Pour l’instant nous n’avons que des tendances fortes mais tout porte à croire que le PASTEF se dirige vers une large victoire et une majorité absolue. Vous attendiez-vous à un tel écart ?
N’oubliez pas que nous n’avons pas encore les résultats officiels mais que les principaux candidats de l’opposition ont reconnu la victoire du PASTEF. Il faut saluer cette posture républicaine. Durant la campagne électorale, nous avons malheureusement vécu des séquences marquées par des violences et des propos déplacés. Il est heureux de constater que les populations font encore preuve de maturité et ont voté dans le calme et la sérénité.
Si la tendance se poursuit, le PASTEF devrait disposer d’une majorité confortable. C’est une tradition au Sénégal. Lorsqu’un nouveau président est élu, les populations lui donnent la majorité pour mener à bien son programme. Il n’est donc pas surprenant de voir les tendances actuelles et une future grande victoire pour PASTEF. Ce scénario était même attendu si l’on regardait les résultats de l’élection présidentielle et les écarts de vote. Les premiers résultats indiquent le contrôle du PASTEF sur les régions de Dakar, Thiès et Diourbel, qui constituent les bastions les plus importants en termes de voix. Les résultats annoncés à Mbacké sont édifiants et s’inscrivent dans la dynamique de la présidentielle du 24 mars 2024.
« Beaucoup dans l’opposition ont opté pour des « tirs de groupe » sur Ousmane Sonko et la dernière semaine a finalement été marquée par des actes de violence et des déclarations malheureuses des deux côtés »
Selon vous, qu’est-ce qui explique cette large victoire du PASTEF : la force et l’aura d’Ousmane Sonko ou le désaveu d’une opposition composée de personnalités politiques qui incarnent quelque peu la vieille garde ?
Il y a probablement un peu de tout ça. Mais il y a surtout cette volonté d’accorder une majorité au nouveau président de la République pour déployer son programme et engager les réformes et les changements promis pendant la campagne. Le Président de la République Faye et le Premier Ministre ont lancé le nouveau cadre de politique publique « Sénégal 2050 : Agenda National de Transformation ». Ousmane Sonko a fait campagne sur la base de ce document dans les différentes zones du Sénégal, exposant ce que le gouvernement prévoyait dans chaque pôle dans de nombreux domaines.
L’ordre du jour est découpé en phases d’exécution et cela a sans aucun doute retenu l’attention des électeurs. Il me semble que l’opposition devait tracer les contours d’un véritable débat de fond sur ce nouveau programme qui remplace le Plan Sénégal émergent. Nous n’avons pas vraiment eu l’occasion d’avoir des débats de fond et de voir les doléances de l’opposition par rapport à ce nouveau programme. Que pense-t-elle des orientations et de la vision économiques ? Que pense-t-elle des 4 moteurs de croissance qui doivent être le pilier de cette économie dite « compétitive » annoncée par le PASTEF ?
« Une certaine classe politique présente depuis 30 ans est en train de s’effacer au profit d’une nouvelle »
Beaucoup ont opté pour des « tirs de groupe » sur Ousmane Sonko et la dernière semaine a finalement été marquée par des actes de violence et des déclarations malheureuses des deux côtés. Si les tendances se confirment dans les prochaines heures d’une large victoire du PASTEF, il y a aussi ce signal qui est lancé pour avoir un débat sur les préoccupations des Sénégalais, à savoir l’économie, le pouvoir d’achat, l’éducation, la santé ou encore la question cruciale de l’emploi des jeunes. Il est certain qu’il est difficile de tenir des débats de fond avec 41 têtes de liste. L’absence de système de parrainage explique cette pléthore de candidatures. Dans cette élection, on a parlé d’un « bloc générationnel », il me semble que cette nouvelle génération doit se saisir de ces questions, être dans la proposition et apporter la contradiction au gouvernement sur ces sujets essentiels. Nous allons évidemment avoir une nouvelle configuration politique déjà initiée par les résultats de l’élection présidentielle. Une certaine classe politique présente depuis 30 ans est en train de disparaître au profit d’une nouvelle. Il sera intéressant de connaître le score final de la coalition de l’ancien président Macky Sall et celui de l’ancien Premier ministre Amadou Ba.
« Le choix de l’ancien président Macky Sall comme tête de liste est très surprenant »
Le président Macky Sall, même s’il n’est pas venu faire campagne, s’est investi dans ce scrutin en étant tête de liste de la coalition Takku Wallu Sénégal. Après ce revers, son avenir politique est-il compromis ?
Le choix de l’ancien président Macky Sall comme tête de liste est très surprenant. Il a annoncé qu’il allait se consacrer à une carrière internationale et aux questions liées au changement climatique. Il est revenu au bout de six mois pour diriger sa coalition. Cela pose une question plus générale sur le fonctionnement de nos partis politiques, le fondateur étant toujours « condamné » à jouer les premiers rôles quoi qu’il arrive. Ce parti a dirigé le Sénégal pendant 12 ans et après la défaite du 24 mars 2024, le président Sall revient à la tête de la coalition.
Cela pose la question du renouvellement des instances, des dirigeants et plus généralement de la démocratie interne. Après la défaite, d’anciens ministres et directeurs d’agences ont quitté le navire. Certains ont rejoint Amadou Bâ dans sa mouvance politique. Plus bruyants, certaines anciennes figures de l’APR et de l’ancienne coalition présidentielle ont décidé de soutenir le PASTEF, que certains qualifient de « transhumance ». Par ailleurs, le PASTEF a toujours critiqué cette posture et des interrogations légitimes ont été formulées quant à ce soutien tous azimuts, notamment de la part d’anciennes figures de l’APR.
Pour en revenir à Macky Sall qui a mené la campagne du Takku Wallu depuis sa résidence au Maroc, il faudra voir le nombre de sièges qu’il a obtenu lors de ce scrutin. Il semble conserver certains bastions dans le nord du pays mais il semble aussi qu’il ait connu de sérieux revers dans son fief de Fatick selon les premiers résultats. Tout cela aura des conséquences sur son avenir politique. Si le nombre de sièges obtenus est très faible, il faudra voir comment le parti se relèvera de ce revers. Certains imaginent Macky Sall candidat à l’élection présidentielle de 2029, il aura 67 ans. Le premier élément d’attention sera le résultat de sa coalition lors de ce scrutin législatif.
« Le Président Faye et le Premier Ministre Sonko avec tous les espoirs suscités n’ont qu’une seule alternative : prendre en charge les préoccupations des Sénégalais et opérer les changements appropriés »
Le PASTEF a désormais les coudées franches après cette victoire éclatante qui intervient après la large victoire de Diomaye Faye en mars. Cependant, durant les premiers mois du pouvoir, on a ressenti quelques couacs illustrés notamment par l’affaire Samba Ndiaye. Peut-on dire que pour ce parti le véritable défi réside en termes de cohésion interne et d’entente entre le Premier ministre et le Président ?
Vous savez ce qui intéresse les Sénégalais et c’est sans doute une des leçons de cette élection, ce sont les ruptures et les changements annoncés dans la gouvernance, dans l’économie, dans la justice et même dans le pouvoir d’achat. Si les résultats d’une large victoire se confirment pour le PASTEF, ils auront désormais carte blanche pour mettre en œuvre le « fameux projet ». J’allais dire que les choses sérieuses commencent avec cette future majorité à l’Assemblée. Les Sénégalais ont donné la majorité à l’exécutif pour déployer le programme. D’une certaine manière, le Président Faye et le Premier Ministre Sonko avec tous les espoirs suscités n’ont qu’une seule alternative pour répondre aux préoccupations des Sénégalais et opérer les changements appropriés. Ils ont souvent indiqué que le projet de transformation du pays qu’ils portent les dépasse. Avec cette large majorité qui se dégage à l’Assemblée, il est temps de travailler, d’agir et de procéder aux changements annoncés.
Après ce succès qui porte indéniablement la marque d’Ousmane Sonko, quel rôle le voyez-vous jouer : le Premier ministre ou l’Assemblée ?
Les deux institutions n’ont pas la même fonction. Depuis plusieurs mois, Ousmane Sonko est Premier ministre, il coordonne l’action gouvernementale. Il a lancé le nouveau cadre des politiques publiques, tout en restant à la présidence du gouvernement, il sera le maître d’oeuvre de ce programme et de ses différentes déclinaisons. Il saura impulser la dynamique des réformes et veiller à ce que les résultats soient au rendez-vous dans un contexte d’attentes élevées. S’il devait être président de l’Assemblée nationale, sa fonction principale serait de contrôler l’action du gouvernement. Tous les scénarios sont possibles mais sa posture de ces derniers mois peut laisser penser qu’il restera Premier ministre et continuera à diriger le gouvernement et l’administration pour assurer la bonne exécution du programme présidentiel. Vous savez, cinq ans c’est la durée du mandat présidentiel, ça passe vite et il faut des résultats concrets dans les années à venir dans un pays où tout semble urgent.
Entretien réalisé par Adama NDIAYE
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