« La Troisième vie », de Fabrice Arfi, Seuil, 256 p., 20 €, numérique 15 €.
Des fantômes naissent-ils dans une ville grise de Roumanie où les espions apprenaient autrefois l’art et le mode de vie de l’Occident avant de s’infiltrer dans le « monde libre » ? En 1969, lorsqu’un designer industriel roumain nommé Vincenzo Benedetto arrive avec son épouse dans la région lyonnaise, c’est, officiellement, pour rejoindre sa famille d’origine italienne qu’il ne connaît pas. Son visa obtenu, après bien des difficultés, dans un pays gouverné d’une main de fer par le méchant couple Ceausescu, il ne quitte plus la France, où il mène une existence paisible. Mais, onze ans plus tard, cinq policiers du contre-espionnage français frappent à sa porte, persuadés que le discret M. Benedetto est un agent des services secrets roumains, un « fantôme » infiltré. Incarcéré quelques mois, puis libéré sur l’intervention de Maurice Faure, éphémère garde des Sceaux du premier gouvernement de François Mitterrand, nouvellement élu président de la République, en mai 1981, cet homme énigmatique ne fera plus jamais parler de lui. .
Quinze ans, entre deux enquêtes sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy ou l’affaire Bettencourt, le journaliste Fabrice Arfi, pilier du site d’information Mediaparttentera de reconstituer le fil de l’existence de Benedetto. Un fil inévitablement rouge, noué autour de cette question : est-il possible que l’ancien ministre socialiste de la Défense Charles Hernu, reconnu coupable d’espionnage au profit du bloc de l’Est jusqu’en 1963, ait poursuivi ses activités occultes bien plus longtemps ? Et si Benedetto avait été son officier traitant ?
Un passé en nuances de gris
Pour aller au fond des choses, le journaliste “des cahiers entiers noircis (…)visité des centres d’archives à Paris, Vincennes, Lyon, Villeurbanne, voyage en Roumanie ». Internet ne sert à rien dans cette quête où les indices doivent être déchiffrés entre les lignes des « blancs », ces notes anonymes établies par les services de renseignement. Les feuilles de papier pulp enfouies dans des cartons d’archives poussiéreux révèlent un passé en camaïeux de gris, peuplé de silhouettes en vestes à larges revers, les yeux mi-clos derrière des lunettes en écaille. Nous y rencontrons l’ancien ministre Charles Fiterman et le transfuge roumain de haut rang Ion Mihai Pacepa, les espions de la Securitate trafiquant du foie gras et les dirigeants socialistes potelés reniflant sous la ligne de flottaison du « les eaux noires de la raison d’État ».
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