Lundi s’ouvre à Bordeaux, le procès des cinq ex-joueurs grenoblois. Trois d’entre eux sont accusés d’avoir violé collectivement une jeune fille de 20 ans une nuit de mars 2017 dans un hôtel de Mérignac. Les deux autres sont poursuivis pour le délit de non-assistance à personne en danger. cette terrible affaire met en lumière les aspects les plus sombres de la « troisième moitié » très alcoolisée, ainsi qu’un certain rapport au sexe et aux femmes.
Le procès débutera donc six mois plus tard. Les cinq prévenus, anciens joueurs grenoblois, ont été convoqués de nouveau devant les assises de la Gironde à partir de ce lundi pour enfin évoquer ce qui s’est passé dans la nuit du 11 au 12 mars 2017, à l’hôtel Le M’. SPA By Hôtels et Préférence (alors appelé Quality Suites Bordeaux Aéroport & Spa) à Mérignac, salle 908.
C’était après un match entre l’UBB et le FCG. Loïck Jammes, les Néo-Zélandais Rory Grice et Dylan Hayes, ainsi que l’Irlandais Chris Farrell s’étaient déjà présentés au tribunal de Bordeaux le 17 juin mais le procès avait été reporté pour une raison inattendue et imprévisible : le 12 juin, le cinquième co-accusé , l’Irlandais Denis Coulson, avait été victime d’un grave accident de voiture à Dublin, son lieu de résidence. Il n’était pas physiquement apte à assister aux débats, puisqu’il avait notamment subi une opération à la cheville, mais il avait été décrit comme polytraumatisé par le corps médical de son pays. Visiblement, sa santé s’est améliorée. Il a indiqué qu’il serait en mesure de faire face à la justice.
Un pub, un club, un hôtel
L’affaire est grave, tout le rugby français le sait puisque les cinq hommes sont accusés d’avoir participé à des degrés divers à un viol collectif commis par une jeune femme de 20 ans dont l’identité n’a pas été dévoilée. Les faits, consignés dans les éléments de la procédure transmis en milieu de semaine dernière, se seraient déroulés dans la chambre de cet hôtel de Mérignac, proche de l’aéroport, le soir du match de Top 14 UBB-Grenoble (46-14). ). Les joueurs étaient autorisés à sortir en ville. La jeune fille a rencontré un groupe de joueurs dans un pub situé au centre de Bordeaux, appelé « Les Chambres du Parlement ». Denis Coulson et Rory Grice sont présents, tout comme les Australiens Peter Kimlin et Dayna Edwards. à l’époque, ils avaient respectivement 22, 26 et 21 ans pour les deux dernières. La jeune femme est accompagnée de deux amis dont un de nationalité anglaise. C’est elle qui, grâce au langage, rapproche le groupe de trois filles de celui de cinq garçons.
Après le pub, le petit groupe continue la soirée dans une discothèque, « La plage » située quai de Paludate, au sud de Bordeaux. Un lieu vaste, doté de sept pistes de danse. La jeune femme ne se sent pas particulièrement noctambule mais elle aime la partie consacrée à la musique latine. Les joueurs sont sympas. Elle se laisse enivrer par l’ambiance festive et ne refuse pas les boissons qui lui sont proposées : vodka, rhum. Il est 16 heures, sa copine anglaise suit un des joueurs qui s’éclipse sans ses coéquipiers. Mais cette éventuelle relation ne donnera lieu à aucune polémique.
Sa petite amie française rentre chez elle
La jeune étudiante se retrouve dans un Uber en compagnie de deux des cinq anglophones. L’enquête permettra d’identifier Peter Kimlin et Denis Coulson. Le véhicule se dirige vers Mérignac, près de l’aéroport, assez loin du quai de Paludate. C’est ici que loge la délégation grenobloise.
Le véhicule arrive devant l’hôtel vers 4 heures du matin et les images de vidéosurveillance montrent Coulson emmenant la future plaignante dans l’hôtel tout en la soutenant, comme si elle ne pouvait plus marcher.
Peter Kimlin se couche, seul, certainement la meilleure décision de sa vie. En tout cas, il ne devrait pas le regretter pour le moment, quelle que soit l’issue du procès. Le chauffeur Uber ne sera jamais retrouvé par les enquêteurs.
Le matin venu, la jeune étudiante s’est réveillée nue sur un lit « avec l’impression d’être pénétrée par un objet métallique » comme elle l’a confié à la brigade de protection des familles de Bordeaux. Ses souvenirs de la nuit sont très confus. Plusieurs hommes sont présents à ses côtés, dont deux sont déshabillés. L’un d’eux lui propose un taxi mais ne parvient pas à déclencher l’application.
Elle s’est habillée et s’est enfuie, en larmes et paniquée, selon plusieurs témoins. Elle demande un taxi à la réception. Le conducteur l’a décrite comme visiblement choquée. Elle a pu contacter son amie française et lui a parlé d’agression collective. Elle a ensuite rejoint sa famille avant de porter plainte trois heures plus tard. La machine policière et judiciaire se met en route. Entre-temps, un joueur, Denis Coulson, aurait tenté de la contacter sur un ton conciliant. Sur conseil de la police, elle n’a pas répondu, selon les faits rapportés par le journal. Le Monde en juillet 2018. Ce soir-là, son taux d’alcool était estimé entre 2,2 et 3 grammes par litre de sang. Le contexte de la soirée est établi, propre à tous les excès.
Ce que dit la victime : « Une dépossession de son corps »
La jeune fille a aujourd’hui 28 ans. Elle n’est plus étudiante et mène une vie professionnelle active. Elle devrait demander un huis clos pour ces deux semaines de procès.
Outre sa qualité de demanderesse, elle s’est également constituée partie civile, représentée par Maître Anne Cadiot-Feidt, du barreau de Bordeaux et Grégoire Mouly, Gaessy Gros et Victoria Nauche, également du barreau de Bordeaux.
Jusqu’à présent, la victime – dont l’identité n’a jamais été révélée – s’est très peu exprimée. Elle n’a pas accepté nos demandes. Un seul article du Monde (juillet 2018) rapportait ses propos : « C’est comme une dépossession de son corps… J’ai été violée ! Mais ce mot est tellement tabou que j’ai l’impression de ne pas pouvoir le prononcer ! […] J’aimerais qu’ils se rendent compte, et que tout mec comprenne, qu’une fille qui dort, on ne lui présente pas d’objets, on ne couche pas avec elle ! Et ce n’est pas parce que je t’ai souri le soir que j’en ai eu envie.
Cette affaire est édifiante, par une forme de violence mêlée à l’irruption dans nos vies des nouvelles technologies, des messageries et des réseaux sociaux. Nul doute que la jeune fille a eu des relations sexuelles avec trois joueurs du FC Grenoble. Comment pouvons-nous en être sûrs ? L’un d’eux a filmé une scène explicite avec son téléphone portable, la réalité des faits est incontestable. Il a même partagé la vidéo sur le réseau social Snapchat. L’enquête fait également état de pénétrations et d’attouchements avec divers objets.
Les éléments de la procédure précisent également que “une expertise génétique a permis notamment de retrouver le profil génétique de la partie civile sur les béquilles utilisées par le joueur blessé”dans un document « dossier de presse » envoyé mercredi dernier par le parquet général. Il est établi que Rory Grice, Chris Farrell (23 ans, colocataire de Coulson), le Français Loïck Jammes (22 ans) et le Néo-Zélandais Dylan Hayes (22 ans) sont entrés dans la salle à un moment ou à un autre.
Les joueurs nient totalement la contrainte
Vers 8 heures du matin, le manager du FCG Andrew Farley, qui s’est réveillé tôt, s’est vite rendu compte que quelque chose s’était passé. Loïck Jammes a réuni le groupe des cinq pour faire le point. Chacun cherche alors à se rassurer. Cette fille était d’accord, qu’auraient-ils fait de mal ? Mais chacun, de son côté, fait ses propres recherches sur Internet. Ce dont la police retrouvera des traces dans les téléphones saisis, avec des demandes explicites : « Que faire quand on a couché avec une fille ivre ? ».
Le lundi suivant (13 mars 2017), Jammes a ouvert un groupe WhatsApp destiné à se mettre d’accord sur les versions. Mais France Blue Gironde fait sortir l’information. Cette fois, la machine médiatique est en marche. Le président du FCG, Eric Pilaud, organise une conférence de presse et ne nie pas les faits. Durant cet exercice, il fondra en larmes : « On ne va pas jouer à la victime, nos premières pensées vont à cette jeune fille. Si de tels faits sont un jour prouvés, cela est répugnant, inacceptable. ».
Mi-avril 2017, Jammes, Coulson et Grice ont été inculpés de viol collectif et renvoyés du FCG. Quatre ans plus tard, en juillet 2021, Farrell et Hayes subissent le même sort mais pour des faits moins graves, « non-assistance à personne en danger ». Ils auraient assisté aux ébats, sans protéger la jeune fille. Une sombre bataille judiciaire avait déjà commencé, les avocats des joueurs tentaient tous les recours pour épargner à leurs clients l’épreuve de la cour d’assises qui, vue de loin, semblait pourtant inévitable. Ils ont repoussé l’échéance jusqu’en décembre 2022, date à laquelle la Cour de cassation a rendu sa décision définitive. Les hommes seront présentés au box des accusés, à partir de ce lundi, tout en restant présumés innocents. Dès le début, ils ont nié toute contrainte et, donc, l’idée de viol.
Un huis clos demandé ?
Vendredi, on apprenait que la plaignante devrait demander la clôture de son procès ce lundi. Ses défenseurs ont évoqué son état émotionnel et sa difficulté à s’exprimer devant un public, sur des faits aussi douloureux, même sept ans plus tard. Elle a également eu du mal à gérer les inévitables interrogatoires, notamment les accès de colère dans les commissariats.
Pour rappel, le plaignant avait déjà demandé le huis clos en juin, lors du premier procès qui avait finalement été ajourné. Elle a été acceptée par la présidente du tribunal, Marie-Noëlle Billaud.
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