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« Ce conflit territorial s’est transformé en une forme de guerre de religion »

Observateur averti du conflit israélo-palestinien, le journaliste Charles Enderlin a coproduit une précieuse série documentaire factuelle. Rencontre.

Manifestants palestiniens dans une rue de Naplouse, en Cisjordanie, pendant la première Intifada (1987-1993). Photo Patrick Robert /Corbis/Sygma via Getty Images –

Par Étienne Labrunie

Publié le 8 décembre 2024 à 20h00

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P.Pendant près d’un demi-siècle, d’abord pour une radio israélienne puis pour France 2 (de 1981 à 2015), le journaliste franco-israélien Charles Enderlin, 79 ans, a couvert depuis Jérusalem le conflit israélo-palestinien. Auteur de nombreux livres et films sur le sujet, il signe, avec le réalisateur Dan Setton, Israël/Palestine, une coexistence impossible ? Une chronologie ultra-documentée et factuelle en trois parties pour connaître et comprendre l’origine d’un conflit, Source de nombreuses interprétations. Une somme historique précieuse, indispensable, réalisée et montée en à peine six mois, principalement en Israël. L’ancien correspondant de guerre livre un récit des coulisses.

Comment est né le projet de film ?
Les massacres du 7 octobre 2023 ont ramené le conflit israélo-palestinien au sommet de l’actualité mondiale, après qu’il ait pratiquement disparu des écrans pendant près de quinze ans. Elle n’est plus couverte par les principaux médias ou très ponctuellement, en cas d’affrontements particulièrement sanglants. Pour ma part, au fil des années, j’ai vu l’évolution quasi inexorable des deux sociétés vers une crise dont je craignais qu’elle soit catastrophique. Le Hamas se renforce avec le soutien indirect des gouvernements israéliens, d’Ariel Sharon et surtout de Benjamin Netanyahu. En Israël, la montée du fondamentalisme messianique a conduit à un renforcement de la colonisation. Il fallait donner aux spectateurs des clés pour comprendre comment ce conflit – à l’origine national et territorial – s’est transformé en une forme de guerre de religion, et pour cela rappeler des repères historiques.

Pourquoi avoir choisi ce parti pris très factuel ?
Les extrêmes, qu’il s’agisse des islamistes ou de la droite annexionniste israélienne, vous diront que ces films ne sont en fait que ma vision personnelle. Pour certains, Yasser Arafat n’était qu’un terroriste dont le but était la destruction d’Israël et qui revendiquent une terre qui ne peut appartenir qu’au peuple juif. Pour d’autres, le Hamas est un mouvement de libération, il n’y a pas de place pour un État juif en Palestine, terre d’Islam. Et ils vous expliquent tous qu’un accord est dangereux. La série le dit très clairement.

Décomposez les éléments de communication et de propagande de chacun.

Qu’espérez-vous apporter aux téléspectateurs ?
Quelques clés de compréhension. Un contexte, des faits nous permettant de mettre à mal les éléments de communication et de propagande des uns et des autres. Il est important de montrer que ce conflit vient du développement des deux fondamentalismes. Si nous parvenons à expliquer cela, je crois que nous aurons gagné.

Comment équilibrer les mots dans un conflit qui divise tant ?
Dans ce cas, nous n’avons pas cherché à équilibrer, mais à présenter les témoignages les plus proches de la réalité, telle que nous l’avons vécue et la vivons encore au quotidien, en Israël et en Palestine. On peut très bien entendre un Israélien raconter des événements qui correspondent entièrement à la vision palestinienne, et le contraire. Nous avons été guidés uniquement par le désir d’avoir les intervenants les plus pertinents possibles.

Comment avez-vous réussi à convaincre ces témoins israéliens et palestiniens de se rendre ?
Il n’était pas nécessaire de les convaincre. Nous avons reçu très peu de refus. Tous les intervenants qui ont comparu ont voulu témoigner. Par exemple, les anciens patrons des services de renseignement palestiniens s’expriment pour la première fois. Il faut dire qu’après mon départ du bureau de France 2 à Jérusalem en août 2015, j’ai gardé le contact aussi bien avec mes sources israéliennes que palestiniennes. En Cisjordanie mais aussi à distance, avec mes connaissances et amis à Gaza.

France Télévisions a témoigné une marque de confiance envers tous les participants à ce projet.

À quels défis vous et le réalisateur Dan Setton avez-vous été confrontés ?
-. En nous confiant le défi de produire trois heures de film, sur un tel sujet et en si peu de -, France Télévisions a témoigné une marque de confiance envers tous les participants à ce projet, les équipes de Jérusalem, Tel Aviv, Ramallah et Paris. Pas évident, d’autant que cela se passait dans un pays en guerre, avec des alertes régulières qui nous faisaient parfois perdre des journées de tournage. À deux reprises, notre accès à la Cisjordanie a été bloqué. Finalement, il a fallu faire des choix, abandonner des faits qui, bien qu’importants, n’apportaient pas les éléments essentiels à la compréhension du fil de l’histoire.

Depuis le 7 octobre 2023, est-on entré dans un nouveau chapitre de ce conflit ?
Nous avons intitulé le troisième épisode « La Descente aux Enfers ». C’est exactement ça. C’est cette histoire qu’il va falloir décrypter, analyser et raconter. Le drame des otages toujours détenus par les islamistes à Gaza. L’immense tragédie des dizaines de milliers de morts civils à Gaza, le nettoyage ethnique de certains secteurs de l’enclave. Sans parler du combat mené par les mouvements pro-démocratie en Israël, face au gouvernement le plus à droite, le plus annexionniste et le plus religieux de l’histoire du pays.

Que vous inspire le mandat d’arrêt émis contre Benyamin Netanyahu par la Cour pénale internationale ?
Les dirigeants israéliens savaient parfaitement qu’ils pouvaient éviter une telle décision en traduisant en justice les soldats soupçonnés de crimes de guerre, et surtout en créant une commission d’enquête judiciaire indépendante qui aurait examiné les circonstances dans lesquelles l’attaque a eu lieu. guerre à Gaza, avec ce nombre effroyable de victimes civiles. C’est ce que nous attendons d’une démocratie qui fonctionne. Ce n’est pas le cas en Israël. Benjamin Netanyahu ne veut pas d’une enquête indépendante qui pourrait révéler comment, pendant près de quinze ans, sa politique envers la Palestine et le Hamas a conduit aux massacres du 7 octobre 2023. En 1982, la commission d’enquête sur les massacres de Sabra et Chatila contraint Ariel Sharon démissionne du ministère de la Défense. Une autre fois.

Cette série documentaire pose la question d’une « coexistence impossible », mais n’est-elle pas devenue une réalité ?
C’est malheureusement le cas. Une majorité au sein du gouvernement israélien et de sa coalition parlementaire est favorable à l’annexion du nord de Gaza afin d’y reconstruire les colonies. Pendant ce -, en Cisjordanie, la colonisation se développe alors que la politique israélienne vise à affaiblir l’autorité autonome de Mahmoud Abbas. Tout dépendra désormais des décisions que prendra l’administration Trump. Je ne suis pas optimiste.

r Dimanche à 21h05, sur France 5.

A lire
Dernier livre : Le Grand Aveuglement. Israël et l’islam radicalréédition du livre publié en 2009, enrichi d’analyses et de témoignages post-7 octobre.

 
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