Une menace longtemps agitée ces dernières années, et finalement mise à exécution. Le groupe Canal+ a annoncé ce jeudi 5 décembre le retrait à partir de juin 2025 de ses quatre chaînes payantes sur la TNT (Canal+, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport, Planète), en réaction notamment au non-renouvellement de la fréquence de C8. « Tirant les conséquences du retrait de la chaîne C8, première chaîne de la TNT, par Arcom et d’un environnement fiscal et réglementaire de plus en plus restrictif pour le groupe en France, Canal+ annonce le retrait de ses chaînes payantes de la TNT »selon un communiqué du groupe.
Une décision qui intervient surtout à quelques jours d’une assemblée générale cruciale pour Vivendi, le groupe détenu par Vincent Bolloré dont Canal+ est une filiale. Lundi 9 décembre, les actionnaires devront se prononcer sur un projet de scission de Vivendi en plusieurs entités, qui seraient cotées sur différents marchés européens. Canal+ serait alors coté à Londres. Comme indiqué les joursla manœuvre peut alors être considérée comme un simple moyen de devancer la loi française, qui interdit aux détenteurs d’une fréquence terrestre d’être contrôlés à plus de 20 % par des actionnaires étrangers. Tout en rendant le groupe plus attractif pour cette introduction en bourse, en se débarrassant des chaînes soumises à des obligations différentes.
Ajustement fiscal
Car au-delà du cas C8, qui devra dire adieu à sa fréquence le 28 février, le communiqué cite deux autres motifs récents de mécontentement à l’égard de Canal+. L’augmentation de sa taxe versée au CNC (Centre National du Cinéma) d’abord, un coût dont le groupe conteste systématiquement le calcul. Selon les Informésle CNC réclamerait alors 44 millions d’euros d’impôts impayés au titre des années 2020 et 2021. Mais c’est surtout la menace de redressement fiscal qui pèse sur le groupe qui aurait pu aussi motiver ce retrait de la TNT payante. Comme révélé, là aussi, les Informés Fin octobre, Canal+ est opposé à Bercy dans un bras de fer depuis trois ans, concernant le calcul de la TVA que devrait payer le groupe. Au point que l’administration fiscale réclame désormais 655 millions d’euros à la filiale Vivendi.
En cause : le changement de modèle de Canal+, passant d’une offre de télévision payante à une plateforme de streaming comparable à Netflix et autres. Le fisc considère donc que le taux de TVA applicable à Canal+ ne serait plus de 10 % comme c’était le cas historiquement, mais de 20 % désormais, comme pour ses homologues américaines. Datant de ce changement de TVA au 1er mai 2019, le fisc a donc notifié à Canal+ des régularisations de 230 millions d’euros par an pour les années 2019 à 2021, indique les Informés. Après avoir tenté de contester cette décision auprès du Conseil d’Etat, sans succès, les Informés indiquait il y a quelques jours que la cour administrative d’appel de Paris s’était prononcée en faveur de l’application d’une TVA à 20% pour des services comme OCS, et donc Canal+.
300 000 abonnés via la TNT
Pour répondre, le groupe dirigé par Maxime Saada semble donc déterminé à assumer ce statut de plateforme, en abandonnant la diffusion terrestre de sa chaîne généraliste historique, Canal+, et de ses trois chaînes thématiques, Canal+ Cinéma, Canal+ Sport et Planète+. A vrai dire, si elle ne justifiait pas cette TVA réduite, et une éventuelle visibilité accrue via les télécommandes, cette présence sur la TNT payante semblait anachronique pour le groupe qui vient de fêter ses 40 ans. D’abord parce qu’il n’était plus possible pour les téléspectateurs de s’abonner à ce mode de diffusion depuis 2022. Selon une étude d’impact de l’Arcom l’année dernière, réalisée à l’occasion du renouvellement des fréquences de la TNT, et relayant les chiffres de ÉchosCanal+ comptait environ 300 000 abonnés via la TNT au printemps 2022. A ces abonnés, le groupe proposera « le matériel nécessaire pour qu’ils puissent bénéficier de l’ensemble des programmes de leurs chaînes sur les autres modes de diffusion » (notamment par satellite, ADSL ou Internet), selon le communiqué diffusé jeudi soir. Un nombre d’abonnés qui s’avère d’ailleurs peu rentable étant donné les coûts très élevés de la diffusion via la TNT. L’AFP estime entre 10 et 15 millions d’euros les économies réalisées grâce à l’arrêt de ces chaînes de la TNT.
Que va-t-il advenir du financement du cinéma français ? En déconnectant ses chaînes TNT, les obligations de financement du groupe, incluses dans ses accords avec Arcom, sont a priori réduites. Même s’il faut mettre plusieurs bémols à cette menace souvent évoquée par Maxime Saada. Déjà, parce que le financement de Canal+ a dépassé ses obligations ces dernières années, le groupe apportant environ 190 millions d’euros annuels, alors que son accord lui imposait un minimum de 170 millions d’euros. Aussi parce que d’autres obligations les remplaceraient. Canal+ devrait alors s’aligner soit sur les niveaux de financement alloués aux chaînes du câble et du satellite (soit 16 % de son chiffre d’affaires), soit sur ceux des plateformes de SVOD (entre 20 et 25 %). Reste que la manœuvre de Canal+ offre aussi des arguments à ses adversaires pour remettre en question la place avantageuse du groupe dans la chronologie médiatique, avec des films diffusés sur Canal+ six mois après leur sortie en salles, contre 15 pour Netflix.
Un casse-tête pour Arcom
Ce délestage de ses chaînes payantes de la TNT apparaît finalement attendu dans la stratégie d’internationalisation de Canal+, qui veut se transformer en une plateforme de streaming aux ambitions mondiales, comme l’indiquent le projet de cotation à Londres, ou le rachat du groupe Sud-Sud. Télévision payante africaine MultiChoice. Mais dans le paysage français de la TNT, cela fragilise les deux dernières chaînes hertziennes de Canal+, CNews et CStar, qui vont se retrouver isolées au sein d’un groupe international désormais entièrement « plateformené ». Pour Arcom, de nombreuses questions vont également se poser : que faire des chaînes désormais laissées libres ? Les réaffecter aux chaînes payantes, lorsque ce modèle sera en fin de course, ou les transformer en chaînes gratuites, quitte à créer de nouveaux acteurs dans un marché publicitaire déjà saturé ? Y aura-t-il à nouveau un appel à candidatures ? Qu’en est-il de la chaîne n°4, qui devrait logiquement susciter le désir de toutes les chaînes moins bien classées ? Alors qu’il travaille déjà à une refonte de la numérotation de la TNT, avec la création d’un bloc de chaînes d’information, le régulateur de l’audiovisuel se retrouve là avec un nouveau casse-tête à résoudre.
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