi professionnalisée qu’un tribunal pénal transfigurée par des acteurs issus de la société civile.

Comment interprétez-vous l’intérêt international suscité par le procès ?

Je le relie à la mondialisation de #MeToo : le public intéressé par le procès y voyait la matérialisation d’une forme de culture du viol. L’audience a été, en même -, l’occasion d’entrer dans le détail des profils des accusés. C’est le propre des procès d’introduire de la complexité pour remonter aux sources de la violence, et d’écarter les généralisations commodes que peuvent projeter les mouvements militants, en exigeant par exemple « Vingt ans pour tous ».

Que retenez-vous de la manière dont les accusés ont été défendus ?

C’est un point essentiel, à mon avis, et l’un des principaux enseignements du procès d’Avignon. J’ai suivi beaucoup de procès pour terrorisme. Face à une victime d’attentat, la défense ne dit pas un mot : le respect est absolu. Dans les procès pour viol, on n’hésite pas à la mettre en cause, à pointer du doigt sa supposée participation aux faits – même lorsque, comme c’est le cas dans le cas de Mazan, elle était totalement inconsciente. Il ne s’agit pas de porter atteinte à la liberté d’expression ni de critiquer la trentaine d’acquittements plaidés. Mais il est nécessaire aujourd’hui de mener une réflexion éthique pour donner des orientations éthiques à la défense en matière de violences sexuelles. C’est une des raisons pour lesquelles je parle plus volontiers d’une nouvelle façon de juger le viol que d’une nouvelle définition du viol.


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Que veux-tu dire ?

Il s’agit selon moi de juger le viol en introduisant la notion de consentement dans le sens de sa méconnaissance de la part de l’accusé. De ce point de vue, cet essai peut servir de mesure standard. Lors de l’audience, le président n’a pas récité le Code pénal. Il n’a jamais prononcé les mots « contrainte » et « surprise ». Qui aurait compris leur signification ? Il a choisi de demander à chacun des accusés s’ils avaient obtenu le consentement de Gisèle Pelicot, à un moment ou à un autre. Cette approche a été décisive. En cas de réforme législative, on peut craindre que l’introduction du consentement dans la définition du viol ne fasse peser la charge de la preuve sur la victime. Le danger est réel mais le procès Mazan a réussi à introduire cette dimension en se référant exclusivement au comportement de l’auteur et peut, en ce sens, servir de référence.

 
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