DDans un scénario catastrophe, où la situation budgétaire serait paralysée pendant encore plusieurs semaines faute de gouvernement, Emmanuel Macron pourrait, en théorie, s’arroger les pleins pouvoirs pour débloquer la crise. Mais un tel recours demande une bonne dose d’imagination : il faudrait, pour commencer, qu’aucun gouvernement ne soit nommé d’ici janvier. Ensuite, que le Parlement rejette la loi spéciale visant à reconduire le budget 2024 pour l’année 2025, dans l’attente de l’adoption d’un budget définitif.
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Face à cette impasse, la solution extrême pourrait être l’activation des pouvoirs exceptionnels prévus par la Constitution. Emmanuel Macron, s’il décidait d’y recourir, prendrait alors des mesures budgétaires sans passer par le Parlement. C’est le fameux article 16. « Je n’y crois pas du tout. C’est de la politique-fiction. D’autres mécanismes constitutionnels existent pour résoudre la situation », estime Vincent Boyer, maître de conférences en droit public à l’Université Bretagne Sud. Prudent, il nuance néanmoins : « Je peux bien sûr me tromper, mais cela reste difficile à envisager. »
Article 16 et « une menace grave et immédiate »
Concrètement, cet article permet au Président de la République d’assumer des pouvoirs exceptionnels en cas de crise. Dès le déclenchement de l’article 16, le président de la République devient l’architecte d’un régime d’exception. Il peut alors s’affranchir du principe sacré de la séparation entre pouvoir exécutif et pouvoir législatif. Il est désormais en mesure d’intervenir dans des domaines habituellement réservés au Parlement en prenant des décrets.
L’article 16, utilisé une seule fois dans l’histoire du Ve République, en 1961, prévoit que : « Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacés de manière grave et immédiate et le fonctionnement régulier de l’exercice public constitutionnel l’exercice des pouvoirs est interrompu, le Président de la République prend les mesures qu’exigent ces circonstances. »
A LIRE AUSSI Enquête exclusive : un Français sur deux souhaite la démission d’Emmanuel MacronAutrement dit, deux conditions strictes doivent être remplies pour que le président puisse activer ces pleins pouvoirs. Premièrement, une menace grave et immédiate doit peser sur les institutions, l’indépendance nationale, l’intégrité territoriale ou les engagements internationaux de la France ; et (et non « ou », car il s’agit d’une condition cumulative) le fonctionnement régulier des autorités publiques doit être interrompu.
Emmanuel Macron peut-il déclencher l’article 16 ?
Autrement dit, un simple bras de fer parlementaire ne suffirait pas à donner au chef de l’Etat le droit d’appuyer sur ce bouton d’urgence. C’est en tout cas ce qu’estiment de nombreux spécialistes, comme Vincent Boyer : « La situation actuelle ne me semble pas correspondre aux conditions. Nous traversons simplement une crise politique, où un gouvernement récemment nommé a été renversé par les procédures prévues par la Constitution. »
Selon le professeur de droit public, « nous avons été habitués à une très forte stabilité. Mais nous devons comprendre que ce qui se passe actuellement est un problème classique qui fait partie du jeu démocratique. La situation nous rappelle surtout que nous sommes dans un système parlementaire.»
Le constitutionnaliste Jean Gicquel décrit l’article 16 comme « une dictature temporaire en cas de nécessité ». Car tout dépend de la volonté du président. Lui seul décide si les conditions sont réunies pour l’activer. Après avoir consulté le Premier ministre et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, il tranche. Si le feu passe au vert dans son esprit, il s’adresse directement à la nation et active le système. Aucun obstacle ne fait vraiment obstacle.
Un souhait du général de Gaulle
Certes, certains garde-fous existent, mais ils restent faibles. Au bout de 30 jours, 60 députés et 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour avis. Et quoi qu’il arrive, au bout de 60 jours, ce même Conseil rend automatiquement son avis. C’est là toute la subtilité : une opinion reste… une opinion. Le président, souverain dans sa décision, n’a aucune obligation de revoir sa copie. “Personne ne pouvait vraiment l’empêcher”, prévient Vincent Boyer. « À terme, il y a le Conseil d’Etat qui, dans le cadre de son contrôle judiciaire, pourrait examiner certaines des mesures prises. » Ce qui reste très limité.
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Pour comprendre pourquoi un tel article existe, il faut faire un petit détour dans l’esprit du général de Gaulle, fondateur du régime actuel. Cet article 16 est né de son testament, marqué par les événements de 1940. Le 22 juin de la même année, Pétain signe l’armistice, divisant la France en deux : une zone « libre » et une zone occupée. Peu de - après, le Parlement accorde les pleins pouvoirs au maréchal. Pour de Gaulle, il fallait tirer les leçons de cette période.
L’article 16, conçu comme un outil de dernier recours, visait à protéger l’État en cas de crise exceptionnelle. Et celle que nous traversons aujourd’hui, comme le souligne Vincent Boyer, est loin d’atteindre un tel degré de gravité.
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