C’est une belle héritière qui se fraye un chemin avec talent au cinéma. Jeanne Herry, fille de Miou-Miou et Julien Clerc, peut être fière de son écriture cinématographique. Depuis qu’elle s’est lancée dans la réalisation après quelques années en tant que comédienne, Jeanne Herry n’a jamais quitté les sommets du box-office. « Elle l’adore », « Pupille », « Je verrai toujours vos têtes », ses trois films ont séduit les spectateurs mais aussi les grands acteurs français qui aiment ses scénarios et se ruent pour jouer dans ses films. Que ce soit Laurent Laffite, Gilles Lellouche, Adèle Exarchopoulos, Miou-Miou, Sandrine Kiberlain, Elodie Bouchez…, ils savent tous que de grands rôles les attendent.
Nouveau film, nouveau défi
Dans « Le Royaume » de Julien Colonna (fils de Jean-Jé Colonna, surnommé « le dernier parrain corse »), Jeanne Herry change la donne puisqu’elle signe le scénario à quatre mains sans passer derrière la caméra. Une aventure de partage avec le réalisateur pour un film tourné avec des acteurs méconnus voire non professionnels. Le résultat est une merveille de film se déroulant dans la Corse des années 1990, une période où les mouvements autonomistes étaient très puissants et rivalisés. Pierre-Paul est un chef de gang qui vit caché. La violence fait partie de son quotidien. Lorsque sa fille vient le retrouver, tous deux savent qu’ils n’ont d’autre choix que de vivre intensément. Leur complicité se manifestera par des regards, quelques phrases en apparence banales qui en disent long sur la vérité de leurs sentiments. Pour traduire cette histoire d’amour filial, Jeanne Herry s’est replongée dans ses souvenirs d’adolescence où son père l’emmenait avec lui en tournée.
ELLE. Comment les tâches se sont-elles réparties entre vous et Julien Colonna, le réalisateur du film ?
Jeanne Herry. Il est arrivé avec 300 pages de notes, des idées de scènes et m’a expliqué le contexte politique de la Corse dans les années 90 que je ne connaissais pas. Un grand terrain de jeu dans lequel il fallait faire évoluer les personnages. Etant Corse, il maîtrisait toutes ces données. Moi, par contre, j’avais une nouvelle perspective, en dehors de tout ça. Ensemble, nous sommes devenus constructifs. Ensuite, nous sommes passés par la case Post-its. Il y avait quelque chose partout pour que tout s’emboîte. Chacun a eu son lot de suggestions pour améliorer la matière première et faire fonctionner la structure.
ELLE. Avant d’écrire le scénario, quelle relation entreteniez-vous avec la Corse ?
JH Très anecdotique. Enfant, j’y passais de merveilleuses vacances. J’aime la beauté de l’île, les sensations que l’on peut ressentir dans l’eau, la chaleur, la lumière. En même temps, j’ai toujours senti que ce n’était pas ma culture et que je n’appartenais pas à ce territoire. Je trouve que c’est un endroit où on peut se sentir étranger si on n’y est pas né. Ce côté insulaire, évidemment l’éloignement de l’étranger au sens très large, me dérange un peu. J’aime profondément ce territoire mais je n’y suis pas forcément à l’aise.
ELLE. « Le Royaume » est écrit et tourné du point de vue de la jeune fille…
JH Il s’agit d’une adolescente qui se trouve à un moment charnière de son développement personnel. Comment on passe de l’enfance à un état où les tourments intérieurs deviennent plus nombreux. On se comprend un peu moins, on est soumis aux changements hormonaux. Je comprends que Julien Colonna ait voulu faire appel à une femme pour l’aider.
ELLE. Avez-vous puisé dans vos souvenirs pour nourrir le personnage de l’adolescente ?
JH De la même manière qu’elle s’adaptera au rythme de son père en fuite, je me souviens que je suivais mon père partout : en studio, en tournée. Le travail était très présent, même au cœur de nos vies. Son piano était dans le salon. Si nous regardions la télévision, nous devions baisser le son, voire l’éteindre complètement. Nous passions souvent des vacances avec lui en tournée. C’est vrai, j’ai un peu nourri le personnage de mes expériences.
ELLE. Quel rapport entretenez-vous avec les mots ?
JH Les mots sont une partition musicale. Je demande aux acteurs de les respecter comme on demande à un musicien de respecter une note. Cela doit sonner vrai. « Le Royaume » est un film plutôt muet, il y a une économie de mots, il a fallu garder tous les silences car l’intensité des émotions transparaît beaucoup dans les regards.
ELLE. Quand vous écrivez un scénario puis réalisez, est-ce une façon d’affirmer votre contrôle ?
JH Oui, je l’accepte complètement. J’ai envie de développer mon monde, mon histoire, de donner des directions aux autres, de leur dire : « Je veux ceci, je veux cela, tu vas y aller, tu vas l’embrasser… ». J’aime rassembler une équipe ; pour cela, il faut faire preuve d’autorité.
ELLE. Écrivez-vous davantage le jour ou la nuit ?
JH J’ai des heures de bureau ! Je travaille principalement pendant la journée. Je peux me faire une idée la nuit ou sous la douche. J’ai la chance d’avoir un bureau loin de chez moi où je peux me concentrer. Mais tout dépend de l’avancement de mon travail. Quand il s’agit de noircir des cahiers, je peux écrire dans les cafés ou dans les trains. En revanche, lors de la phase d’écriture pure, j’ai besoin de silence.
ELLE. Quand Miou-Miou dit un de vos textes, que ressentez-vous ?
JH Il y a forcément une charge émotionnelle plus importante. J’aime quand nous travaillons ensemble. C’est très sympa. C’est une grande interprète.
ELLE. Vous n’êtes pas très réseaux sociaux…
JH Je n’ai même pas de smartphone, pas de GPS, donc de réseaux sociaux… Je regarde des cartes, je fais des petits croquis pour m’orienter quand je prends la route. Et j’ai tort. Au fond, je pense que j’aime l’idée d’être perdu parce que tu demandes à quelqu’un d’autre de t’aider.
“Le Royaume” de Julien Colonna, scénario de Jeanne Herry et Julien Colonna, avec Ghjuanna Benedetti, Saveriu Santucci, Anthony Morganti (1h48).
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