Au moment des faits, il avait 14 ans, aujourd’hui il en a 18. A-t-il mûri, pris du recul sur ce qui s’est passé ? Comment considère-t-il son implication dans cet acte terroriste ? A la barre, Karim (1) a d’abord exprimé ses regrets ce lundi 18 novembre devant la cour d’assises spéciale de Paris. « Je ne vais pas vous mentir. J’ai commis une erreur alors que j’aurais pu l’arrêter. Je suis vraiment désolé et je m’excuse auprès de la famille du professeur. » confie aussitôt ce grand jeune homme aux cheveux longs et bouclés. UN ” erreur “ avec de terribles conséquences : le 16 octobre 2020, devant le collège du Bois-d’Aulne à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines), Karim a accepté l’argent proposé par Abdoullakh Anzorov pour nommer, avec plusieurs de ses camarades, Samuel Paty, qu’il décapitera quelques minutes plus tard.
Karim témoigne dans ce procès en tant que témoin. Comme cinq autres collégiens, il a été jugé en décembre dernier, à huis clos, par le tribunal pour enfants de Paris. C’est lui qui, en raison de son rôle de leader dans cette affaire, a écopé de la peine la plus lourde : deux ans de prison, dont six mois passés sous bracelet électronique. Aujourd’hui, Karim fait toujours l’objet d’un suivi socio-judiciaire et n’a pas d’emploi, comme il l’explique au président Franck Zientara.
Complicité monétisée
Très vite, le jeune homme raconte comment, le 16 octobre, il a été abordé à proximité de l’école par un inconnu vêtu tout de noir. « Ce monsieur m’a proposé de l’argent en échange de lui montrer le professeur. J’ai accepté. Je suis ensuite retourné devant le collège pour voir quelques-uns de mes collègues. Je leur ai expliqué et nous sommes allés voir monsieur. Ensuite, nous lui avons dit que le professeur était là et puis… ce drame est arrivé », dit Karim, ajoutant que l’homme était ” normale “ et j’ai parlé avec ” calme “. Tout en tenant des propos clairement hostiles à Samuel Paty. « Il avait de la haine contre lui à cause des caricatures qu’il avait montrées. »
Voici donc l’histoire, aussi simple que tragique : c’est contre la promesse de 350 € que cet élève de quatrième a accepté la proposition de cet inconnu, évidemment sans hésitation. “Je n’y ai pas du tout pensé” » avoue Karim en racontant ce moment où l’homme a sorti une liasse de billets de 10 euros. “Je n’étais concentré que sur l’argent” répète le témoin en précisant que l’homme lui a proposé un deal en deux temps : la moitié d’emblée, l’autre moitié une fois Samuel Paty nommé. C’est donc avec une première poignée de billets en poche que Karim est allé retrouver plusieurs de ses camarades pour leur demander de le rejoindre dans l’opération. «J’avais beaucoup d’argent. Je me vantais. » Parmi les étudiants approchés, plusieurs ont refusé, mais quatre ont suivi Karim pour rejoindre l’homme en noir.
“On pensait tous qu’il allait le frapper, le filmer et l’humilier”
Qu’a dit le terroriste à ces étudiants ? Que savaient-ils exactement de ses intentions ? “Au début, il m’a dit qu’il voulait juste le filmer” répond-il, ajoutant que l’homme voulait que le professeur demande pardon et s’excuse. Puis Karim concède avoir compris qu’il allait s’en prendre physiquement à Samuel Paty. « En CM2, on filmait les gens quand il y avait des bagarres. On s’est dit que ça allait être comme ça, mais on était petits”dit le jeune homme. “On pensait tous qu’il allait le frapper, le filmer et l’humilier”ajoute-t-il.
Dans la foulée, Karim assure qu’à aucun moment il n’a vu que l’homme avait un couteau dans sa poche. “Si je l’avais vu, je serais allé voir le surveillant”dit-il. Pensait-il, ne serait-ce qu’un instant, que cet homme pourrait aller jusqu’à tuer le professeur ? “Jamais, jamais, jamais” répond le témoin, à qui on fait remarquer que certaines personnes en France ont été assassinées pour avoir dessiné des caricatures. N’aurait-il pas dû être plus prudent face à un inconnu visiblement plein de haine contre ce “chien qui a souillé notre religion” ? Karim assure qu’il n’a pas désigné Samuel Paty pour des raisons religieuses ou en réaction à ce qu’il aurait pu qualifier de blasphème. « Pour moi, les caricatures ne sont que des dessins. Ce que je voulais, c’était de l’argent. a déclaré Karim, ajoutant qu’il n’avait aucun grief personnel contre Samuel Paty, comme il l’avait fait lors de ” soutien “.
Le poids de la culpabilité
Comment vit-il tout cela aujourd’hui ? A aucun moment la question n’est posée directement. Mais on sent encore le poids écrasant qu’il porte sur ses épaules lorsque, pressé de questions par un avocat de la défense, Karim finit par s’emporter. « En gros, il voulait juste le filmer. Comment voulais-tu que j’imagine la suite ? C’est sur moi que cette confusion s’abat sur moi. Cela fait quatre ans que je la supporte dans mon dos. » dit le témoin, qui se prend alors la tête entre les mains.
Après lui, un autre jeune homme, âgé de 19 ans, monte à la barre. A l’époque, il avait 15 ans et lui aussi avait désigné Samuel Paty comme terroriste. “Il a dit qu’il voulait se venger, l’humilier et le forcer à s’excuser”, explique-t-il, avouant avoir compris qu’il allait “malmener” et “brutaliser” le professeur. Pourquoi, dans ces conditions, avez-vous aidé l’homme en noir à l’identifier ? “Je n’avais pas vraiment réalisé ce que je faisais.” répond le garçon, condamné l’année dernière à vingt mois de prison avec sursis et aujourd’hui en dernière année de lycée.
(1) Le prénom a été modifié.
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