Tom-Tom et Nana sont en deuil. Leur illustratrice, Bernadette Després, est décédée à l’âge de 83 ans. Nous l’avons rencontrée en 2018 dans sa maison du Loiret, joyeusement hantée par ses petits héros, madeleine de générations d’enfants.
Par Julia Vergely, François-Xavier Richard
Publié le 20 novembre 2024 à 12h26
A Givraines ce jour-là, il pleuvait à torrents. On abrite tant bien que mal, lorsque Spider-Man arrive sous un parapluie, une petite femme enveloppée dans un grand gilet et coiffée d’une paire de fleurs et de crocs de coccinelle. “Vous arrivez à l’heure !” » Celle qui nous amène dans ce village du Loiret par ce temps rigoureux et qui nous accueille avec un sourire sincère est Bernadette Després. Son nom n’est pas aussi connu que les prénoms des personnages qu’elle a illustrés. Et pourtant ! Son œuvre est la madeleine de générations entières. Si on vous raconte Gino Marto, Madame Poipoi, Monsieur Henri, Mélanie Lano, Rémi Lepoivre, Adrien, Yvonne, Marie-Lou…
Tout ce petit monde, ce sont ceux qui s’affairent à La Bonne Fourchette, sous le regard malicieux de Tom-Tom et Nana, personnages éponymes de la bande dessinée de dix pages, présentée chaque mois à la fin du j’aime lire (Bayard Presse) depuis 1977. Depuis quarante et un ans, Bernadette Després dessine inlassablement les aventures de la famille Dubouchon et sans avoir perdu un peu de plaisir.
« Quarante et un ans ! Vous réalisez ! » L’illustre illustratrice traverse son jardin et nous emmène dans son atelier. A 77 ans, celui qui sera honoré d’une exposition
Cela déborde d’un joyeux bordel entièrement dédié à ces personnages aux traits atones et frémissants, qui ont toujours les genoux rentrés. Bernadette Després fait volontiers le tour de ses souvenirs, nous montrant tout ce qui lui arrive, avec une joyeuse sincérité. Elle a les intonations de l’enfance dans la voix et un sourire presque permanent. Et il semble que nous n’ayons encore rien vu. De l’autre côté de la rue, la deuxième maison de Bernadette – une annexe pour ses nombreux petits-enfants – est comme un musée : Tom-Tom et Nana du sol au plafond, sur presque tous les murs, même sur une balustrade en fer forgé. Dans les tiroirs de la grande bibliothèque, une impressionnante collection de livres jeunesse en tout genre, classés par thème dans de grands tiroirs.
” Il n’y a plus d’histoire de Tom-Tom et Nana à illustrer depuis Jacqueline Cohen et Evelyne Reberg [les scénaristes, ndlr] arrêté d’écrire à ce sujet. Ma relation avec eux continue donc d’exister à travers les écoles primaires. J’aime travailler avec les classes et leur demander d’écrire des histoires que j’illustre. Aux derniers élèves, j’ai envoyé une illustration avec Tom-Tom, Nana et Rémi Lepoivre qui jouent les détectives. » Bernadette Després a une gentillesse et un amour fou pour ces personnages qu’elle a créés avec Jacqueline Cohen pour le tout premier numéro de j’aime lire en 1977, à la demande de Bayard Presse, et qu’elle ne veut plus quitter. Celui qui a fait une école d’art à Paris (“mais pas les Beaux-Arts ! Une école mixte, quelle horreur ! Mon père n’en a jamais voulu”) s’est inspirée de ce qu’elle avait sous les yeux : « Adrien Dubouchon a le nez de mon père, Nana a un visage rond comme ma fille, tout était en moi… Et comme je trouvais qu’il n’y avait rien de plus ennuyeux que de faire les décors, je suis parti dessiner un restaurant à Pithiviers, pas loin d’ici, pour imaginer A La Bonne Fourchette. J’ai a été aussi très marqué par Bécassine ou Tintin, où l’on retrouve de très bons personnages comiques. »
Parfois, quand je rencontre des parents trop stricts, boum, je leur remets les albums entre les mains…
Bernadette Després s’est immédiatement tournée vers les jeunes. Elle porte en elle toute la bonhomie de ses personnages et éclate de rires féroces lorsqu’il s’agit de se remémorer les aventures de son Tom-Tom et de sa Nana. «C’est absurde, mais ce n’est jamais méchant. Ils causent des ennuis, des chamailleries, mais c’est de la folie créative ! Nous voulions faire rire les enfants, et pour cela, il fallait aller trop loin. Parfois, quand je rencontre des parents trop stricts, boum, je leur mets les albums entre les mains, pour qu’ils apprennent à prendre la vie plus gaiement et moins au sérieux. »
On sent dans chaque phrase la vie légère de Bernadette Després, quand elle nous interrompt pour nous dire que vraiment (” Vraiment ! “) elle a tout de suite cru à cette bande dessinée et à sa manière douce de se moquer des adultes, et peut-être à l’éducation trop stricte qu’elle recevait. « Beaucoup de parents pensaient qu’une bande dessinée ne pouvait pas être sérieuse, mais si c’est quelque chose qui divertit les enfants, qu’ils liront et reliront… Les professeurs de CP m’ont dit qu’ils avaient appris à lire à leurs élèves avec nos histoires. » Elle trouve merveilleux, cette petite femme joviale, d’avoir fait lire des générations d’enfants.
Lorsqu’on lui demande si elle a une aventure préférée, elle écarquille les yeux et nous répond : «J’aime beaucoup ceux avec tante Roberte. Quel personnage ! Tout le monde pense qu’elle est juste stricte, mais elle est pleine de fantaisie. Pour moi, tante Roberte, c’est la Castafiore. C’est une artiste, elle énerve tout le monde, mais c’est génial ! » Et elle ajoute avec un rire timide : « Les enfants me demandaient « Êtes-vous tante Roberte ? Oh, je pense qu’elle doit être un peu moi oui… » Ça tombe bien, elle a toujours été notre préférée.
Ce rapport a été initialement publié en juin 2018.
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