La France n’a pas colonisé le Maroc parce que “c’est un grand État”. Ou, “Il est facile de coloniser de petites choses qui n’ont pas d’histoire, mais coloniser un État est très difficile”. Ces déclarations expliquent-elles la sortie des radars de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, qui n’a donné aucun signe de vie depuis son arrivée à l’aéroport d’Alger, en provenance de Paris, samedi 16 novembre ?
L’auteur de 2084, la fin du monde (Gallimard), dystopie inspirée de 1984, de George Orwell, qui lui a valu le grand prix du roman de l’Académie française en 2015, les a tenus dans une interview au média d’extrême droite Frontières (ex-Livre noir) à l’occasion de la sortie de son dernier livre, Les Français, parlons-en ! (Cerf). Celle-ci a été diffusée sur YouTube le mercredi 2 octobre 2024.
Un Algérien de l’intérieur
Une telle analyse ne peut que piquer l’État algérien, car elle revient à le comparer, implicitement, à son éternel rival marocain tout en établissant la supériorité de ce dernier. « Réduire l’Algérie à « une petite chose qui n’a pas d’histoire » et préciser que ce n’est pas le cas du Maroc ne peut être vu ici que comme une atteinte à l’intégrité de l’État.décrypte une Source à Alger. Plusieurs lois condamnent cela. »
Cette conclusion n’aura pas échappé à Boualem Sansal, 75 ans et l’un des écrivains francophones les plus célèbres d’Algérie. L’écrivain aux longs cheveux gris connaît l’État de l’intérieur. Ingénieur diplômé de l’École Polytechnique d’Alger, il occupait un poste de haut fonctionnaire au ministère de l’Industrie lorsqu’en 2003, il fut démis de ses fonctions.
En cause, la liberté de ton et l’indépendance d’esprit de cet auteur décédé, qui a publié son premier livre à 50 ans. Le serment des barbares (Gallimard, 1999), il décortique les causes de la décennie noire, ces affrontements entre islamistes armés et gouvernement qui ont fait 150 000 à 200 000 morts entre 1992 et 2002, à travers une enquête policière autour d’un meurtre.
Liberté de ton et indépendance d’esprit
C’est le début d’une carrière littéraire retentissante pour cet habitant de Boumerdès, ville côtière à 50 km à l’est d’Alger où, malgré ses attaches éditoriales et ses nombreux séjours en France, Boualem Sansal continue de vivre aujourd’hui. . Islamisme, radicalisme religieux, rapport à la vieille métropole, gabegie algérienne, langue arabe… Ses récits, souvent teintés d’humour et menés dans une langue classique, parfois riche d’accents poétiques, portent une empreinte résolument politique. De quoi froisser un régime algérien jaloux de son rôle de garant de l’histoire collective.
Distribués dans son pays natal, les livres de Boualem Sansal, devenu personnage public, y alimentent de brûlantes polémiques, attisées par des discours et des gestes symboliques souvent débridés. En 2012, Boualem Sansal se rend en Israël, que l’Algérie ne reconnaît pas. C’est le franchissement d’une ligne rouge, voire une trahison. Une démarche qu’il a commencé à esquisser dès 2008 en publiant Le village allemandsur l’exil d’un ancien SS en Algérie.
Autant d’audace qui, jusqu’à présent, n’a jamais empêché Boualem Sansal de rentrer dans son pays. Jusqu’à ce samedi 16 novembre. “C’est inhabituel, d’habitude, les détentions provisoires, ça dure quelques jours et puis la personne réapparaît”analyse une Source qui croit à une arrestation. En France, dont Boualem Sansal est ressortissant depuis cette année, l’entourage d’Emmanuel Macron a indiqué, jeudi 21 novembre au soir, “très préoccupé par sa disparition”précisant que “Les services de l’Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation”.
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