Près d’un mois après l’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansalqui a suscité une grande émotion, Chameau Daoudégalement franco-algérien et lauréat du prix Goncourt 2024, n’a pas manqué d’exprimer une nouvelle fois sa solidarité lors d’un entretien sur France Inter, ce mercredi 11 décembre, tout en pointant les réalités glaçantes de l’autoritarisme en Algérie.
« Ce qui arrive à Boualem Sansal nous rappelle brutalement la façon dont les régimes répriment la libre pensée. Écrire devient un acte de résistance, mais aussi un acte de survie. », a-t-il clamé au micro de Léa Salamé et Nicolas Démorand.
Cette affaire illustre l’urgence pour les intellectuels algériens de continuer à dénoncer ces obstacles : « En Algérie, l’écriture est devenue un combat pour la mémoire, contre l’oubli imposé par les régimes. Nous avons le devoir de faire entendre ces voix étouffées. »
Exil : une décision viscérale
« Il faut prendre un avion très vite et là tu comprends, tu te dis : je ne peux pas rester, je dois héberger ma famille et mes enfants. » Ainsi Kamel Daoud décrit l’urgence de son départ, décision prise en une semaine. Il raconte l’angoisse poignante du passage des contrôles douaniers : « Les Algériens connaissent l’angoisse de la PAF (Police Aux Frontières), ce moment où la police examine votre passeport et vous ne savez pas ce qui va se passer. »
Ce moment décisif, intime, Kamel Daoud préfère d’habitude se taire : « Je ne veux pas être dans la position d’un exilé martyr. C’est une douleur intime, elle m’appartient. » Mais il insiste sur l’importance de témoigner pour faire comprendre à l’Occident la réalité des régimes autoritaires : « On ne sait jamais, à tout moment, si on risque d’être arrêté. »
Une critique sans concession des perceptions occidentales
Kamel Daoud constate une incompréhension persistante de l’Occident face à la réalité algérienne. Il identifie trois obstacles majeurs : « Le biais linguistique, car nous sommes francophones et les élites occidentales n’ont pas accès à la production arabophone. Ensuite, paralysie dès qu’on parle d’islamisme, de peur d’être accusé d’islamophobie. Enfin, une focalisation sur le colonialisme qui occulte les problèmes internes. »
Les échecs de la gauche arabe
Pour Daoud, les forces progressistes du monde arabe sont dans une impasse : « Nous n’avons pas proposé de troisième voie. La gauche a été écrasée par les dictatures, mais aussi biaisée par le discours anticolonial. Nous avons abandonné l’école, les universités et le domaine de l’édition. »
Il déplore le refus de se confronter à certains pans de l’histoire : « En Algérie, on vous dit : « Ne parlez pas de guerre civile, parlez de guerre d’indépendance ». Comme si ceux qui sont morts dans les années 1990 n’étaient pas des êtres humains. » Cette sélectivité mémorielle alimente, selon lui, la stagnation intellectuelle et politique.
Une relation apaisée avec le Maroc
Face aux tensions entre l’Algérie et le Maroc, Daoud prône la fraternité : « Le Maroc, c’est aussi l’Algérie avec un autre drapeau. Je ne ferai jamais la guerre au Maroc. » Il rappelle la solidarité historique entre les deux pays et critique l’escalade nationaliste.
Écrire pour survivre
Ecrire est pour Kamel Daoud une forme de liberté absolue : « C’est une thérapie, le seul endroit où je me sens vivant, libre et indépendant. » S’il confirme qu’il écrit déjà son prochain roman, il refuse de laisser les oppressions définir sa vie : « Vous ne devriez jamais faire de votre ennemi le centre de votre vie. Le but est le bonheur, la réussite, être une personne vivante. »
Résolument attaché à sa liberté de ton, il conclut avec force : « J’écrirai sur l’Algérie telle que je pense, sur la France telle que je pense. L’Algérie m’appartient, personne ne peut la privatiser. »
Avec ses mots, Kamel Daoud offre une leçon de courage et de résilience. Son témoignage résonne comme un appel à affronter les tabous, à embrasser la complexité et à trouver de nouvelles voies de dialogue et de création. Il devait être présent chez Gallimard ce mercredi après-midi lors d’une conférence de presse sur l’affaire Boualem Sansal.
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