Tout est parti d’un texte des producteurs, Hugo Sélignac et Alain Attal : « Vous avez reçu le prix Marcello Mastroianni ! » Pas le - de réfléchir. Le 7 septembre, quelques jours après la présentation de Leurs enfants après eux A la Mostra de Venise, Paul Kircher était de nouveau dans un avion en direction de la Cité des Doges. Le soir même, sur la scène du Palazzo del Cinema, l’acteur de 22 ans a reçu ce trophée du meilleur espoir, sous le regard bienveillant des réalisateurs du film, les frères Boukherma. « Il a beaucoup travaillé pour ce rôle, souligne Zoran Boukherma. Il a notamment travaillé avec un coach pour apprendre à occuper l’espace différemment selon les âges, car il incarne le même personnage de 14 à 20 ans. » Une consécration pour ce jeune acteur, encore inconnu il y a deux ans. «C’était une belle façon de clôturer le festival», observait-il un mois plus tard dans un café parisien. Surtout d’être récompensé par un si beau jury, composé de James Gray et Isabelle Huppert. »
Famille de cinéma
Humilité oblige, rappelle Paul Kircher : cette victoire est aussi celle de l’équipe. Car il n’est pas le seul à porter ce long métrage événement, adaptation du roman de Nicolas Mathieu, récompensé par le prix Goncourt en 2018. Il partage l’affiche avec des stars confirmées, comme Ludivine Sagnier ou Gilles Lellouche, mais aussi d’autres espoirs du Cinéma français : Sayyid El Alami, Angelina Woreth et Louis Memmi. Tout le monde a dévoré cette fresque sur le passage à l’âge adulte et le déterminisme social. Ils rêvaient tous d’être les pièces maîtresses de son adaptation sur grand écran. Tous ont torpillé la concurrence au fil des castings, chaque rôle ayant été convoité par une trentaine, voire une quarantaine de prétendants. Zoran Boukherma, au départ peu familier avec leur filmographie, a été surpris par l’ampleur de leur talent : « Nous avons rarement travaillé avec des acteurs aussi techniques. Ils étaient capables de réagir immédiatement aux détails d’une direction, de changer une virgule ou une intonation. »
L’alchimie ne s’invente pas. Compenser, Leurs enfants après euxc’est aussi l’histoire d’un groupe qui a noué des liens forts au cours d’un long tournage, voire plus. Dans les différences, comme dans une vision partagée du milieu : « Ils ont une perception du métier très différente de celle des jeunes comédiens que je rencontre habituellement », observe Paul Kircher. Ils sont très ancrés dans la réalité. » Louis Memmi, 23 ans, au visage de bébé encore entouré de boucles, a grandi loin des considérations parisiennes. « Je viens de Corte, une petite ville des montagnes corses, explique-t-il. J’ai vécu, comme les personnages du film, des étés à ne rien faire, à traîner au lac et à la rivière, à faire du vélo… » Il est d’abord repéré par un directeur de casting pour un court-métrage, avant de tout abandonner, après le bac, prendre des cours de théâtre à Paris. « Au début, nous étions faits pour faire du cloud. Je me suis dit : qu’est-ce que je fais ici ? » Ensuite viendra un rôle important dans Borgopar Stéphane Demoustier, une expérience qui approfondit sa passion et sa compréhension du métier. Désormais, à chaque fois qu’il revient au pays, il est accueilli comme une mascotte. Comment ses amis perçoivent-ils cette nouvelle vie ? « Ils me parlent pendant cinq minutes de Venise ou d’un certain film dans lequel ils m’ont vu. Mais ensuite on revient à des choses très concrètes. »
Être bien entouré est-il le secret pour se faire une place dans un secteur aussi concurrentiel ? A ce jeu, Paul Kircher, le benjamin du quatuor, bénéficie d’un atout de taille : il a grandi dans une famille de cinéma, avec des parents acteurs, Jérôme Kircher et Irène Jacob. De quoi le préparer aux tourments du métier ? « On a rarement ce genre de discussions, en réalité. La seule différence est qu’à leur époque, vous passiez vraiment votre journée à attendre près du téléphone fixe. » À l’entendre dire, Paul Kircher a passé « beaucoup de castings, et a raté la majorité d’entre eux ». Il a aussi développé toute une théorie sur l’attitude à adopter : être naturel, avoir du recul, prouver qu’on est « malléable » à la vision du réalisateur. Il entre dans le 7ème art par la grande porte en décrochant, à 19 ans, une série de premiers rôles dans Avez-vous pêché ?, Le lycéenAlors Le règne animalun phénomène au box-office en 2023. Une conjonction favorable de talents et de rencontres. Il évoque son agent, Grégory Weill, en qui il a une confiance absolue, mais aussi la bonne volonté de ses partenaires de jeu : Juliette Binoche l’a immédiatement pris sous son aile, Romain Duris s’est montré ouvert à ses propositions. Sans oublier Christophe Honoré qui, après lui avoir proposé un rôle dans Le lycéenje le jouerai bientôt au théâtre à Les idoles. Il est cependant conscient que la chute est plus brutale quand on vit à cent à l’heure : « Je ne veux pas être toujours à la recherche de la prochaine dose d’adrénaline. »
Imprévisible et violent, le quotidien d’un acteur reflète une époque où tout va vite et tout s’oublie vite, à l’heure où la multiplication des plateformes de streaming favorise le développement frénétique des séries françaises. Pour Sayyid El Alami, révélé dans la grande production Messie (Netflix) et la mini-série émouvante Oussékine (Disney+), la profusion de contenus ne profite pas forcément aux acteurs : « Il y a plus de projets et donc moins de projets de qualité. Ou alors, ils se noient dans la masse, alors qu’ils auraient été des classiques il y a vingt ans. » Après ses premiers pas au petit écran, cet autodidacte toulousain vient d’enchaîner deux rôles bien différents au cinéma : un lycéen en deuil de son père, réfugié dans le motocross, dans La Pampasigné de son ami et réalisateur préféré Antoine Chevrollier. Et le personnage d’Hacine dans Leurs enfants après euxoù son investissement a été une nouvelle fois total : « Lounès Tazaïrt, qui incarne son père, est d’origine kabyle », explique Zoran Boukherma. Cependant, le personnage du livre est marocain. Il a donc traduit certains dialogues dans la bonne langue et les a travaillés avec l’acteur. Nous sentions qu’il était important pour lui que tout se passe bien. » L’authenticité du jeu avant tout. Entre deux castings, il garde toujours une longueur d’avance, profitant des - morts pour perfectionner son anglais. Et rêve de se développer à l’international, aussi bien avec Joachim Trier, les frères Safdie, qu’avec des cinéastes iraniens comme Saeed Roustayi. Parallèlement, Sayyid entretient un rapport très pragmatique avec sa carrière et ses finances, vestiges d’une enfance passée dans un milieu modeste. Il n’y a pas de place pour l’extravagance chez cet acteur qui refuse le jeu des apparences : « J’ai compris très tôt qu’il fallait être prudent. Cela continue avec moi aujourd’hui. »
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