Plus de 600 parlementaires français, députés, sénateurs ou parlementaires européens, ont affirmé mardi 12 novembre dans un article publié dans Le mondeleur opposition à l’accord commercial entre l’Union européenne et le Mercosur. Ils dénoncent « concurrence déloyale » pour les agriculteurs, en raison de normes moins restrictives en Amérique du Sud, ce qui pourrait entraîner “un risque pour la santé” pour les consommateurs. En revanche, l’UE exporterait ses voitures, ses machines, ses produits pharmaceutiques, et l’Allemagne, l’Espagne et même le Portugal en profiteraient. La France se retrouve isolée et les grands perdants sont les agriculteurs.
La FNSEA et les Jeunes Agriculteurs appellent à se mobiliser à partir du lundi 18 novembre, avec des rassemblements contre l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Mercosur. Cette date marque le début de la réunion du G20 au Brésil. La Confédération paysanne a déjà participé à plusieurs manifestations, dans le quartier européen de Bruxelles ou devant le ministère de l’Économie. Contrairement aux autres syndicats, la Confédération paysanne ne veut d’accord sous aucun prétexte. Sa porte-parole Laurence Marandola, également agricultrice en Ariège, nous explique pourquoi.
franceinfo : A la Confédération paysanne, appelez-vous également les agriculteurs à sortir des champs et des exploitations agricoles pour manifester leur colère ?
Laurence Marandola : Nous sommes historiquement mobilisés contre le Mercosur. La Confédération Paysanne et le démantèlement du McDo à Millau en 1999 devaient déjà pointer les effets absolument toxiques, extrêmement douloureux pour l’agriculture, de ces accords de libre-échange. Et nous avons été mobilisés toute cette semaine, depuis mardi très fortement, en amont du G20.
Hier nous étions à Paris devant le ministère de l’Economie et des Finances à Bercy. Nous étions à Bruxelles avec des collègues syndicalistes de tous les pays européens, pour montrer que les agriculteurs européens sont globalement opposés à cet accord. Et nous sommes sur le terrain avec des actions très symboliques : limousines contre vaches limousines, voitures contre bétail, pour montrer l’absurdité de cet accord de libre-échange.
“En fait, l’Europe veut vendre des voitures, des Rafale, des services et imposer l’importation de produits agricoles, de bœuf, de volaille, de sucre, d’éthanol, à des prix imbattables.”
Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération Paysannesur franceinfo
Si les produits importés sont si peu coûteux, c’est parce que les conditions de production ne sont pas les mêmes, mais qu’ils arrivent sur nos marchés en concurrence directe avec nos produits. En conséquence, cela détruira très directement un grand nombre d’exploitations paysannes sur nos territoires.
Tous les responsables politiques français sont aujourd’hui contre cet accord du Mercosur. Emmanuel Macron s’est exprimé sur le sujet et 600 parlementaires ont écrit à la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Pourquoi une telle protestation contre les politiques français aujourd’hui ? Est-ce parce que les agriculteurs sont justement contre ?
Probablement, mais c’est une position assez ambiguë de la part du président Macron ou de Michel Barnier. Le gouvernement déclare “nous sommes contre cet accord tel qu’il est”. La nuance est extrêmement importante. C’est-à-dire qu’avec des ajustements, cela pourrait arriver, mais il n’y a pas d’ajustement possible pour cet accord de libre-échange. Il s’appuie largement sur les problématiques agricoles.
Et donc c’est mauvais pour toute l’agriculture française ?
C’est mauvais pour certains secteurs. Cet accord permettra d’exporter à des tarifs préférentiels notamment des spiritueux, des produits laitiers et de l’huile d’olive. Donc pour ces secteurs, on pourrait penser que c’est bien. Je tiens à réitérer que les accords de libre-échange existent depuis longtemps. Sur le lait, nous avons le CETA avec le Canada qui n’a pas été ratifié mais qui est opérationnel. L’Europe et la France exportent des produits laitiers. Il y a des entreprises, des multinationales comme Lactalis, qui font des affaires. Mais dans ces cas-là, pas un seul centime n’a servi à améliorer le prix payé aux producteurs laitiers.
N’y a-t-il pas des secteurs qui bénéficieraient de l’efficacité de cet accord de libre-échange ? Vous avez parlé de vins et spiritueux, mais Donald Trump envisage de taxer lourdement les vins français, alors qu’il s’agit d’un très gros marché. Que dites-vous aujourd’hui aux viticulteurs français en grande difficulté ?
On dit que de grands pays comme les États-Unis, comme la Chine, comme le Brésil appliquent des mesures de protection. Pourquoi l’Europe et la France ne se doteraient-elles pas d’outils réglementaires et d’une protection des coûts pour les importations, comme cela va nous arriver pour la viande bovine ? Aujourd’hui, nous devons protéger l’agriculture et notre alimentation.
“Il est absolument essentiel d’échanger, de faire du commerce, mais avec des règles équitables qui protègent les agriculteurs et notre production.”
Laurence Marandola, porte-parole de la Confédération Paysannesur franceinfo
Selon la Commission européenne, cet accord accorde 99 000 tonnes de viande bovine. Cela représente 1,6% de la production européenne. Cela ne change-t-il pas grand-chose alors ?
A ces 99 000 tonnes à droits de douane nuls s’ajoutent les 200 000 tonnes à droits de douane très réduits. Concernant la viande bovine, avec tous les accords de libre-échange actuels et futurs, on arrivera à environ 7% de viande importée – avec des conditions extrêmement préférentielles -. C’est plus que suffisant pour déstabiliser le marché européen, pour déstabiliser le prix de la viande bovine.
Alors, comme le dit le gouvernement, on ne devrait pas signer cet accord de libre-échange tel quel ?
Non, ce que nous avons dit à Michel Barnier, c’est que nous exigeons de la France un refus clair et ferme de l’accord. Indiquer. Les ajustements, ces clauses miroirs pour essayer de réguler un peu les choses, ne sont pas possibles. Nous en avons déjà construit et ils ne sont pas appliqués. Par exemple, la question de la déforestation importée concerne le bœuf, car dans les pays d’Amérique du Sud, elle se fait sur de vieilles forêts qui ont été rasées, brûlées, sur lesquelles on va mettre du soja ou des animaux. L’Europe a adopté un mécanisme pour dire qu’elle ne veut pas de déforestation importée. Mais nous venons de convenir de reporter d’un an cette réglementation. Donc ça ne marche pas. D’autres clauses miroir parlaient d’élevages en Amérique du Sud, traités avec des hormones et des antibiotiques interdits en Europe. Nous venons d’avoir un rapport qui montre que nous importons massivement de la volaille aux antibiotiques et de la viande de bœuf traitée aux hormones. Nous sommes incapables de tracer et de contrôler ces mécanismes.
Vous ne voulez pas du tout d’accord, est-ce que cela vous différencie des Jeunes Agriculteurs, de la FNSEA et de la Coordination rurale ?
Oui, nous demandons au gouvernement Barnier de s’exprimer très clairement à ce sujet et de mettre en place tous les mécanismes possibles pour empêcher la signature de cet accord. Quand je dis cela, je dis aussi que nous sommes favorables au commerce, mais à d’autres règles plus justes, qui protègent les agriculteurs d’ici, à l’autre bout du monde et dans tous les secteurs.
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