« J’ai souhaité, en ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre, que la société puisse s’approprier les débats qui s’y sont déroulés. Je n’ai jamais regretté cette décision. Avec ces mots, Gisèle Pelicot, émue, a clôturé quinze semaines du procès intense de ses 51 agresseurs. A côté d’elle se trouve un visage juvénile : celui de son petit-fils Nathan, 18 ans. C’est aussi pour ses petits-enfants qu’elle “a mené ce combat”. «Je respecte le tribunal et la décision du verdict», » a ajouté celle qui est devenue une icône mondiale dans la lutte contre les violences sexuelles.
Un peu plus tôt dans la matinée, son ex-mari Dominique Pelicot, instigateur de sa décennie de tourments, a été condamné à la peine maximale de vingt ans de prison. Debout dans son box, l’homme de 72 ans sent le coup, les yeux fixés sur ses pieds, les épaules lourdes. Puis se rassied. Et le président prononce d’un seul coup, en 1 heure 15 minutes, les peines de ses 50 coaccusés.
Cela commence avec Jean-Pierre M., le seul poursuivi pour plusieurs viols aggravés non pas de Gisèle Pelicot, mais de sa propre épouse, avec sa participation. L’homme de 63 ans est condamné à douze ans de réclusion criminelle. Le ministère public avait requis dix-sept ans. On comprend tout de suite que les cinq magistrats du tribunal correctionnel du Vaucluse se sont démarqués du réquisitoire des deux procureurs généraux. Dans une ambiance particulièrement apaisée, le président a poursuivi et prononcé des peines allant de trois ans de prison – dont deux avec sursis – à quinze ans de prison.
Chaque homme se lève l’un après l’autre. Gisèle Pelicot se penche pour les regarder, se contorsionnant pour apercevoir les 18 prévenus détenus, entassés dans leur box, tout au fond de la salle. Parmi les accusés qui paraissaient libres, plusieurs gardaient leur manteau, prêts à repartir immédiatement : 23 ont été immédiatement placés en garde à vue.
Pas de menottes au bar : ils sont tranquillement exfiltrés dans deux pièces adjacentes, chacun portant son propre sac contenant ses affaires. Pas de tension, pas de cris de colère. Un accusé verse cependant quelques larmes. Les enfants de Gisèle Pelicot ne semblent pas satisfaits, mais se contiennent. Comme Caroline Darian, qui pleure en silence, les bras croisés.
A l’extérieur, une toute autre ambiance règne. Depuis les quatre salles de diffusion, les mères et les compagnes des accusés fondent en larmes. Plusieurs s’exclamèrent, sous le choc : “Neuf ans, putain, neuf ans !”crie l’un d’eux. Quelques caméras les filment. Les insultes viennent des femmes en deuil. Certains veulent sortir prendre l’air, mais n’osent pas, craignant la foule à l’extérieur.
Depuis le matin, une foule de journalistes s’est rassemblée devant l’entrée du tribunal. Les premiers sont arrivés à 5 heures du matin. Près de 180 médias étaient accrédités pour couvrir l’événement, dont 86 étrangers pour un total de 350 journalistes, avec des duplex en anglais, espagnol, allemand, portugais, néerlandais et même japonais. A 7h30, la majeure partie du contingent médiatique était sur place. Tout le monde attend déjà l’arrivée de Gisèle Pelicot. Une femme est venue du Portugal pour la soutenir, une autre est venue de Cologne, en Allemagne.
« Justice pour Gisèle ! Justice pour les femmes ! » crie soudain une féministe, très seule. Elle est bientôt rejointe par une dizaine d’autres personnes. Tous appartiennent au collectif des Amazones d’Avignon, qui fait entendre sa voix depuis le 2 septembre.« Violeur, ta bite dans un mixeur », « Prison pour tout le monde », est-ce écrit sur les quelques panneaux qu’ils tiennent à bout de bras.
C’est vers 7h45 que les accusés sont arrivés, seuls ou en petits groupes. Les premiers sont passés inaperçus, revenant en toute hâte, tête baissée, masque chirurgical sur le visage. D’autres sont vite repérés et tentent de se frayer un chemin à travers la meute, aux cris de « Violeurs, on vous voit !. Certains militants leur tendent des oranges, “pour leur séjour en prison”. Un avocat de la défense est accusé de « pseudo-avocat ». «Pseudo-féministes!»elle crie en retour. “C’est de la folie” murmure un policier.
La publication du verdict est encore plus tendue. Depuis l’aube, la foule s’est agrandie, avec d’autres militants, mais aussi des curieux et quelques curieux. Et la décision des juges est jugée trop indulgente par beaucoup. Certains des neuf accusés qui sortent libres (dont trois font l’objet d’un mandat de dépôt différé) empruntent les sorties adjacentes. Mais d’autres décident volontairement de percer dans la foule. Ils sont copieusement insultés, violemment bousculés. Une policière trébuche.
Pas effrayé pour autant, Christophe Bruschi, avocat de la défense, insulte les militantes féministes de“hystérique” et de “furies”. “Connard !”, “Fils de pute !”, une certaine réponse. La situation dégénère, la police l’exfiltre. Il revient ensuite se justifier auprès des médias : “J’accepte la contradiction, mais avec le sourire et de manière non agressive”.
Et puis, vers 13h15, Gisèle Pelicot sort à son tour. Un départ tardif, plus de deux heures après la fin du verdict : il a fallu attendre l’accord des services de police à l’extérieur. Pour la première fois, la septuagénaire pénètre dans la salle des Pas Perdus, encerclée par les forces de l’ordre pour la protéger de la meute de journalistes.«Même pour [Emmanuel] Macron, je n’ai jamais vu ça !observe, amusé, un reporter habitué des meetings politiques.
Lorsqu’elle arrive en haut des marches du tribunal, elle est applaudie comme une rockstar. “Gisèle, Gisèle, Gisèle!” » répète la foule à l’unisson. Derrière, ses fils et sa fille suivent tant bien que mal. Tout comme ses belles-filles, qui ont fait le déplacement. Le jeune Nathan semble amusé par la situation, mais aussi un peu effrayé. Anne-Sophie, l’avocate de l’association France Victimes, qui accompagne Gisèle Pelicot depuis le début, a les larmes aux yeux. “C’est beau, je ne sais pas quoi dire”lâche la jeune femme, bouleversée.
Gisèle Pelicot marche quelques mètres sur le trottoir, toujours entourée par la foule des caméras. On ne distingue même plus son carré auburn. Bientôt, elle disparaît, au coin de la rue perpendiculaire au tribunal. Et vite, les journalistes se dispersent.
La tension redescend. Le procureur adjoint, chargé des relations avec la presse depuis le début du procès, semble abasourdi. Il a reçu une centaine de mails et d’appels téléphoniques la veille du verdict. L’huissier, pris dans la foule quelques heures plus tôt pour transporter l’accusé au tribunal, rit nerveusement. Le policier qui a surveillé les entrées et sorties de la salle d’audience pendant 65 jours reconnaît lui aussi le choc : le procès pour viol de Mazan est terminé. “Je suis ému, ça me fait quelque chose”il confie.
Devant le tribunal, les invectives ont laissé la place au chœur féministe des Déferlantes, qui entonnait des chants joyeux en français et en catalan. Ils dansent, s’embrassent. « La honte change de camp !», se réjouissent-ils à l’unisson. Ils se souviennent des propos de Gisèle Pelicot à la fin du verdict : « J’ai confiance en notre capacité à saisir collectivement un avenir dans lequel chacun, femmes et hommes, pourra vivre en harmonie dans le respect et la compréhension mutuelle. »
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