“Il a tout détruit.” Adèle Haenel, 35 ans, a bondi à la barre, en colère, pour enfin dire au “traumatisme” de la « agression sexuelle » pour lequel le réalisateur Christophe Ruggia, 59 ans, comparaît devant le tribunal correctionnel de Paris, lundi 9 et mardi 10 décembre. “Il a préparé sa collation préférée”, de la “Doigts Blancs et Orangina”, avant « tenez-vous-y » et de “passe ta main dessous [son] t-shirt, sur [son] ventre et dessus [son] pubis”, puis pour la ramener chez ses parents, a témoigné l’ancienne actrice césarisée. Adèle Haenel avait 12 ans lorsque ont débuté ces rendez-vous hebdomadaires. Le rituel, qui a duré plus de deux ans, a été mis en place après le tournage du film en 2001. Les Diablespour lequel le cinéaste et Adèle Haenel se sont rencontrés.
Plus de vingt ans plus tard, le face-à-face se déroule désormais dans une enceinte judiciaire. Entendue pendant près de deux heures, la jeune femme l’a partagée “honte” avoir ressenti “estimé” à travers le regard du réalisateur, interprété par plusieurs personnes comme “un professeur”. “J’avais l’impression que sans lui, j’allais retomber dans une forme de néant”murmure celle qui pensait qu’elle était lui “endetté” pour avoir lancé sa carrière. « Monsieur Ruggia dit que rien de tout cela n’est jamais arrivé”, s’indigne-t-elle, faisant référence aux propos du prévenu, qui a qualifié ses accusations de « pur mensonge » quelques minutes plus tôt, lors de son interrogatoire. « Je dis que c’est un grand menteur, et je le dis en le regardant : ‘Vous êtes un grand menteur M. Ruggia”insiste-t-elle.
Fustigeant l’attitude du réalisateur, qui “pleine à lui-même” et “Essayez de lui faire pitié”, “l’adulte” Adèle Haenel relativise pour “l’enfant” qu’elle était à l’époque, qui “J’ai joué au chat” et avait “une passion” pour le théâtre et la pièce de théâtre. Christophe Ruggia « dit ‘elle m’a sauté dessus’, parle de ma sensualité, il n’arrête pas de me sexualiser. Nous parlons d’un enfant de 12 ans ! Un enfant de 12 ans a-t-il déjà eu le look d’une actrice pornographique ? Je suis désolé de m’énerver mais honnêtement !elle s’emporte.
« Je n’ai pas tout de suite compris que ce qui se passait n’était pas normal ou pas bon. Il entretenait une confusion entre l’amour du jeu et l’amour de lui.
Adèle Haenel, civil partydevant le tribunal correctionnel de Paris
Au début de l’audience, après lecture par le président du résumé des faits, des extraits du film Les Diables ont été projetés dans la salle. On y voit l’apprentie comédienne nue, dans des scènes sexualisées et incestueuses avec l’homme qui joue le rôle de son frère, Vincent Rottiers. Les deux adolescents sont filmés en train de s’embrasser, avec la langue, en train de se caresser. Rien n’est suggéré, presque tout est montré. Christophe Ruggia disait d’Adèle Haenel qu’elle « a brûlé le film comme une nouvelle Marilyn Monroe ». Si celui-ci dit “consterné » lorsqu’elle revoit ces images, elle insiste : « Le traumatisme », “dégoût”le “collant”, “ce sont des agressions sexuelles” dans le salon du cinéaste.
C’est précisément “ce diplôme” ce qui gêne, selon la partie civile, Christophe Ruggia. “Il raconte une histoire d’amour platonique entre un réalisateur et une aspirante actricesqueaks Adèle Haenel. “UN À partir du moment où j’ouvre la bouche et dis « ce sont des agressions sexuelles que j’ai vécues », il n’aime plus ça.
Pendant près de trois heures, l’intéressé a en tout cas totalement réfuté les accusations portées contre lui “depuis cinq ans”. Après un léger mea culpa sur les conditions de tournage, « pénible à vivre » pour Adèle Haenel, et sur la régularité des rencontres avec lui, qui ont pu lui paraître « lourd et malsain »Christophe Ruggia a nié avoir jamais été “amoureux d’elle”. Et ce malgré des écrits suggérant le contraire, comme le rappelle le tribunal. Et d’assurer que c’était la jeune actrice qui était en “demande” de ces réunions chez lui. “Autant j’imagine qu’elle a réinterprété des gestes d’affection avec un côté tendancieux, mettre la main dans son pantalon, caresser sa poitrine, pour moi, c’est un pur mensonge”a-t-il soutenu, sous les yeux médusés d’Adèle Haenel, qui ne l’a pas quitté des yeux tout au long de l’interrogatoire.
Pour sa défense, le réalisateur a estimé que l’actrice avait agi par méchanceté, après avoir ressenti “abandonné” pour ne pas avoir été sélectionné par lui dans un deuxième projet de film. UN “trahison” ce qui l’aurait amenée à s’exprimer auprès de Mediapart, qui avait révélé l’affaire en 2019. Mais selon Christophe Ruggia, il s’agit avant tout de “devant la police” quoi “J’ai commencé à mentir”le parquet s’étant saisi du dossier malgré sa volonté initiale de ne pas porter plainte. Le réalisateur y voit aussi une autre raison : le mouvement #MeToo dans le cinéma français, dans le sillage de l’affaire Harvey Weinstein aux Etats-Unis. “Il fallait qu’on lance un #MeToo en France et ça m’est tombé dessus”ose-t-il. “Pourquoi Adèle Haenel est-elle si mauvaise aujourd’hui ?”s’oppose à un évaluateur. “Je ne sais pas, je ne suis pas psychologue”échappe au prévenu.
Ironiquement sur les arguments développés par “celui qu’elle a protégé” pendant tant d’années, au détriment d’elle-même, la trentenaire a dit qu’il n’espérait plus grand-chose aujourd’hui. “J’aurais aimé qu’on avance, je perçois un déni total, il refuse de se voir comme quelqu’un qui s’en prend à un enfant, il mentse lamente-t-elle. Aujourd’hui, je suis adulte, je parle en espérant apporter un peu moins de solitude aux enfants, je sais à quel point cette solitude m’a donné envie de mourir”. Pour l’actrice, qui a abandonné le cinéma, le « plus important » est ici : « Briser la solitude des enfants » victimes. Adèle Haenel a quitté la salle d’audience sous les applaudissements.
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