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entre crise et renouveau d’un terroir emblématique

«Beaujolais ? Mais on n’y pense pas, c’est imbuvable…» Jusqu’à récemment, les sommeliers qui osaient proposer l’appellation étaient sévèrement repoussés. Sa réputation de vin « industriel », provoquée notamment par les hectolitres de Beaujolais Nouveau déversés aux quatre coins de la planète, avait durablement terni l’image de tout un vignoble. Au grand désespoir des vignerons locaux qui n’avaient pas cédé au modèle productiviste. Alexandre Bonnouvriée, directeur du restaurant Habile, restaurant de bistronomie parisienne, a été obligé de proposer le nectar qu’il avait dans sa cave sous forme de chardonnay, du nom de son cépage.

En échange, nous l’avons arraché. Et puis le vent a tourné. Était-ce le bouche à oreille, les magazines spécialisés ou encore l’agit-prop de cette poignée de domaines qui peinent à attirer l’attention ? Pourtant, au début des années 2020, sommeliers et cavistes recommencent à commander des Brouillys, Morgons, Moulin-à-Vents et Beaujolais-Villages.

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Une course à la productivité fatale

Le nom a parcouru un long chemin. Il y a une trentaine d’années, c’est tout un modèle viticole qui est devenu incontrôlable. Pour produire de plus en plus de vins bon marché, et notamment pour répondre à la demande de la grande distribution, nous avons surdopé les vignes en engrais chimiques. “Dans mon enfance, j’ai vu de vrais murs de raisins», se souvient Mathieu Lapierre, 42 ans, cogérant du Domaine Marcel Lapierre. L’époque n’était pas très soucieuse du respect des rendements autorisés par les appellations d’origine (56 hectolitres maximum par hectare pour les dix crus du Beaujolais, comme Morgon, Fleurie ou Juliénas, et 60 hectolitres pour le Beaujolais simple) : les plus anciens parlent de 150 hectolitres par hectare, une partie du surplus étant ensuite vendue clandestinement.

Avec autant de grappes sur chaque cep, les rouges étaient très faiblement condensés, voire un peu « flottants ». De plus, pour réduire les coûts, les désherbants furent préférés aux labours et, comme des pesticides étaient également utilisés, le goût des vins était de plus en plus altéré. Pour compléter le tableau, on a également abusé des sulfites, qui stabilisent les vins mais les empêchent de libérer leurs arômes. C’est ainsi que les consommateurs se sont peu à peu détournés de ces appellations.

Un modèle hyperproductif de vins très bon marché qui ne permet donc plus aux vignerons de joindre les deux bouts. En conséquence, un grand nombre d’entre eux ont pris leur retraite sans trouver de successeur. Depuis l’an 2000, le vignoble a perdu un tiers de son patrimoine, passant de 2 500 à 1 700 domaines. D’autres propriétés ont réduit leur superficie, réduisant de moitié le nombre d’hectares sur la même période.

La région viticole n’a produit que 587 000 hectolitres de vin, contre 1,5 million dans ses meilleures années. Le pire est le Beaujolais Nouveau, dont le ne boira que 16 millions de bouteilles en 2023, contre 60 millions en 2000. Les Japonais, qui en sont tombés amoureux, en achètent six fois moins.

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Les nouveaux vignerons visent la qualité

Mais la crise déclencherait immédiatement la renaissance de la région. Si un hectare dans les crus peut encore valoir entre 40 000 et 100 000 euros, celui des Beaujolais-Villages s’est effondré à 9 000 euros. De quoi attirer les jeunes diplômés en viticulture-œnologie et autres ingénieurs agronomes qui, après avoir parcouru l’Ancien et le Nouveau Monde pour apprendre leur métier, reviennent, souvent sans beaucoup d’argent, avec l’intention de s’installer.

Pour eux, bien sûr, pas question de se conformer à un modèle moribond qui voit encore 80 % des vignerons apporter leurs vins, voire simplement leurs raisins, aux 200 négociants et 9 coopératives du vignoble. Comme ils savent qu’on ne peut pas vivre en vendant leur Beaujolais Nouveau aux commerçants à 3 euros le litre (le prix actuel), ils choisissent d’emblée de monter en gamme, en renonçant à droguer la vigne avec des engrais de synthèse, en abandonnant la chimie pour la charrue, parfois tiré par un cheval, ou en privilégiant une fermentation naturelle sans utiliser de levure 71B qui est à l’origine du goût de banane.

De jeunes « recrues » rejoignent les rangs des pionniers de la qualité. Les Marcel Lapierre, auxquels succèdent ses enfants Mathieu et Camille, les Dominique Piron, Jean-Paul Thévenet, Jean Foillard, les Claude Vincent Geoffray (Château Thivin) ou Louis Claude Desvignes, ces quelques dizaines de descendants de générations du terroir qui ont toujours refusé , depuis trente ans, à se tourner vers le vin industriel.

Ils poussent aussi souvent de manière biologique. “Dans le Beaujolais, 120 vignerons ont fait ce choix, ce qui représente 15 % de la superficie.», se félicite Brieg Clodoré, gérante d’Agribio Rhône & Loire. Quant à ceux qui utilisent encore la chimie, ils ont fortement réduit les doses, précise Mathieu Lapierre. C’est ce que confirme Philippe Bardet, qui était jusqu’il y a quelques mois le président de l’Inter Beaujolais : «Nous réduisons la fréquence des traitements, dit-il, nous nous réinventons en faisant d’énormes efforts pour améliorer la qualité.»

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La sélection de Gaëtan Bouvier, ancien chef sommelier du restaurant Saisons à Ecully, et enseignant à l’Institut Lyfe (ex-Paul Bocuse)

Claude Vincent Geoffray is a Côte-de-Brouilly star.

16 à 37 euros

69460 Oden

Surtout Brouilly et Côte-de-Brouilly, mais aussi fleuri et Morgon.

15 à 41,50 euros

69460 Oden

“A marvel of juliénas on blue stones”, plus Saint-Amour, Brouillys and Morgons.

9,90 à 10,50 euros

71570 Pruzilly

La vigneronne d’origine coréenne est réputée pour ses Morgons.

20 à 32 euros

69910 Villié Morgon

Veut faire de Lantignié le onzième cru du Beaujolais.

12 à 19 euros

69430 Lantigné

Catherine et Cédric Lecareux réussissent particulièrement bien dans leurs règnes.

16h30 à 23h30

69430 Régnié-Durette

Le grand négociant dirigé par Philippe Bardet possède 200 hectares.

13 à 20 euros

71570 Pontanevaux

Dominique Piron est l’un des pionniers du nouveau Beaujolais.

14 à 20 euros

69220 Corcelles-en-Beaujolais

Le plaisir du goût retrouvé

Grâce à des rendements plus faibles, qui permettent une meilleure concentration, l’abandon de la chimie ou de ses excès, et une stricte limitation des sulfites, les Beaujolais du renouveau nous font redécouvrir la magie du Gamay cultivé sur des sols granitiques. “Ce sont des vins gourmands, pleins de fruit, aux caractères aromatiques libérés et à l’acidité désaltérante, à la finesse et à la bouche dentelle et crémeuse, aux tanins souples, qui offrent de la matière sans excès de puissance.», s’enthousiasme Gaëtan Bouvier, meilleur sommelier de France 2016, aujourd’hui responsable d’un programme de licence à l’Institut Lyfe (anciennement Paul Bocuse).

Selon lui, rares sont aujourd’hui les restaurants étoilés qui n’ont pas les dix vins du Beaujolais dans leur cave. Avec des variantes, car le soin apporté à la terre et aux vignes permet aux cuvées parcellaires de révéler le goût d’un lieu, comme « une photographie liquide confinée dans la bouteille ». Ces pépites ont trouvé leur place parmi les grands vins locaux »,en attente d’un classement en premier cru prochainement», assure Philippe Bardet. Le 21 novembre, troisième jeudi du mois, les cavistes parisiens s’attendent à ce que certains clients achètent un de ces nouveaux Beaujolais pleins de promesses plutôt qu’un Beaujolais Nouveau.

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