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les crimes dont le régime est accusé pourront-ils un jour être jugés ?

Un souffle d’espoir pour les victimes du « boucher de Damas ». L’offensive des groupes rebelles menés par les islamistes a mis fin, dimanche 8 décembre, à un demi-siècle de règne incontesté du clan Assad sur la Syrie. Le dictateur syrien déchu, Bashar al-Assad, a succédé à son père, Hafez, en 2000 et a repris ses méthodes pour soumettre les opposants au régime. Les images de la libération de la prison Saydnaya, située dans la capitale syrienne, ont rappelé au monde entier l’horreur vécue par les détenus, coupés du monde, torturés, affamés, assoiffés et tués. La répression de la révolution, qui a débuté en 2011, « a fait plus de 400 000 victimes et poussé près d’un quart de la population à l’exil »a rappelé le ministère français des Affaires étrangères.

Bachar al-Assad a été contraint de fuir et un gouvernement de transition, soutenu par des islamistes radicaux du groupe Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a été formé. Les nouveaux dirigeants du pays ont promis de rendre justice aux victimes, en veillant à ce que les responsables de la torture des détenus soient punis. « Nous soulignons l’importance de tenir le régime Assad responsable de ses crimes »ont insisté les pays membres du G7 dans une déclaration commune. Les exactions et les bombardements contre des civils, le recours à des armes chimiques ou encore le recours à la torture font partie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont le régime est accusé. Mais Bachar al-Assad peut-il être jugé ?

“Il y a trois mécanismes possibles”explique Caroline Brandao, enseignante-chercheuse en droit humanitaire à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Premièrement, au niveau national, “des des juridictions pourraient être créées »souligne-t-elle, car les exactions ont été commises en Syrie, par et contre principalement des Syriens. Pour Clémence Bectarte, avocate au barreau de Paris spécialisée en droit pénal international, la justice syrienne est même « compétence naturelle et logique ». Mais tout est à reconstruire dans ce pays qui a connu la dictature pendant plus de cinquante ans. « Cela nécessite une transition démocratique, l’instauration d’un Etat de droit, une nouvelle Constitution, car la Syrie n’a pas encore intégré les crimes internationaux dans ses lois »se souvient l’avocat.

« Aujourd’hui, les crimes contre l’humanité n’existent pas dans le droit syrien. »

Clémence Bectarte, avocate spécialisée en droit pénal international

sur franceinfo

La deuxième option est le recours à la Cour pénale internationale (CPI), compétente pour « mener des enquêtes, poursuivre et juger les accusés » notamment les crimes de guerre, est-il écrit sur son site (PDF). Sauf que la Syrie ne fait pas partie des 124 Etats ayant ratifié le Statut de Rome, fondement de l’institution. Le pays ne reconnaît pas la Cour pénale internationale, “elle n’a aucune compétence sur les crimes commis sur ce territoire et ses citoyens”affirme son porte-parole Fadi El Abdallah à franceinfo.

Pour que le tribunal puisse intervenir, il faudrait « que la Syrie accepte la compétence de la Cour avec effet rétroactif, ou que le Conseil de sécurité de l’ONU soumette une demande d’enquête à la CPI »continue-t-il. Dans l’état actuel des choses, la première option est incertaine et la seconde improbable. Plus d’une fois, les États membres des Nations Unies ont tenté de soumettre la question syrienne à la CPI. Mais la Russie, avec le soutien de la Chine, a chaque fois bloqué l’initiative en exerçant son droit de veto.

Reste la troisième voie, celle des Etats. « Il y a des victimes d’autres nationalités. Leur pays est compétent pour juger Bachar al-Assad.»assure Mathilde Philip-Gay, professeur de droit à l’université Jean-Moulin Lyon 3 et auteur de Peut-on juger Poutine ?. La justice française a ainsi pu émettre un mandat d’arrêt visant le dictateur pour les attaques chimiques commises dans la Ghouta orientale en 2013, qui avaient fait plus de 1 000 morts. Une ONG avait porté plainte pour « crimes de guerre » et « crimes contre l’humanité » et les victimes franco-syriennes s’étaient constituées parties civiles.

Certains États ont même inscrit la compétence universelle dans leur Code pénal : ils peuvent juger les infractions commises par des étrangers, même lorsque les victimes n’ont aucun lien avec le pays. Et Bachar al-Assad étant désormais un président déchu, “la question de l’immunité personnelle [accordée aux chefs d’Etat] ne se posera plus »aidez Caroline Brandao.

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Le dictateur syrien Bachar al-Assad et le président russe Vladimir Poutine, le 25 janvier 2005, à Moscou (Russie). (SALAH MALKAWI / GETTY IMAGES)

Mais le « boucher de Damas » s’enfuit et trouve refuge chez son allié russe, qui lui accorde l’asile. « Il est très peu probable que la Russie [fidèle soutien de la Syrie] accepte de livrer Bachar al-Assad à n’importe quelle juridiction »estime Clémence Bectarte, alors que Vladimir Poutine fait également l’objet d’un mandat d’arrêt pour un crime de guerre : la « déportation illégale » d’enfants ukrainiens.

Cette protection pourrait cependant s’effondrer, envisage Mathilde Philip-Gay, qui imagine trois scénarios : « Si une armée extérieure envahit la Russie et arrête les deux hommes, si le dirigeant syrien est relâché par Moscou et quitte le territoire russe ; ou si celui qui succède à Vladimir Poutine décide de les remettre à la communauté internationale.» Slobodan Milosevic s’est retrouvé dans cette troisième situation. En 2001, l’ancien président serbe a été remis à la justice internationale par le gouvernement qui lui a succédé. Il a été reconnu coupable de crimes contre l’humanité commis lors des conflits qui ont déchiré l’ex-Yougoslavie dans les années 1990.

« Le - de la justice peut être extrêmement long »concède Caroline Brandao. Emmanuel Daoud, inscrit sur la liste des avocats de la Cour pénale internationale (CPI), se montre néanmoins confiant quant à l’éventuel procès de Bachar al-Assad : «Je pense qu’il sera jugé un jour. Et ce n’est pas un vœu pieux, ce n’est pas une mode, ce n’est pas une illusion. C’est très concret, rationnel »a-t-il expliqué sur franceinfo. Cette certitude est renforcée par la chute du régime, qui laisse entrevoir la possibilité pour les enquêteurs d’accéder aux preuves matérielles de ces crimes. « La situation est comparable à celle de l’Allemagne en 1945, lorsque les nazis sont tombés. Il y a, du coup, un très grand nombre de documents accessibles. »illustre Nerma Jelacic, de la Commission pour la justice internationale et la responsabilité (CIJA), une ONG qui collecte des preuves depuis 2011.

« Pour la première fois depuis cinquante ans, les enquêteurs peuvent se rendre sur le terrain pour récupérer des preuves. »

Clémence Bectarte, lawyer

sur franceinfo

Au lendemain de la prise de Damas par les combattants, ONG et juristes du monde entier insistaient sur la question de la préservation des documents, photos, registres, etc. « La preuve, ce ne sont pas les réseaux sociaux. Il doit être collecté et conservé sous certaines conditions.souligne Mathilde Philip-Gay. De nombreux crimes ont été documentés ces dernières années, notamment grâce à « César », cet officier anonyme qui a photographié les corps martyrisés de milliers de personnes exécutées dans les prisons syriennes. « Mais il faut tout avoir, sur tous les crimes, car chaque victime compte »insiste le professeur de droit.

Ils sont également indispensables pour retrouver tous les autres membres du régime qui ont participé aux exactions. « En droit international humanitaire, on jugera les gens qui ont pris les décisions, mais aussi ceux qui les ont mises en œuvre »se souvient Caroline Brandao. Un ancien directeur d’une prison de Damas a par exemple été inculpé vendredi aux Etats-Unis pour des actes de torture. «De nombreux membres du régime ont déjà fui vers les pays voisins et tenteront certainement de se rapprocher de l’Europe. Il faut donc éplucher les documents pour les identifier et les appréhender au plus vite »estime Nerma Jelacic.

Même une fois les hauts responsables identifiés, « Ce sera un long processus, quelle que soit la juridiction qui les poursuivrarecognizes Clémence Bectarte. Des demandes d’extradition ou des mandats d’arrêt seront nécessaires pour qu’ils puissent être jugés et répondre aux accusations portées contre eux.. Mais pour l’avocat, comme pour tous les observateurs interrogés par franceinfo, la priorité est que les Syriens aient leur mot à dire : « Ce sont eux qui doivent décider du modèle de justice qu’ils souhaitent mettre en place. Le besoin de justice et de vérité est extrêmement important.

 
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