“L’enjeu” du procès pour viol de Mazan est de “changer fondamentalement les rapports entre hommes et femmes”, a déclaré lundi le procureur général Jean-François Mayet à l’ouverture de sa mise en examen devant le tribunal correctionnel du Vaucluse.
« Ce procès bouleverse notre société dans notre rapport aux autres, dans les relations les plus intimes entre les êtres humains. Faire comprendre nos besoins, nos émotions, nos désirs et surtout prendre en compte ceux de l’autre”, a déclaré le premier des deux représentants du parquet à prendre la parole : il ne s’agit “pas d’une condamnation ni d’un acquittement”.
M. Mayet a également relevé le caractère “extraordinaire” de ce procès “au vu de la gravité inimaginable des faits reprochés à 51 prévenus à la fois”.
Coïncidence du calendrier, le parquet a donc débuté son discours à Avignon à l’occasion de la journée internationale contre les violences faites aux femmes. “La mise en examen en ce jour si particulier est un symbole supplémentaire”, a commenté Me Antoine Camus, l’un des deux avocats des parties civiles.
Une chose est sûre : les peines que réclameront les représentants du parquet, Jean-François Mayet et Laure Chabaud, seront scrutées de près, puisque la principale victime, Gisèle Pelicot, 71 ans, a accédé au statut d’icône féministe après avoir a refusé que le procès se déroule à huis clos, « pour que la honte change de camp ».
– « Une leçon pour le monde » –
Couvert quasiment dans le monde entier, avec 138 médias accrédités dont 57 étrangers, cet essai a un retentissement bien au-delà des frontières françaises. Comme l’a encore témoigné jeudi le président de la Chambre des députés chilienne, Karol Cariola, saluant le “courage et la dignité” de Gisèle Pelicot, “une citoyenne ordinaire qui a donné une leçon au monde entier”.
«C’est beaucoup d’émotion», a déclaré Mme Pelicot en entrant dans la salle d’audience. Pour ce moment fort, face à son ex-mari devenu son bourreau, elle était seule, accompagnée de ses deux avocats et de son assistante juridique. Aucun des trois enfants du couple n’était là.
Après l’introduction de Jean-François Mayet, le relais a été pris par sa collègue Laure Chabaud, pour se pencher sur le cas du « chef d’orchestre » de cette décennie de viols. Dominique Pelicot, dénominateur commun des 50 coaccusés recrutés sur internet à qui il avait livré sa désormais ex-femme, préalablement sous sédatifs par anxiolytiques, à leur domicile conjugal de Mazan entre juillet 2011 et octobre 2020.
Il est difficile d’imaginer qu’ils ne réclament pas contre lui la peine maximale, 20 ans de réclusion criminelle.
Dominique Pelicot n’a jamais caché sa responsabilité, se qualifiant de « violeur ». «Je suis coupable de ce que j’ai fait (…) J’ai tout gâché, j’ai tout perdu. Je dois payer », a-t-il déclaré peu après le début du procès.
Mais quelles peines le ministère public va-t-il demander à l’encontre de ses 50 coaccusés ? Car même si la plupart sont poursuivis pour les mêmes faits, à savoir le viol aggravé de Gisèle Pelicot, et risquent donc également 20 ans de prison, l’individualisation des peines est obligatoire. Par exemple, pour distinguer les récidivistes – dix hommes sont venus plusieurs fois – de ceux qui ne sont venus qu’une seule fois à Mazan.
Ces hommes âgés de 26 à 74 ans pouvaient-ils légitimement croire qu’ils participaient au scénario d’un couple libertin, où la femme ferait semblant de dormir ? Ont-ils été « manipulés » par Dominique Pelicot ?
Ou bien leur discernement a-t-il été altéré au moment des faits, comme l’ont encore suggéré mercredi les avocats de 33 d’entre eux ?
Enfin, l’accusation aura-t-elle la main plus lourde à l’égard des 35 accusés qui, à l’ouverture du procès, niaient toujours fermement avoir participé à un « viol », malgré les vidéos accablantes tournées par Dominique Pelicot ?
“Il faut nuancer les peines, on ne peut comprendre cela qu’en suivant le procès”, a témoigné auprès de l’AFP Brigitte Jossien, 74 ans, gérante de magasin à la retraite, arrivée lundi matin à 5h45 du matin, d’une ville Avignon voisin, pour assister au procès. Avec son amie Bernadette Teyssonnière, 69 ans, retraitée, qui travaillait dans l’industrie pharmaceutique, ils ont assisté à presque toutes les audiences.
– « 20 ans pour chacun » –
Mais ils ne croient pas que ce procès changera grand-chose : “Malheureusement, beaucoup d’hommes voient cela comme un fait divers sordide, mais pas plus”, déplore Bernadette : “C’est l’éducation sexuelle à l’école qui va changer les choses.”
Pour les collectifs féministes qui ont déployé dimanche soir une banderole sur les remparts devant le tribunal, la demande était très claire : « 20 ans pour tout le monde », ont-elles demandé.
Selon le calendrier officiel, l’inculpation est prévue dans trois jours. Mais selon les informations recueillies auprès des différentes parties par l’AFP, elle pourrait se terminer en fin de matinée mercredi.
Après l’acte d’accusation, mercredi après-midi ou jeudi au plus tard, les avocats de la défense auront la parole. L’avocate de Dominique Pelicot, Béatrice Zavarro, ouvrira le bal. Puis ses collègues se succéderont jusqu’au 13 décembre.
Le tribunal aura ensuite une semaine pour délibérer, le verdict étant attendu au plus tard le 20 décembre.
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