Il s’est aliéné la quasi-totalité du monde automobile, jusqu’au conseil d’administration qui a été tué ce dimanche 1er décembre au soir. Les administrations américaines (Biden et Trump), les marchés, les acteurs internes, les concessionnaires, les clients et les fournisseurs, tous sont contre Carlos Tavares. Difficile dans ces conditions de rester en place.
Confronté à une démission formelle et à un licenciement sur le fond, le patron de Stellantis aurait appris son sort samedi, à la veille d’un conseil d’administration exceptionnel qui s’est tenu ce dimanche après-midi à Amsterdam. Et c’est une affaire de famille qui vaut à Tavares ce départ immédiat et forcé. Car c’est à la coalition entre les deux grands actionnaires du groupe, qui ont fini par se mettre d’accord sur son avenir, qu’il doit son éviction en fin de week-end.
Un licenciement familial
Les familles en question sont d’une part les Agnelli qui, au sein de la holding Exor, détiennent 14,2% des parts et les Peugeot qui en détiennent encore 7,1%. En ajoutant les 6,1% de BPiFrance, la banque publique française, également ralliés aux doléances portées par les deux familles, le directeur général a compris que ces membres du conseil d’administration avaient scellé son sort et que les autres actionnaires du capital atomisé allaient se rallier aux poids lourds.
Une fois la sentence tombée, Carlos Tavares n’a plus qu’à remettre les clés du paquebot à John Elkann, le président, qui assurera l’intérim. Il pourra également négocier un parachute doré qui pourrait s’avérer très confortable et largement suffisant en tout cas, pour garantir à l’homme de 66 ans de quoi profiter d’une retraite plus qu’heureuse dans sa ferme portugaise.
Il ne reste plus qu’à panser les blessures et penser à l’avenir. Plaies plutôt nombreuses que les « psychopathe de la performance » comme il se définit lui-même, a continué à creuser ces dernières années, et surtout ces derniers mois. Car ses ennemis sont bien au-delà des rangs du conseil d’administration où il siégeait.
En interne, les langues se délient de plus en plus facilement pour évoquer sa gestion brutale, notamment auprès des anciens salariés, nombreux à avoir rejoint le groupe Renault, de l’ingénierie au design, en passant par le marketing et la communication. Chez les concessionnaires aussi, dont les marges se sont réduites depuis le Covid, et aussi chez les clients, rebutés par les déboires des motorisations Puretech et BlueHDI face aux autres marques.
Il existe également un immense mécontentement parmi les fournisseurs. Non seulement on leur demande de renégocier leurs prix à la baisse, mais en plus les délais de paiement de leurs factures se sont considérablement allongés.
D’autres problèmes, et non des moindres, se sont accumulés outre-Atlantique. Parce que non seulement les ventes des marques américaines (Jeep, Dodge, Ram et Chrysler) sont en berneavec les stocks accumulés chez les concessionnaires, mais en plus, Stellantis s’est aliéné l’administration sortante comme celle arrivée au pouvoir en janvier. Biden ayant pris fait et cause pour le syndicat UAW qui a bloqué des usines américaines fin 2023, Stellantis a décidé de délocaliser une partie de sa production au Mexique, qui n’est pas le pays préféré de Donald Trump qui a promis, lors de sa campagne, d’en taxer 10. % sur les voitures fabriquées de l’autre côté du Rio Grande. Dommage de retomber sur la pente des mauvaises ventes.
Stellantis a des ennemis américains et italiens
En Italie aussi, Stellantis est en guerre contre le gouvernement Meloni, qui l’accuse d’externaliser à outrance et de vouloir tuer l’industrie automobile italienne. John Elkann lui-même aurait appelé la Première ministre Giorgia Meloni pour lui annoncer ce qui, pour elle, est une bonne nouvelle : le départ de Carlos Tavares.
Les projets sont donc nombreux pour remettre sur les rails un groupe mal en point. Vraiment si mauvais ? certainement le avertissement sur les bénéfices de septembre, qui annonçait une réduction de moitié de la marge opérationnelle, a mis le feu aux poudres. Mais une marge qui atteindra certainement 7% à la fin de l’année est très loin d’être honteuse. Stellantis ne perd pas d’argent, mais gouverner, c’est planifier. Le groupe doit sortir de la spirale infernale dans laquelle il est plongé depuis fin 2023 et, pour le conseil d’administration, il faut mettre fin aux méthodes Tavares.
En vendant des marques ? Possible. En tout cas, John Elkann s’oppose au contraire : une expansion par l’acquisition d’autres marques comme le souhaitait Tavares. Exit les fantasmes d’absorption de Renault, General Motors ou Ford. Reste à savoir quelles marques vendre. La famille Agnelli, aux commandes depuis hier soir, va certainement se battre, aux côtés du gouvernement Meloni, pour garder les heureux italiens que sont Maserati, Alfa Romeo ou encore Lancia.
Vendre des marques américaines ? L’Amérique est au cœur du système Stellantis et représente l’essentiel de ses bénéfices. Redresser la voie à Détroit est vital, quitter le navire américain semble impossible. Restent les marques françaises et notamment DS que tout le monde semble regarder avec pitié depuis dimanche soir.
Mais vendre, ou arrêter les coûts de la marque premium française, ne suffira pas à redresser la situation. L’amélioration continue de la qualité des produits sera au cœur du processus de reconstruction du groupe, au même titre que le redressement de ses marques américaines. Pour y parvenir, il faut un capitaine, puisque John Elkann a promis de nommer un nouveau directeur général d’ici quelques mois.
Qui est susceptible de reprendre le flambeau ? Des noms circulent, en interne comme en externe. Jean-Philippe Imparato, véritable numéro 2 depuis qu’il est à la tête de l’Europe ? Sa méconnaissance du marché américain pourrait lui fermer la porte au sommet. Maxime Picat ? le directeur des achats actuel pourrait payer le tuer les coûts frénétiquement utilisé chez Stellantis, et lui aussi n’a aucune expérience américaine. Reste Olivier François, il est français, dirige actuellement Fiat et s’est occupé de Chrysler il y a quelques années. Le profil idéal.
Un stock en baisse mais un stock fluctuant et en attente
Mais au jeu des pronostics, on peut aussi citer des patrons venus d’ailleurs, et en premier lieu, Luca de Meo. Mais on voit mal l’Italien qui a tout réussi chez Renault quitter le losange pour prendre la direction de Stellantis, même si sa nomination pourrait rassurer les salariés bien ébranlés après les années Tavares, ainsi que les fournisseurs. En plus, il ne connaît pas non plus l’Amérique. De l’autre, Mike Manley est un spécialiste des voitures américaines de Stellantis ; puisqu’il dirigeait FCA, avec un œil attentif sur les voitures américaines du groupe, avant la fusion avec PSA. Il est parti en 2023, empochant au passage un parachute de 51 millions de dollars. Son retour serait évidemment dommage.
Quoi qu’il arrive, et quel que soit le nom qui sort du chapeau du conseil d’administration, l’élu doit agir vite. Parce que les marchés, qui décident de la valeur des actions Stellantis, n’aiment rien de moins qu’une attitude attentiste. Dès l’ouverture, le cours du groupe a baissé, avant de se redresser un peu. Les prix varient plus souvent que la stratégie industrielle, heureusement.
Pour aller plus loin…
Regardez la vidéo-débat éditoriale publiée à l’occasion du Mondial de l’Automobile de Paris : « Stellantis, la fin de la période dorée ». Nos journalistes ont analysé les raisons des difficultés de Stellantis et se sont projetés sur l’après-Tavares.
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