À quels risques économiques la France est-elle confrontée en cas de censure ? Si le gouvernement Barnier tombe, le pays n’aura pas de budget pour 2025, de quoi le pénaliser, sans forcément le plonger dans “la tempête” redoutée par le gouvernement, selon les économistes.
Michel Barnier à Paris, le 3 décembre 2024. (POOL / THOMAS SAMSON)
• Déficit maîtrisé
Loi ou ordonnance spéciale,
La France dispose de plusieurs moyens pour éviter la paralysie
ce qui empêcherait par exemple de payer les fonctionnaires. Mais qu’un nouveau Premier ministre adopte « un budget édulcoré » incluant des concessions ou que le budget 2024 soit renouvelé à l’identique, le pays manquerait son objectif de réduire son déficit public à 5 % du PIB l’année prochaine, prévoit Maxime Darmet, économiste à Allianz.
Un budget 2024 renouvelé résultant en
un gel des dépenses de l’Etat en valeur
représenterait entre 15 et 18 milliards d’euros d’économies, explique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. Soit un niveau proche de l’effort prévu dans le projet de loi de finances initiale (PLF) pour 2025. Les dépenses sociales, automatiquement indexées sur l’inflation, seraient cependant en hausse tandis que l’Etat devrait renoncer à des hausses d’impôts. -au moins 20 milliards- qu’il envisageait, comme la surtaxe sur les très hauts revenus ou sur les bénéfices des grandes entreprises.
La banque Natixis estime que dans un tel scénario,
le déficit atteindrait 5,3% du PIB
alors que Paris est déjà pointé du doigt par Bruxelles pour son déficit public excessif.
• Gagnants et perdants
Dans le cas d’un budget technique, les retraités verraient leur pension augmenter en fonction de l’inflation au 1er janvier, alors que le gouvernement prévoyait de le faire intégralement pour les pensions inférieures au SMIC, avec un certain retard. La menace de
un poids plus important de l’impôt sur le revenu est également brandi par le gouvernement
.
« Près de 18 millions de Français verront leur impôt sur le revenu augmenter
d’autres paieront pour la première fois parce que nous n’avons pas pu inscrire dans la loi de finances la réindexation qui est prévue (…) pour le barème des tranches d’imposition, c’est inévitable”, a déclaré le Premier ministre Michel Barnier, invité par
France 2
et
TF1
Mardi soir.
Ce scénario est cependant loin d’être le plus probable pour le directeur des études économiques à l’IESEG School of Management Éric Dor, contacté mardi soir par le
AFP
. Un budget pour 2025 voté ultérieurement, au cours de l’année 2025, “contiendra nécessairement cette clause puisqu’il est d’usage de l’inclure”, souligne-t-il.
Les collectivités territoriales, dont la dotation versée par l’Etat risque d’être gelée, pourraient figurer parmi les perdantes, souligne Maxime Darmet, qui y voit
un risque pour le fonctionnement des services publics
. Certains pourraient compenser le manque à gagner en augmentant les impôts locaux, notamment la taxe foncière, selon lui.
• Faible croissance
La réduction des dépenses pèsera sur la croissance, à des degrés divers selon les scénarios.
“Avec un budget reconduit dans les termes de 2024, et notamment sur la partie dépenses, on aurait un renversement de ce qui a permis, pour l’instant, de maintenir un peu de croissance en France”, à savoir “l’investissement public” en une économie qui en dépend beaucoup », explique Charles-Henri Colombier, directeur économique de Rexecode.
La pression fiscale croissante sur le revenu des ménages ne serait pas non plus de nature à encourager la consommation.
A cela s’ajouterait
une accentuation de l’effet négatif de l’incertitude politique
-estimé jusqu’ici à 0,2 point de PIB pour 2025 par l’OFCE- ce qui conduirait les ménages et les entreprises à un attentisme prolongé. Charles-Henri Colombier évoque aussi la méfiance croissante des investisseurs étrangers. Et moins de croissance signifie moins de recettes fiscales, ce qui complique l’équation budgétaire.
• Chocs financiers
« Les conséquences de la censure pourraient
nous a coûté la confiance de nos créanciers et de nos voisins
», a prévenu mardi le président du Medef Patrick Martin, la première organisation patronale.
Résistants à l’incertitude, les marchés financiers subissent déjà des chocs. Après que Michel Barnier ait demandé des comptes à son gouvernement, le taux des obligations publiques françaises à dix ans a immédiatement grimpé, passant de 2,86 % à 2,92 % en quelques heures. Le “spread”, l’écart entre les taux de la France et de l’Allemagne, baromètre de la confiance des investisseurs, a également connu une hausse rapide lundi, à 0,88 point.
“L’impact de cette instabilité politique, vous le verrez immédiatement dans les taux d’intérêt qui nous étranglent”, a déclaré mardi soir Michel Barnier, évoquant
« des sommes gigantesques pour payer des intérêts aux financiers
à des fonds d’investissement chinois, japonais ou américains.
Dans son malheur, la France a un allié de poids : la Banque centrale européenne. En juin, elle a engagé une politique de baisse des taux, rendue possible par la baisse de l’inflation dans la zone euro, atténuant la pression sur les taux d’intérêt des obligations d’État.
Il n’en demeure pas moins que « si rien ne change dans les prochains mois,
une lassitude pourrait s’installer sur les marchés, et alors tout pourrait devenir très vite incontrôlable »
prévient Aurélien Buffault, gérant obligataire de Delubac AM.
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