La décision était attendue depuis des semaines, voire des mois. Ce dimanche 17 novembre, les États-Unis ont autorisé l’armée ukrainienne à utiliser ses missiles à longue portée pour frapper en profondeur le sol russe. Cette décision aura d’abord un impact militaire : en compliquant la logistique russe et en ciblant certaines installations critiques, les frappes menées avec ces armes soulageront un front ukrainien qui en a cruellement besoin.
Mais cela a aussi une dimension politique importante, en renforçant l’Ukraine au moment où d’éventuelles négociations futures se dessinent. Cependant, pour que la situation de Kiev soit moins précaire qu’elle ne l’est actuellement, elle devra acquérir d’autres actifs. Comment ? Et avec quelles chances de succès ? Aperçu des principales possibilités.
Faire une nouvelle incursion sur le territoire russe ? Efficace mais compliqué
Une première option pourrait consister à répéter ailleurs une offensive comme celle menée dans l’oblast russe de Koursk. Une telle manœuvre permettrait à Kiev de prendre le contrôle d’une autre partie du territoire russe, et éventuellement de l’utiliser comme monnaie d’échange pour récupérer une partie de son propre territoire.
Bien que séduisante, l’option semble difficile à mettre en œuvre. “Une opération offensive comme l’Opération Triangle (le nom de l’offensive dans la région de Koursk), je n’y crois pas vraiment”explique Stéphane Audrand, consultant international en risques. Et pour cause : «Je n’ai pas l’impression que l’armée ukrainienne dispose de nombreuses réserves mobiles.»
Par ailleurs, le colonel et historien Michel Goya note que «Le long de la frontière russe, la marge de manœuvre est un peu plus étroite. » Autrement dit : les zones où les Ukrainiens pourraient lancer une offensive sont rares. Même si « passages frontaliers localisés » sont possibles, notamment dans le secteur de Belgorod, une offensive de grande ampleur semble donc compliquée à y organiser, d’autant que les Russes sont plus en alerte qu’en août dernier.
Lancer une nouvelle phase de mobilisation ? Imaginable mais pas très convaincant
Sur le papier, Kiev peut aussi lancer une nouvelle phase de mobilisation, afin de former de nouvelles brigades et espérer reprendre l’initiative, sur le territoire russe ou sur le sol national. Mais là encore, en réalité, cette option est compliquée à envisager.
Depuis le début du conflit, les autorités ukrainiennes veillent en effet à ne pas mettre trop de pression sur sa jeunesse (les moins de 25 ans ne peuvent pas être mobilisées), afin de ne pas fragiliser une pyramide des âges déjà creuse pour ces tranches d’âge. S’ils veulent tout faire pour optimiser leur recrutement dans le cadre actuel, les Ukrainiens ne devraient donc pas en reconsidérer les contours. D’autant que l’hypothèse d’un arrêt imminent des combats rendrait cette mobilisation encore plus impopulaire qu’elle ne l’est.
Poursuivre les efforts en mer Noire ? Intéressant mais déjà vu
Cette nécessité de mener leur guerre à moyens constants pourrait pousser les Ukrainiens à capitaliser sur ce qui a fonctionné dans le passé. Frappez par exemple en mer Noire, où la flotte russe est déjà largement en déclin. “Ils peuvent le frapper” confirme Michel Goya. Et ceux-ci seront d’autant plus faciles à transporter s’ils peuvent être transportés à l’aide de missiles américains à longue portée.
Néanmoins, «Ils ont peut-être épuisé leurs stocks de cibles dans la région»note Michel Goya. « Le gel tactique de la mer Noire est réalisé »poursuit le général Olivier Kempf, chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique. La marine russe a en effet quitté ses bases de Crimée et les exportations de blé via le port d’Odessa ne sont plus menacées. Sur le plan purement maritime, l’Ukraine n’a donc plus de cartes à jouer.
Continuer à frapper la Russie en profondeur ? Utile et simple à mettre en œuvre
Une autre façon de capitaliser sur ce qui fonctionne : frapper en profondeur les infrastructures russes. L’autorisation de mener ces frappes avec du matériel américain, validée par l’administration Biden le 17 novembre, va dans ce sens. Le plan de résilience présenté ce 19 novembre au parlement ukrainien par Volodymyr Zelenksy poursuit également cet objectif. “Volodymyr Zelensky a parlé de développer 3 000 missiles de croisière et 30 000 drones d’attaque à longue portée en 2025”rapporte Ulrich Bounat.
Le chercheur d’Open Diplomacy ajoute que ces actions en profondeur peuvent également se dérouler à travers “tu sabotes”. “Nous savons qu’il y a des agents ukrainiens en Russie et nous pouvons aussi imaginer des actions sur les pipelines qui relient la Russie à la Chine, par exemple.”
Tenir dans l’oblast de Koursk ? Précieux mais difficile
L’armée ukrainienne devra également tout faire pour préserver l’avantage constitué par la poche formée dans l’oblast de Koursk, autour de la ville de Soudja. Détenir ces quelques centaines de kilomètres carrés sur le territoire russe “est une priorité”, confirme Michel Goya.
“Même si la poche est réduite”, voir une partie du territoire russe occupée par l’Ukraine est “Encore un peu gênant pour Poutine sur le plan symbolique”, explique Stéphane Audrand. Au-delà du symbole, la monnaie d’échange territoriale qui constitue cette poche aura d’autant plus de valeur qu’elle sera grande.
Attaquer la Transnistrie ? Facile mais improbable
En observant les cartes de la région, les observateurs imaginent aussi une autre option : une attaque contre les troupes russes stationnées en Transnistrie, cette région moldave qui borde l’Ukraine mais occupée par le Kremlin.
Sur le plan purement militaire, Michel Goya estime que l’opération se terminerait par une victoire « relativement facile, car les troupes russes sont faibles dans le secteur » . « La position des troupes russes locales est absurde » confirme même Olivier Kempf.
Cette carte reste cependant difficile à vaincre. “Les Ukrainiens ne peuvent pas jouer seuls” résume Olivier Kempf. Pour cela, ils auraient évidemment besoin de l’accord de la Moldavie, assez improbable compte tenu du contexte politique local, mais aussi de celui de l’Occident, qui verrait probablement d’un mauvais oeil cet élargissement du conflit.
Convaincre Donald Trump de maintenir l’aide américaine ? A essayer mais pas sûr
Avant d’entamer des négociations, l’Ukraine devra également s’efforcer de maintenir un haut niveau de soutien de la part de l’Occident, et notamment des Américains. Offrir suffisamment de garanties à Donald Trump pour qu’il maintienne un niveau d’aide élevé peut donc s’avérer important. Et cela semble presque possible. « Donald Trump est quelqu’un d’extrêmement transactionnel dans les relations internationales »rappelle Ulrich Bounat, chercheur associé à Open Diplomacy. Autrement dit : s’il reçoit, il peut donner, même si chaque aide devra probablement être négociée. Et il ne faut pas non plus oublier que fermer le robinet est également possible à moyen terme.
Stéphane Audrand ajoute que les Ukrainiens doivent aussi montrer la voie « manœuvres diplomatiques » assurer le maintien du soutien européen, qui n’apparaît plus évident dans certains pays, notamment en Allemagne.
Conserver les postes actuels ? Le minimum vital
Et évidemment, les Ukrainiens devront aussi tenir le coup sur le reste du front, si possible en infligeant des pertes importantes aux troupes du Kremlin. « Leur stratégie est de retenir et d’épuiser les Russes autant que possible »résume Michel Goya.
Utilisez les Russes pour leur dire que chaque avancée ne se fera qu’au prix de lourdes pertes, en espérant que le niveau de celles-ci mettra Vladimir Poutine en difficulté. Et tenez bon car les futures négociations se feront avec la ligne de front actuelle comme référence. Une ligne que les Ukrainiens devront donc préserver au maximum.
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