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Faut-il voir le film de Gustave Kervern avec Laure Calamy sur Arte ?

ETMilie (Yolande Moreau) dit stop. Arrêter sa vie dans l’Ehpad où elle est traitée avec une odieuse condescendance par le directeur (l’excellente Alison Wheeler), arrêter la promesse extrêmement sombre d’une vie coincée entre ses petits-enfants et une belle-fille (Marie Gillain) tombée sous la coupe d’un vil petit voyou (Jonathan Cohen). Et à 70 ans, elle part sur la route, au volant de sa voiture de location, flanquée de Lynda (Laure Calamy), aide-soignante seule. Un seul objectif : régler ses comptes avec tous ceux qui, dans leur vie, leur ont fait subir ces petites – et grandes – humiliations quotidiennes, qu’ils n’ont jamais oubliées.

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C’est sur ce cadre sincère que Gustave Kervern, prouvant une fois de plus qu’il existe bien une vie après Grolandconstruit par Je ne me laisserai plus faire ça, son premier film solo, récompensé par le prix de la mise en scène au Festival de la Fiction de La Rochelle en septembre dernier. UN Thelma et Louise du Pas-de-Calais, diffusé ce vendredi soir sur Arte, qui place des personnages, souvent banalement sordides, parfois touchants, sur le chemin de nos deux hors-la-loi.

L’occasion d’offrir de jolies partitions à Anna Mouglalis et Raphaël Quenard, nouveaux venus dans l’univers entre gris clair et discrètement gilet jaune de Kervern, dans des rôles de flics aussi perdus qu’émouvants à la poursuite des deux fuyards. Ou, plus surprenant encore, de placer l’ancien président du RC Lens Gervais Martel en fauteuil roulant.

Ce road movie féministe, Gustave Kervern l’a imaginé un peu mélancolique mais plutôt que de céder à l’amertume ou à la dépression, il a décidé d’y apporter quelques touches d’humour, absurde et poétique, pour que le désarroi ou les mesquines faiblesses de ces personnages ne soient pas trop difficile à digérer.

D’ailleurs, si Laure Calamy et Yolande Moreau ne manquent pas de prestance, c’est surtout à travers ses seconds rôles que le réalisateur et scénariste se montre souvent le plus justement. Pas un second plan qui ne raconte une histoire, pas une réplique, aussi anodine soit-elle, qui ne donne matière à réflexion à nos neurones ou à nos zygomatiques.

Rencontre en septembre dernier avec un Gustave Kervern touchant et humble, qui ne cachait pas son angoisse, quelques semaines avant la diffusion de son film sur Arte.

Le point : Comment est née l’idée de Je ne me laisserai plus faire ça ?

Gustave Kervern: J’ai eu un petit problème personnel, un divorce, qui m’a laissé, comment dire, un peu perdu. J’ai compris qu’il fallait que j’écrive pour m’en sortir. J’ai donc travaillé sur deux films à partir d’idées qui me trottent dans la tête depuis longtemps. Mais celui-ci est vraiment le plus personnel. J’ai réalisé que nous traversons tous de petites humiliations dans la vie, des moments où nous n’osons pas répondre à quelqu’un, où nous n’obtenons pas la bonne réponse. C’est incroyable comme ces petits moments nous suivent tout au long de notre vie, même lorsqu’ils sont insignifiants. C’est cette idée qui m’intéressait : comment ces regrets nous hantent et influencent nos vies, alors même qu’on aurait dû les oublier.

Vous parlez aussi de vengeance mais pas de vengeance sanglante à la Tarantino…

(Il sourit.) Non, il s’agit plutôt d’une vengeance symbolique, d’un règlement de comptes pour ces petites humiliations. Le personnage principal interprété par Yolande Moreau décide de se venger après la mort de son fils, mais de manière subtile. Ce qui m’a plu, c’est aussi de parler de ce qui se passe dans les Ehpad, notamment avec le personnage de cette réalisatrice interprétée par Alison Wheeler, qui fait partie de ce que j’appelle les « monstres du quotidien ».

Vous parlez souvent dans les interviews de votre fascination pour les « perdants magnifiques ». Vos deux héroïnes en font-elles partie ?

Oui, totalement. Même si chaque film est différent, j’y reviens toujours. Ce sont toujours des personnages de condition modeste qui se rebellent contre quelque chose. C’est un thème un peu récurrent dans mes films. Ce sont des Don Quichottes modernes, incroyablement attachants.

On a l’impression, en regardant votre film, que les acteurs se sentaient libres d’improviser, comme cette scène dans la voiture, dans laquelle Yolande Moreau et Laure Calamy imitent des animaux en chantant…

Avec Benoît Delépine, on a toujours eu une ambiance de tournage assez cool. Lorsque les acteurs arrivent, ils savent qu’il n’y aura pas de pression indue. Il est important qu’ils puissent s’exprimer librement et prendre des risques. La scène automobile est un pur moment de folie qui n’était pas du tout prévu !

Comment s’est passé le tournage avec Laure Calamy, nouvelle venue dans votre univers, et votre « égérie » Yolande Moreau ?

Laure est une actrice très généreuse. Elle a parfois des doutes, mais nous avons toujours trouvé un terrain d’entente. Ce que j’aime chez elle, c’est sa capacité à donner de l’humanité à son personnage. Son duo avec Yolande Moreau fonctionne très bien, car ils s’opposent mais se complètent.

Travailler seul est un peu plus rapide. C’est bien de ne pas avoir à discuter de chaque choix, on a moins de frustration. C’est un autre genre de plaisir.

Le film pourrait virer au drame et on le prend toujours par le col avec des touches d’humour, y compris parfois en fond sonore…

Oui, je m’en soucie. Dans mon film, j’ai 250 plans, alors qu’un film américain en a des milliers, et chacun doit raconter quelque chose. C’est toute la difficulté du plan séquence : tout dans le cadre doit avoir un sens. On évite les moments où rien ne se passe, comme une voiture qui arrive sans raison. Il faut toujours un élément étrange ou inhabituel, quelque chose qui capte l’attention.

Quelle différence cela fait-il de tourner pour la télévision plutôt que pour le cinéma ?

(Il rit.) Pas grand-chose en fait. Le processus est à peu près le même. D’habitude, avec Benoît Delépine, nous avons un mois pour tourner nos films. La vitesse de prise de vue n’est donc pas un problème. Ce qui compte c’est la méthode de travail, la confiance qu’on accorde aux acteurs. Et je n’ai pas changé ma façon de faire, même pour la télévision.

Travailler seul pour la première fois était-il plutôt pénible ou libérateur ?

C’était un peu des deux. Travailler en couple, c’est toujours faire des compromis, mais c’est aussi enrichissant. Travailler seul est un peu plus rapide. C’est bien de ne pas avoir à discuter de chaque choix, on a moins de frustration. C’est un autre type de plaisir, même si la collaboration reste pour moi quelque chose de très précieux.

Avez-vous l’impression d’avoir atteint un point où vous avez exploré tout ce que vous aviez à dire ?

Avec Benoît, on a peut-être atteint une sorte de saturation. Il réalise actuellement lui-même un film. Pour ma part, je me concentre sur ce film, et après, je pense qu’on prendra du recul avant de se remettre ensemble. On attend d’avoir une idée qui nous passionne, une nouvelle envie, avant de recommencer.

Vous considérez-vous comme un réalisateur engagé ?

Disons que je suis un observateur. Je ne me considère pas comme un activiste, mais plutôt comme quelqu’un qui tente de porter un regard critique et parfois amusé sur les travers de notre époque. J’aime déconstruire les choses, sans forcément chercher à dénoncer ou à donner des leçons. Les gens qui sont dans mes films, en réalité, sont des gens un peu perdus, mais ils cherchent toujours quelque chose, parfois sans le savoir. C’est ce qui les rend attachants et réels. Quand on regarde autour de nous, on se rend compte que chacun est engagé dans cette quête, à sa manière. Mais il faut parfois traverser des moments absurdes, voire pathétiques, pour comprendre ce qui compte vraiment.

Vous faites un discours assez amer sur le niveau culturel actuel, notamment chez les jeunes. On dirait que tu t’amuses…

Oui, je trouve que la culture est de plus en plus dissociée de son véritable enjeu. Les gens consomment des informations ou des divertissements sans vraiment y penser, comme si cela suffisait à combler un vide. La télévision et les plateformes comme Netflix sont devenues des refuges, où l’on cherche des réponses sans jamais poser les bonnes questions. Les gens ont besoin de distraction, mais en se remplissant la tête de trucs faciles, ils oublient de creuser un peu plus. On perd cette curiosité, cette soif de découvrir. Je ne critique pas l’idée de s’amuser, loin de là, mais c’est devenu trop systématique.

Vous n’êtes pas non plus très tendre avec votre fils, à qui vous confiez une apparition hilarante dont il ne grandit pas forcément…

(Il rit.) Oui, c’est un peu ça. Mon fils, comme beaucoup d’autres jeunes aujourd’hui, a accès à tout, à n’importe quelle information, mais il s’en fiche. Il préfère regarder des vidéos de chats sur son téléphone plutôt que de s’asseoir devant un bon film ou un bon livre.

Que voudriez-vous que nous retenions de cela Thelma et Louise tu es le Nord ?

(Il sourit.) J’aimerais que ce film ne soit pas seulement une expérience unidimensionnelle. Je souhaite que le spectateur soit emporté dans un tourbillon d’émotions. C’est ce qui, à mon avis, rend un film mémorable. Car au fond, la vie elle-même ressemble à ça : une suite de moments où l’on alterne entre rires et larmes, parfois au même moment.


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L’accueil du public vous angoisse ?

Chaque fois que j’assiste à des projections publiques, je m’inquiète, je me dis que j’aurais dû couper telle ou telle scène. Oui, on pourrait dire que je suis anxieux. (Il sourit.)

 
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