La victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle inquiète, aux Etats-Unis comme ailleurs dans le monde. En 2017, l’homme d’affaires arrive à la Maison Blanche presque par surprise. Peu préparé, il s’était entouré en partie de républicains traditionnels, respectueux des institutions, qui avaient fait office de contre-pouvoirs internes et limité les excès de leur leader.
Donald Trump les a licenciés un à un et s’est mis à constituer une équipe dont le critère premier est la loyauté. Son retour aux commandes de la première puissance mondiale pourrait donc s’avérer encore plus dévastateur du point de vue de l’État de droit, de la séparation des pouvoirs et de l’application d’un programme ultraconservateur.
Blandine Chelini-Pont, professeur d’histoire contemporaine à Aix-Marseille Université, revient sur les excès du premier mandat de Donald Trump, et trace les orientations de ses quatre prochaines années au sein du Bureau Ovale.
Donald Trump a remporté l’élection présidentielle, les Républicains ont la majorité au Sénat, la Chambre est toujours à égalité. Quels contre-pouvoirs pourraient entraver son action ?
Blandine Chelini-Pont: Des contre-pouvoirs existent, ils sont définis par la Constitution fédérale. C’est le système de « freins et contrepoids » qui, normalement, protège le périmètre de chaque pouvoir (exécutif, législatif et judiciaire), avec un système de contrôle et de coopération assez souple entre eux. C’est le système de démarrage idéal. Mais elle a connu de nombreux excès, notamment une présidentialisation de plus en plus marquée, qui s’est accélérée lors du premier mandat de Donald Trump.
Comment s’est manifestée cette présidentialisation ?
BC-P. : Donald Trump n’a pas respecté les procédures institutionnelles et les règles inscrites dans la Constitution. Il a par exemple refusé de passer systématiquement par le Sénat pour valider les nominations des membres de son cabinet et d’autres responsables de l’exécutif. Lors de son prochain mandat, il pourrait faire davantage usage de son pouvoir de nomination dans l’administration.
” Le groupe de réflexion La Heritage Foundation espère que Trump licenciera tous ceux soupçonnés d’être « de gauche » dans l’administration »
Le groupe de réflexion L’ultraconservatrice Heritage Foundation pousse dans ce sens : elle espère que Trump licenciera toutes les personnes soupçonnées d’être « de gauche » au sein de l’administration fédérale, et propose le remplacement immédiat de plusieurs dizaines de milliers de fonctionnaires fédéraux. [contre environ 4 000 remplacements lors d’une alternance ordinaire, NDLR.].
Les républicains accusent l’État fédéral d’étouffer les libertés des Américains et des États. Ce sont les tueurs de État profond« l’État profond ».
Pourtant, paradoxalement, le remède qu’ils proposent consiste à donner au président des États-Unis le maximum de pouvoir pour contrôler l’administration. On peut donc légitimement s’inquiéter du fait que les réseaux trumpistes pénètrent tous les services de l’État.
Les agences gouvernementales, qui exercent un pouvoir de contrôle de manière indépendante [par exemple la CIA, ou l’agence de protection de l’environnement, NDLR.] sont particulièrement visés. Donald Trump pourrait chercher à les subvertir – c’est-à-dire à modifier leurs missions à son avantage –, à leur couper les fonds, voire à éliminer complètement certains d’entre eux.
Au sein du Parti républicain, reste-t-il des opposants au trumpisme ? Si oui, ont-ils un pouvoir ?
BC-P. : Un certain nombre de républicains ont publiquement annoncé leur opposition à Donald Trump. Plus de 200 d’entre eux ont signé une plateforme en Les États-Unis aujourd’hui pour soutenir Kamala Harris contre le candidat de leur parti. La figure la plus connue de ces dissidents est Liz Cheney, ancienne numéro trois du Grand Old Party. [jusqu’en 2021, NDLR.] et fille de Dick Cheney, vice-président de George W. Bush. Cela est en contradiction avec Trump depuis l’assaut du Capitole en 2021.
« Depuis 2022, les élus républicains au Congrès sont presque tous des trumpistes radicaux qui ont fait campagne sur le nom du milliardaire »
Mais ces républicains n’ont plus de mandat fédéral. Liz Cheney n’a par exemple pas été réélue en 2022. Depuis les élections de mi-mandat de 2022, les élus républicains au Congrès sont presque tous des trumpistes radicaux qui ont fait campagne sur le nom du milliardaire.
En plus de la victoire de Trump à la présidence, le Sénat dispose d’une large majorité républicaine et la Chambre des représentants pourrait également rester rouge. [les résultats ne sont pas encore parvenus, NDLR.]. Ce serait un grand chelem, et Donald Trump pourrait alors faire exactement ce qu’il veut.
La justice peut-elle l’arrêter ? Que s’est-il passé à cet égard lors de son premier mandat ?
BC-P. : Durant son premier mandat, il a tout fait pour que le ministère de la Justice n’ouvre pas d’enquête sur les affaires qui le concernaient, en dénigrant publiquement le procureur général et en exerçant des pressions sur lui.
Cela a notamment été le cas de l’ingérence russe dans la campagne électorale de 2016, qui a conduit à la condamnation de plusieurs membres de l’équipe de Trump. Cette affaire a ensuite participé à la première procédure demise en accusationc’est-à-dire une impeachment, visant Donald Trump, en 2019-2020, mais il s’agit d’une procédure politique et non judiciaire.
Malgré le lancement de deux procédures de destitution, Donald Trump n’a jamais été condamné, ni par le Congrès, ni par la Cour suprême, ni par les tribunaux pour son abus de pouvoir. N’est-ce pas là une démonstration de la faiblesse de l’État de droit américain ?
BC-P. : Il a encore été condamné au civil et au pénal dans plusieurs affaires, la plus récente pour fraude fiscale liée à l’affaire Stormy Daniels, dans l’État de New York. Mais il n’a jamais été condamné pour abus de pouvoir en tant que directeur général.
À la suite de l’insurrection du 6 janvier 2021, le Congrès a rejeté la deuxième procédure de destitution de Trump, les républicains votant contre. Ensuite, la Cour suprême a protégé le milliardaire contre des poursuites pénales en arguant, dans sa décision du 1est Juillet 2024, que le Président bénéficie d’une « présomption d’immunité » pour tout ce qui touche à ses actes officiels.
« Trump n’a été ni « puni » politiquement par le Congrès, ni pénalement pour incitation à l’insurrection, et n’a donc jamais été rendu inéligible. »
Résultat : il n’a été ni « puni » politiquement par le Congrès, ni pénalement pour incitation à l’insurrection, et n’a donc jamais été rendu inéligible. Cela donne l’impression que le système judiciaire fédéral a été impuissant, intentionnellement ou non.
Les juges du système judiciaire fédéral n’ont pas eu le courage de décider que Trump représentait un danger pour la démocratie. La décision du 1est Juillet de la Cour suprême coupe également toute possibilité de faire appel contre un éventuel abus de pouvoir lorsque Trump reviendra à la Maison Blanche.
On peut donc dire que l’État de droit a été affaibli aux États-Unis, car le système américain s’appuie fortement sur la droiture et l’honnêteté de ses dirigeants politiques.
Les Pères Fondateurs considéraient qu’un homme politique représentant la démocratie ne pouvait se comporter que de manière décente et respectueuse des institutions. Il n’y a donc pas assez de contraintes constitutionnelles pour limiter les excès de pouvoir de l’exécutif et son arbitraire. Mais Trump n’a que peu de respect pour la philosophie des institutions, il considère qu’il est le leader, et qu’il décide comme il veut.
Les observateurs affirment que Donald Trump est bien mieux préparé à assumer ses fonctions aujourd’hui, alors qu’il entame son deuxième mandat. Quel rôle joue la Fondation du Patrimoine et son « Projet 2025 » dans cette préparation ?
BC-P. : Donald Trump a nié l’influence de groupe de réflexion Heritage Foundation pendant sa campagne, et a déclaré qu’il n’avait pas lu le Projet. Sur ce deuxième point, c’est possible : il ne lit pas. Mais toute son équipe autour de lui est passée par là et certaines des personnes qui ont participé à sa rédaction figureront parmi ses plus proches conseillers à la Maison Blanche.
Les documents de Projet 2025 inclure une liste du personnel républicain prêt à s’engager. Trump dispose donc d’une armée potentielle de hauts fonctionnaires à son service – c’est l’une des raisons pour lesquelles il est considéré comme mieux préparé que lors de son premier mandat.
« Je pense que Projet 2025qui prône un virage ultraconservateur et une transformation très à droite de l’État fédéral, sera appliqué par Donald Trump »
je pense que le Projet 2025qui prône un virage ultraconservateur et une transformation très à droite de l’État fédéral, sera appliquée par Donald Trump et ses équipes. Plusieurs de ses proches, comme Steve Bannon, ont notamment multiplié les menaces contre les « conspirateurs » – dans les médias, au gouvernement, dans les administrations – qu’ils entendent traquer et poursuivre pour trahison.
Aux côtés de l’Heritage Foundation, de nombreux autres réseaux influents ont noué des liens avec les équipes de Trump. Je pense par exemple à la Federalist Society, une organisation de juristes conservateurs et religieux, qui a cité de nombreux noms de juges fédéraux nommés par Trump lors de son premier mandat. Ces gens sont opiniâtres et très déterminés. L’un de leurs objectifs était de mettre fin à Roe v. Wade, qui protégeait le droit à l’avortement au niveau fédéral, et ils y sont parvenus.
Peut-on donc s’attendre à un second mandat plus radical et plus efficace dans la mise en œuvre de son programme conservateur ?
BC-P. : C’est exactement cela, notamment en matière d’immigration. Trump a promis de traquer les immigrants et de les expulser des États-Unis. Mais dans l’ensemble, il fait ce qu’il dit. Il ne se soucie pas des procédures et du respect de la loi. Il s’appuie sur un discours qui consiste à dire que toute limitation à sa bonne volonté est contraire à la volonté populaire depuis qu’il a été élu. Et ce discours fonctionne auprès d’une grande partie de la population, qui ne comprend pas comment fonctionnent l’État de droit ou les institutions américaines.
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