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“The first mass”, Notre-Dame de Paris dreamed by Scholastique Mukasonga

Le Père Blanchard, missionnaire d’Afrique – autrement dit les Pères Blancs – a fait plaisir aux jeunes novices rwandais qu’il enseignait à Butare. Il était parisien, il s’en vantait, cela les faisait rire et même rêver pour certains. Quand ils l’ont surpris en train de fredonner « Paris sera toujours Paris, la plus belle ville du monde… »il s’empressa d’ajouter : « Et Notre-Dame, sa cathédrale, la plus belle de toutes les églises de la chrétienté. »

À ses élèves, qui s’apprêtaient à prononcer leurs vœux pour entrer dans la congrégation de Benebikira (« les Filles de la Vierge »), il montrait souvent des diapositives de la cathédrale. Il commentait les prouesses de ses architectes de l’âge de foi qui, avec leurs outils rudimentaires, avaient réussi à élever des voûtes d’une audace incroyable et d’une telle hauteur, comme s’ils avaient voulu atteindre le ciel ou encore capter sa lumière. Il les fit visiter tour à tour les chapelles, leur expliqua qui étaient les saints personnages – saint Paul, saint Pierre – qui faisaient des gestes grandioses et pathétiques dans les tableaux, s’attarda un instant sur les tuyaux des orgues qui n’avaient rien à voir. avec eux. voir avec l’harmonium de la chapelle, et pour conclure la séance, il leur fit réciter plusieurs dizaines de chapelets devant le toboggan de la statue de la Vierge à l’Enfant.

“Il aurait préféré que la foudre vise la flèche, en signe de punition”

L’incendie de Notre-Dame l’avait bien sûr bouleversé. Il avait enregistré, grâce au magnétoscope équipant le téléviseur de la bibliothèque du noviciat, les images apocalyptiques de la chute de la flèche que Viollet-le-Duc avait ajoutée pour compléter le sanctuaire. Le tison s’est tordu dans le ciel nocturne et a finalement éclaté et s’est dissous en une pluie d’étincelles. L’abbé Blanchard retint ses sanglots et commença à regretter que l’incendie sacrilège ait pu être provoqué par un simple accident de chantier. Il aurait préféré que la foudre ait visé la flèche, signe de punition ou du moins d’avertissement céleste, ou que ce soit la bombe de terroristes fraîchement arrivée de l’axe du mal qui ait fait exploser les vénérables poutres de la charpente.

Técla, rescapée du génocide des Tutsi et passionnée de liturgie, lui avait demandé s’il serait nécessaire, pour la réouverture de Notre-Dame, de répéter la cérémonie de dédicace. Elle lui avait fait remarquer que, pour les églises du Rwanda où avaient eu lieu d’abominables massacres, on s’était contenté d’un exorcisme rapide et que les messes avaient repris sous les toits de tôle encore criblés de balles et au pied de la Vierge avec son manteau mal lavé du sang qui l’avait éclaboussé. La demande et la réflexion étaient insidieuses et le Père Blanchard avait fait semblant de ne pas les avoir entendues.

Técla était une des rares novices qui, en dehors de la confession, aimaient se confier au père Blanchard. Son père lui a donné le nom de Mukasine, un beau nom qui faisait référence à la vache préférée de son père. Au baptême, elle avait reçu celui de Thecla, une sainte, lui avait expliqué le père Blanchard, dont l’existence était remise en question par la critique moderne et que le pape Paul VI avait rayé du calendrier. Mais sa vie, même si elle était apocryphe, contenait de très belles choses dignes d’être imitées et d’autres, au contraire, à éviter, comme cette mauvaise légende qui prétend qu’elle se serait baptisée.

Elle n’avait pas à s’en inquiéter puisque, bientôt, elle porterait son nom de nonne. Le père Blanchard répondit avec une patience patiente aux questions naïves de Técla. Ils avaient longuement discuté des trois vœux qu’elle devait prononcer en prenant le voile. La pauvreté : elle le savait, et chez les Benebikiras, elle avait un lit pour elle seule, ce qu’elle n’avait jamais eu – jusque-là, c’était presque comme chez les blancs. Obéissance : les filles devaient toujours obéir, à leur père, à leur mère, à leur grande sœur, à leur grand frère, à leur tante, au mari pour lequel la famille les destinait, à tous les hommes devant lesquels il fallait baisser la barre. les yeux… Le célibat : c’était la libérer du mariage arrangé que complotaient sa mère et les entremetteuses du village. Non, décidément, elle n’aurait aucune difficulté à rester fidèle aux vœux qu’elle devrait bientôt prononcer.

« Même si elle récitait prière après prière, elle ne ressentait que de la froideur et de la déception »

Elle s’enhardit parfois à partager ses doutes avec son directeur consciencieux. Elle se sentait donc coupable de ne pas ressentir après la communion cette pieuse chaleur que la présence de Jésus dans l’hostie qu’elle venait d’avaler aurait dû répandre dans son âme. Elle se demandait si le prêtre qui célébrait la messe avait prononcé correctement les paroles sacramentelles ou si c’était le vin dans le calice, réservé uniquement au prêtre à l’autel, qui donnait toute son efficacité au saint sacrifice. Même si, comme les autres, elle enfouissait sa tête dans ses mains et récitait prière après prière, elle ne ressentait que froideur et déception. Elle en est venue à souhaiter pouvoir prendre la place du prêtre qui disait la messe pour peut-être ressentir, comme lui, la présence ineffable de Jésus. Le Père Blanchard protesta d’entendre de telles absurdités et répondit que la religion chrétienne n’était pas un de ces cultes de possession auxquels s’étaient voués autrefois ses grands-parents. Il lui demanda de chasser et d’oublier au plus vite ces mauvaises pensées qui risquaient de remettre en cause la sincérité de sa vocation et, par conséquent, sa prise du voile.

Ce matin-là, Técla était venue en toute hâte frapper à la porte du bureau du père Blanchard.

« Père, père, j’ai quelque chose à te confier, je t’en supplie, ça ne peut pas attendre…

— Entrez si c’est si urgent. »

Le père Blanchard l’invita à s’asseoir mais elle préféra s’agenouiller sur le prie-Dieu.

« Père, j’ai fait un rêve, ça me fait peur. Je ne peux pas le garder pour moi, je dois m’en libérer. C’était dans votre grande cathédrale, Notre-Dame. Je l’ai reconnu, exactement comme sur vos diapositives. Oui, je l’ai bien vu, ses deux tours et la flèche, sur son île au milieu du fleuve. Et Notre-Dame était comme neuve, ses pierres blanches brillaient car, bien sûr, c’était un rêve et je crois que cette Notre-Dame n’existe que dans mon rêve. Puis j’ai vu les rues alentour : elles étaient noires de monde. On se bousculait sur les ponts. La foule applaudissait et criait « Vive le Pape, vive notre nouveau Pape ! » » Et j’ai demandé : « Où est le Pape ? » Quelqu’un m’a répondu : « Vous ne l’avez pas vu passer sur sa moto ? Le nouveau pape est très jeune, on l’a élu pour cinq ans, c’est comme ça, maintenant on change de pape tous les cinq ans ! Mais nous ne sommes pas là pour lui, alors qu’est-ce que tu fais ici ? J’ai entendu dire que nous vous attendions à la cathédrale. »

“J’ai regardé la foule de fidèles qui remplissait l’église : il n’y avait que des femmes”

Et je me suis vu devant le portail de gauche, celui de la Vierge, comme vous nous l’avez dit, et je me suis vu comme si je me voyais à la télévision. Au-dessus de moi, il y avait la Sainte Vierge que les apôtres enveloppaient dans son linceul. Elle m’a fait un clin d’œil avant de monter au ciel et j’ai compris qu’elle avait envie de me dire : « Vas-y, n’aie pas peur. » J’entrai dans la grande nef. C’était comme une grande forêt : lever les yeux me donnait le vertige, les fenêtres nervurées se balançaient comme des branches battues par le vent. Puis j’ai regardé la foule de fidèles qui remplissait l’église : il n’y avait que des femmes. Ils m’attendaient. Dès que j’ai parcouru l’allée centrale, ils ont commencé à m’applaudir, d’autres criaient “Alléluia!” Alléluia! « . Certains pleuraient, on me lançait des pétales de roses. La tempête des grands orgues se déchaîne. Je ne sais plus si mes pieds touchaient terre. Devant le grand autel, il y avait une batterie, des tambours de notre région, des tambours du Rwanda ! Je ne te mens pas, père, c’était mon rêve, laisse-moi aller jusqu’au bout.

Un batteur m’a dit : “C’est à votre tour de battre le tambour.” » J’ai répondu : « Mais au Rwanda, les femmes ne doivent pas battre le tambour, ni même le toucher, c’est interdit. » Le batteur répondit : « Désormais, les femmes joueront du tambour comme les hommes. » Il m’a tendu les baguettes. J’ai battu le plus gros tambour. Puis les tambours disparurent comme engloutis sous les marches du grand autel.

« J’avais été choisie parmi toutes les femmes pour être la première à accéder au sacerdoce »

Une femme monta sur le haut perchoir de la chaire. Elle a fait un sermon, j’ai peur que ce soit un sacrilège, je ne sais pas si je dois vous répéter ce que j’en ai appris, mais je ne veux rien vous cacher. Alors ce prédicateur a proclamé que moi, Técla Mukasine, j’avais été choisie parmi toutes les femmes pour être la première à accéder au sacerdoce, mais que je n’avais pas été ordonnée par un évêque, mais par l’assemblée des femmes. Que cette première messe célébrée par une femme serait suivie de bien d’autres… Je ne me souvenais pas de la péroration.

Des petites filles sont venues en cortège pour m’apporter un t-shirt. C’était ma chasuble pour dire la messe. Au dos était imprimé :

DIEU EST TOUT, DIEU EST AUSSI UNE FEMME

J’ai commencé à monter les marches vers l’autel mais à ce moment-là je me suis soudainement réveillé. Mon rêve m’a traversé la tête en quelques secondes. Il m’a fait peur. J’ai couru vers toi, mon père, sauve-moi de ces mauvaises images. »

Le Père Blanchard réfléchit un long moment puis murmura doucement : « Ce n’est peut-être pas qu’un rêve, Técla… J’ai écouté ta confession : ton rêve est entouré de secret. Vous serez appelée en religion sœur Marthe. Mais le monde change et pourquoi pas l’Église aussi. Marthe ne sera pas toujours en cuisine. »

 
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