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“J’ai peur de sortir seul de la maison, j’en suis venu à me méfier de mes élèves”

EElle hésita longtemps mais se décida finalement à parler. Sous couvert d’anonymat. L’enseignante du lycée Jean-Monnet de Libourne, qui a reçu mardi 12 novembre une nouvelle lettre de menace de mort sous le seuil de sa classe, raconte. « Il était 13 heures, je retournais en classe. Mes élèves attendaient à l’extérieur de la salle. Quand j’ai mis la clé dans la serrure, j’ai baissé les yeux et c’est là que j’ai vu le message. » Cette fois, pas de propos racistes. Juste trois mots laconiques : « À mort… », suivi de son nom de famille.

Il s’agit de la troisième missive, après une première découverte en décembre 2023 et une deuxième en septembre de cette année. « J’ai du mal à dormir, j’ai peur de sortir seule de la maison. Même lorsque je viens au travail, j’ai pris l’habitude de chercher partout. J’en suis venu à me méfier de mes étudiants. Je développe une sorte de paranoïa. » Ses mains tremblent mais sa volonté d’être là reste, jusqu’à présent, inébranlable. « Je continue à venir parce que je ne veux pas abandonner mes élèves qui n’ont rien demandé. » Alors elle repart, malgré l’anxiété. « Là, la troisième lettre, ça devient compliqué », confie-t-elle.

“Je ne discute pas avec les étudiants, je reste rarement ensemble, je ne crie pas, je parle calmement et je suis assez respecté”

Un professeur attentionné

En dix-huit années d’enseignement, c’est la première fois qu’elle est confrontée à une telle situation. Même si elle se demande qui et pourquoi, aucune réponse ni aucun soupçon ne lui viennent. « C’est peut-être un farceur qui ne veut pas aller en cours ou à cause d’une mauvaise note. Sinon, je ne vois pas. Je ne discute pas avec les étudiants, je reste rarement ensemble, je ne crie pas, je parle calmement et je suis assez respecté. Je suis très empathique envers eux, je prends en compte leurs difficultés familiales ou autres. Je suis une enseignante attentionnée qui aime son travail. » Une enseignante investie bien au-delà de sa mission, qui n’hésitait jamais à prendre sa voiture pour emmener un élève à un examen. Elle reçoit également de nombreux messages et soutiens de la part des lycéens. Une façon pour elle de tenir le coup, même si son anxiété ne cesse de croître à chaque nouvelle découverte.

Une inquiétude renforcée par un contexte plus global : celui du procès de l’assassinat de Samuel Paty qui s’est ouvert lundi 4 novembre devant la cour d’assises spécialement composée au palais de justice de Paris. « Lui aussi avait reçu des lettres de menaces de mort. Il y a eu aussi le décès d’un enseignant à Saint-Jean-de-Luz [en février 2023, NDLR] et un enseignant agressé à Tours [en juin 2024 par un élève cagoulé et armé d’un extincteur] mais comme il n’est pas mort, on a moins entendu parler de lui… » Une désastreuse liste de faits divers que dresse le professeur, comme un rappel.

Journée « Lycée mort »

Comme ses collègues, elle réclame une présence plus importante et plus longue de l’équipe mobile de sécurité du rectorat, davantage d’encadrants et une caméra devant sa classe. Une décision forcément interne au lycée qui devra aller au conseil d’administration. « Au moins, je n’aurai plus l’angoisse de découvrir une lettre sous ma porte. » Une solution mais pas la panacée car, rappelons-le, la première lettre découverte en décembre 2023, particulièrement violente et abjecte – « Les Arabes au lycée, il faut les tuer. Je vais les saigner comme les cochons de mon grand-père… » – avait été retrouvée alors qu’elle était en classe, par des élèves, au lycée, dans un endroit où elle passait souvent. Il est impossible de savoir si tous ces écrits proviennent de la même personne. Une enquête est en cours et, cette fois, des précautions ont été prises pour ne pas multiplier les empreintes sur le bout de papier.

« Il y a un vrai mal-être. On se sent totalement abandonnés »

Ce jeudi 14 novembre, la grande majorité des enseignants ont décidé d’une journée « lycée mort », en soutien à leur collègue mais aussi pour exprimer un fort sentiment de solitude. « Il y a un vrai mal-être. On se sent totalement abandonné. Pas par notre hiérarchie directe car la proviseure et son équipe sont très présentes, mais surtout, les inspecteurs sont inexistants », estiment plusieurs d’entre eux. Ils gardent le souvenir des jours de salaire qu’ils avaient en moins l’année dernière après avoir fait usage de leur droit de rétractation. « Dans quel secteur recevez-vous des menaces de mort au travail ? » demande un professeur. « Notre mobilisation est aussi une manière de montrer que nous luttons contre le racisme. On a des journées autour du harcèlement scolaire, on devrait en faire une sur le racisme », suggère un collègue. Des plaintes qu’ils ont pu formuler directement auprès de Jérôme Paillette, directeur académique adjoint venu sur place ce jeudi matin. Une plainte a également été déposée.

 
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