Océanographe de renom, auteur du livre Au nom des requins publié en 2022 aux éditions Actes Sud, François Sarano, ancien compagnon de route du commandant Cousteau, dont il fut chef d’expédition à bord du Calypsoest l’un des tout premiers hommes à avoir plongé avec de grands requins blancs.
« Sans cage, car la rencontre avec ces êtres vivants ne peut se faire que dans le respect des autres »déclare-t-il. Alors qu’un spécimen de cette espèce injustement redoutée vient d’être observé à quelques encablures de Porquerolles, le scientifique, fondateur de l’association Longitude 181, répond avec passion à nos questions et tente de réconcilier l’homme et les requins.
Etes-vous surpris par l’observation d’un grand requin blanc le long des côtes varoises ?
Absolument pas. Ce qui me surprend le plus, c’est le battage médiatique autour de ce constat. Bientôt, nous aurons la surprise de voir des oiseaux dans le ciel. La présence d’un grand requin blanc, en l’occurrence une femelle ayant très probablement atteint la maturité sexuelle, fait plaisir, mais il ne faut pas en faire grand cas. Il faut savoir qu’au milieu du XXème siècle, la population de grands requins blancs était très importante en Méditerranée. Le plus gros spécimen empaillé, et exposé dans un musée en Suisse, a en réalité été capturé dans les années 1950 au large de Sète.
Ce type de « rencontre », pour le moins éphémère, reste néanmoins très rare. Comment l’expliquer ?
Chaque année, la présence de requins blancs est signalée en Espagne, en Italie, au Maroc ou encore en Tunisie… Mais selon l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’espèce est désormais en danger critique d’extinction en Méditerranée. Il est principalement victime de la pêche, qu’elle soit ciblée ou accidentelle. C’est notamment le cas dans le golfe de Gabès en Tunisie, considéré comme une zone de reproduction des grands requins blancs en Méditerranée. Les femelles gravides sont régulièrement capturées dans des filets ou sur des hameçons. Mais même lorsqu’ils sont encore en vie, nous les tuons au lieu de les relâcher. À cause du a prioride la peur qu’inspirent ces requins.
Le grand requin blanc a une particulièrement mauvaise réputation. Doit-on le craindre ?
La peur des requins, qui remonte au début du XXe siècle et à une série de cinq accidents consécutifs le long de la côte nord-est des États-Unis, dont un seul requin bouledogue était probablement responsable, est totalement injustifiée. Sur les centaines de millions de personnes qui nagent chaque année dans le monde, le nombre d’accidents impliquant des requins – toutes espèces confondues – est inférieur à une centaine ! Et si l’on considère uniquement les grands requins blancs, on revient à moins de dix accidents par an. C’est anecdotique. Statistiquement, l’équitation est bien plus dangereuse et pourtant on n’en entend pas parler.
Alors pas de soucis de voir de grands requins blancs nager près des îles d’Hyères, une zone très touristique ?
L’île de Djerba, également destination très touristique, est située dans le golfe de Gabès dont j’ai parlé précédemment et nous n’avons signalé aucun accident lié aux grands requins blancs qui s’y reproduisent. Je le répète : il ne faut pas craindre cette espèce. Mais il ne faut pas être idiot et sauter dessus dès que vous en voyez un depuis votre bateau. Nager avec les requins, dont les grands requins blancs, apporte la paix. C’est une expérience incroyable à condition de nager à leurs côtés de manière respectueuse, avec respect et considération comme on le ferait avec tout autre être vivant.
Le sanctuaire Pelagos où a eu lieu l’observation peut-il expliquer la présence du grand requin blanc ?
Il est vrai que le sanctuaire Pelagos possède une faune marine très riche, notamment des cétacés et des thons, mais je ne ferais pas de lien entre cette richesse et la présence d’un grand requin blanc. Maintenant tant mieux si l’on observe les grands requins blancs, et plus particulièrement dans le Parc National de Port-Cros dont les écosystèmes absolument magnifiques nous montrent la Méditerranée de demain, celle que j’aimerais offrir à mes enfants. « Homo sapiens », les hommes sages et raisonnables que nous sommes censés être, doivent tenter de comprendre les besoins du grand requin blanc et lui donner sa place.
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