News Day FR

Clarisse Crémer, une femme en pleine tempête

Le 4 février 2021, Clarisse Crémer traverse la chaîne des Sables-d’Olonne, émerveillée par la foule de supporters venue l’accueillir. Elle vient de boucler son premier Vendée Globe et revient dans le monde des humains, désorientée après 87 jours de mer avec pour seuls compagnons poissons volants, dauphins et albatros. Une nuée de Zodiacs l’accompagne. Debout à l’avant de son voilier, les traits tirés mais radieux, elle lève les bras en signe de victoire. Le navigateur n’est pourtant « que » le 12e participant à la réalisation de ce tour du monde en solo et sans escale. Mais comme le disait Robin Knox-Johnston, le premier marin à réaliser cet exploit en 1969 : « Celui qui termine est un gagnant. » LE finisseurs, une race à part : il n’en existe que 97 à ce jour, dont dix femmes. Clarisse gifle violemment son bateau puis l’embrasse plusieurs fois. « Celui-ci est mon meilleur ami », explique-t-elle une fois les pieds sur terre.

The arrival of Clarisse Crémer after the Vendée Globe, in 2021.

Loïc Venance/AFP

Trois ans plus tard, jour pour jour, Clarisse Crémer reçoit un appel d’Antoine Mermod, le président de l’association Imoca, chargée de contrôler les bateaux autour du monde en solitaire. Une rumeur circule sur les pontons : la navigatrice aurait été dirigée par son compagnon Tanguy Le Turquais pendant la course. Tous deux auraient enfreint les règles fondamentales du Vendée Globe qui interdisent aux participants de bénéficier d’une aide au routage, ou de disposer d’informations météorologiques autres que celles fournies par l’organisation. Le principe de « non-assistance » est l’essence même de cette course surnommée « l’Everest des mers ». Bref, le couple aurait triché. L’équipe et Le télégramme serait dans la confiance. Peu de temps après cet appel, le 11 février, la rumeur devient réalité : un mail anonyme est envoyé à Jean-Luc Denéchau, le président de la Fédération française de voile. On voit quatorze captures d’écran de conversations WhatsApp entre Clarisse Crémer et Tanguy Le Turquais. Parmi ces échanges figurent des cartes sur les options d’itinéraire, comme par exemple à l’approche du Cap Horn. « Est-ce réaliste ? il lui a écrit. Le routage de ce matin est à 80% avec GFS [Global Forecast System, un modèle de prévision météo]. Si c’est ça, vous arrivez en même temps que Maxime au Cap Horn. Alors prenez soin de votre bateau. »

Le 11 février, il se rendait au travail lorsqu’il entendit son nom et celui de sa compagne évoqués sur Info. «C’était un tsunami, super dur», me dit-il. Clarisse Crémer est dans un état d’étonnement. Elle encaisse le coup encore plus fort, « scandalisée », éprouvant un « sentiment de viol », selon ses propres mots. Ce qu’il faut faire? Le couple hésite sur la stratégie à suivre, car tout le monde joue un grand rôle dans cette affaire. Elle, une disqualification et, pire, l’impossibilité de participer à l’édition suivante, dont le départ est prévu le 10 novembre aux Sables-d’Olonne. Et lui aussi en serait privé, alors qu’il rêve de s’aligner un jour au départ de ce Vendée Globe 2024. Des années de travail pourraient ainsi aller au fond. Tanguy Le Turquais, qui porte les couleurs d’une association d’aide aux sans-abri, n’a pas encore bouclé son financement de 1,2 million d’euros et voit du jour au lendemain des prospects se tourner vers lui. dos. Pour Clarisse Crémer, les enjeux financiers sont encore plus importants. Son sponsor, L’Occitane en Provence, a alloué un budget de 3,5 millions d’euros par an, auquel s’ajoute la même somme pour l’achat du bateau.

Elle m’a donné rendez-vous mi-avril à Larmor-Plage, au restaurant L’Optimist, clin d’œil involontaire au sentiment qu’elle s’efforce de cultiver. Son Imoca est amarré à proximité, au port de Kernével. Elle est un peu sur ses gardes, plus grande que je ne l’imaginais, plus sportive aussi. L’épreuve l’a affectée, même si elle masque sa colère. « Il y a définitivement une partie de moi endommagée par tout ça », murmure-t-elle. Heureusement, mon équipe et mes partenaires n’ont jamais douté de nous. Je ne sais pas ce que j’aurais fait sans cela. » Dans quelques jours, le 28 avril, il participera à la mythique Transat anglaise (rebaptisée Transat CIC), une traversée en solitaire de l’Atlantique Nord jusqu’à New York. Cette course, réputée très relevée, rassemble les principaux concurrents qui s’aligneront ensuite au départ du Vendée Globe. Beaucoup ont leur ring de l’autre côté de la rade de Lorient, à La Base, sorte de QG de la voile de compétition. Rester à l’écart de la troupe n’est finalement pas si mal : elle ne veut croiser le regard de personne, bienveillant ou méfiant. Ce printemps, elle a surtout hâte de rattraper le temps perdu, de reprendre la mer, de mieux connaître ce nouveau bateau, « un bon ami mais pas encore le meilleur ».

Une peluche accrochée à la perche

Lorsque l’accusation de tricherie a été diffusée, le couple a choisi de ne pas s’exprimer dans la presse et de donner sa version des faits sur les réseaux sociaux, où Clarisse Crémer compte sa communauté de fans. Elle le nie, bien entendu. Pour mémoire, elle s’interroge sur le timing, trois ans après les faits, s’étonne de la méthode, convaincue d’une « intention malveillante ». Mais l’effusion médiatique est trop forte, sans doute amplifiée par leur refus de s’exprimer publiquement. Très vite, l’affaire a trouvé un écho au-delà du cercle des initiés, laissant entrevoir un monde de la course au large moins solidaire que prévu. L’équipe, sans citer de noms, assure que les « cadors de la discipline » considèrent « quasi-unanimement » qu’il y a eu une faute. Le Figaro abonde : « Captures d’écran […] ne semblent guère laisser de doute sur ces échanges de routage totalement interdits. » On découvre que ces images circulent parmi les journalistes spécialisés. On ne parle plus que de ça. Des noms d’informateurs circulent en coulisses. Ça sent le cloaque au pays des embruns.

Pourquoi elle ? Pourquoi trois ans plus tard ? Pour tenter d’y voir clair, il faut revenir sur la trajectoire de ce marin sorti de nulle part et qui a très vite rejoint l’élite des skippers de l’extrême. Elle raconte son parcours dans une bande dessinée co-écrite avec la dessinatrice Maud Bénézit, j’y vais mais j’ai peur (éd. Delcourt, 2023). C’est l’histoire d’une jeune fille issue d’une bonne famille habitant Saint-Cloud, qui a fait une prépa école de commerce au lycée privé Sainte-Geneviève, le prestigieux établissement jésuite de Versailles, avant d’intégrer HEC du premier coup. ; A peine diplômée, « Clacla », comme l’appellent ses proches, fonde avec son frère une start-up de réservation de séjours de plein air. Atavisme familial : son père a fondé le site de courtage Meilleurtaux et sa mère, banquière, investit seule dans de jeunes entreprises. « Jusque-là, j’allais là où on m’attendait, comme ça venait », écrit la bonne élève dans sa BD. Mais agir comme une chef d’entreprise, vendre un avenir radieux à des investisseurs ou à des clients, ce n’est pas sa spécialité : « Parler avec quelqu’un qui me fait me sentir stupide et insister, je ne peux pas », dit-elle. elle, de l’argent. Je dois être authentique. »

Clarisse Crémer.

PKC_MEDIA

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :